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Causerie médicale

Angine de poitrine et douleurs précordiales.

D’après certaines statistiques, il semble que les cas d’angine de poitrine soient en augmentation, tout en présentant, d’une façon générale, un pronostic moins sombre.

Le terme d’angine, dans cette expression a son sens étymologique d’angoisse qui exprime bien le caractère principal de l’affection.

Les symptômes classiques sont bien connus : le début est brusque, par une douleur très vive, assez angoissante pour donner la crainte d’une mort subite, présentant des irradiations particulières et cessant le plus souvent aussi brusquement qu’elle est apparue.

Comme c’est cette douleur qui amène le malade à consulter, il importe avant tout d’en préciser les modalités par l’interrogatoire, le médecin étant obligé de s’en rapporter à la description qu’en donne son client, car il n’existe aucun moyen d’apprécier une douleur qu’on ne ressent pas soi-même.

On en précisera tout d’abord le siège, tantôt limité à la pointe du cœur, tantôt étendu sur toute la partie de la paroi correspondant à cet organe, voire au thorax tout entier.

On en recherche ensuite les irradiations ; la plus classique s’étend le long du bras gauche jusqu’à l’auriculaire et l’annulaire; mais on trouve aussi des irradiations le long du bras droit, dans le cou, à la mâchoire, plus rarement dans l’abdomen ou aux jambes. Il peut arriver que ces irradiations soient extrêmement douloureuses, plus que dans l’atteinte principale, et que le malade ne parle que de la constriction qu’il ressent aux poignets, par exemple, négligeant la petite douleur ressentie à la poitrine auparavant.

La forme et l’intensité, de cette douleur sont variables, depuis une simple sensation de pesanteur, de pincement, jusqu’aux expressions les plus imagées semblant empruntées à l’arsenal de l’Inquisition ; le plus souvent, le patient parle d’un broiement, d’un tenaillement du cœur, et la douleur est assez vive pour l’immobiliser ; il ne pousse pas de cris, geint tout au plus très doucement.

La durée est habituellement de quelques secondes à quelques minutes qui paraissent interminables au malade ; exceptionnellement, elles durent plus longtemps, créant un état de mal angineux.

Non moins importantes à préciser sont les conditions qui en favorisent l’éclosion ; dans certaines formes, chez des malades atteints d’affections du cœur avec insuffisance, la douleur peut survenir la nuit, en plein sommeil ; dans les formes les plus fréquentes, la douleur succède, soit à une émotion, soit, surtout, à un effort, parfois très léger ; au cours d’une marche, par exemple, quand on aborde une pente, même très faible, ou quand on marche contre le vent.

La douleur cesse brusquement, s’accompagne parfois à ce moment de quelques éructations, plus rarement de vomissements ou d’émission abondante d’urines.

Comme toujours, le diagnostic s’impose lorsque ces symptômes sont bien nets et bien au complet ; il devient difficile, dans les cas frustes ou larvés où il faut toute l’expérience, tout le sens clinique du médecin pour dépister la véritable origine du mal.

Cette douleur tient à une anémie passagère du cœur. On sait que cet organe reçoit le sang qui est nécessaire à son fonctionnement par les artères coronaires qui naissent de l’aorte ; presque toujours, dans les cas d’angine de poitrine, le débit de ces artères est réduit, soit par une plaque de sclérose aortique au niveau de leur origine, soit par une inflammation de leurs parois, par une artérite ; qu’il survienne alors un spasme venant encore réduire l’apport sanguin ou un effort exigeant un travail supplémentaire du cœur, le débit devient aussitôt insuffisant. Il existe, il est vrai, des cas d’angine de poitrine où l’on n’a pas retrouvé de lésions aortiques ou coronariennes ; on est alors obligé d’invoquer un spasme dont la cause première nous échappe. Il se passerait, dans le cœur, ce qui se passe dans les doigts exposés au froid ; tout le monde connaît la sensation d’onglée où le doigt, prenant une coloration blanche, semble complètement privé de vie ; or, ce symptôme peut se manifester chez certaines personnes à la suite d’une impression de froid très minime, qui n’est pas ressentie par d’autres.

Presque toujours, le malade qui vient consulter a déjà fait son diagnostic lui-même ; il lui importe toujours de savoir s’il est atteint d’une « vraie » ou d’une « fausse » angine de poitrine.

Lorsque la crise est nette et typique, il ne faut pas se payer de mots et agir comme si la lésion des artères coronaires était certaine, que la crise ait été déclenchée par un repas plus copieux, par un abus de vin ou de café, par un cigare trop fort ; les « fausses angines » dyspeptiques, névralgiques, tabagiques, etc., ne sont plus admises aujourd’hui ; par contre, on connaît un certain nombre de douleurs précordiales, à type plus ou moins angineux, qui peuvent faire croire à une angine véritable.

L’examen du malade doit être très minutieux ; après une auscultation soigneuse du cœur et des poumons, une palpation de l’abdomen, une prise de la tension artérielle, on recourra encore à l’examen radiologique, à l’électrocardiogramme, à un examen du sang, en se souvenant que tous ces examens, concluants s’ils donnent des renseignements positifs, ne doivent pas faire écarter un diagnostic posé par la clinique, s’ils sont négatifs.

Point capital, aucune des douleurs qui peuvent simuler l’angine de poitrine, même les plus vives, ne s’accompagne de cette sensation indéfinissable qui donne au malade l’impression d’une mort prochaine.

L’auscultation fera reconnaître les douleurs dues à une péricardite, à un point de côté pneumonique, à une pleurésie ; la confusion avec une névralgie intercostale, un rhumatisme des muscles intercostaux, est facilement évitable ; des symptômes surajoutés mettront sur la voie d’une dyspepsie douloureuse, d’une crise d’aérophagie ; les crises gastriques, les douleurs en ceinture du tabès s’accompagnent d’autres signes de cette affection.

Une forme, souvent méconnue, de douleurs précordiales, est due aux coliques hépatiques à forme angineuse ; on a alors généralement affaire à un homme ayant toutes les apparences de la santé, plutôt obèse, chez lequel on retrouve des troubles hépatiques dans son histoire pathologique ; chez ceux-ci, c’est évidemment le foie et non le cœur qu’il faudra traiter.

Le diagnostic d’angine de poitrine est toujours pénible à porter, car il comporte un pronostic sévère; il n’est cependant pas inexorablement fatal à brève échéance et la survie peut être fort longue si le sujet s’astreint à certaines précautions. Il est exposé à mourir subitement, à la moindre imprudence, et risque la complication grave de l’infarctus du cœur.

Celui-ci est dû à une oblitération permanente d’une des branches de l’artère coronaire et donne lieu à une nécrose, à un ramollissement d’une partie plus ou moins étendue du cœur ; si grave qu’elle soit, cette complication est loin d’être toujours mortelle.

Le traitement de la crise, tous les malades le connaissent, et ils portent constamment sur eux des dragées de trinitrine ; le traitement de la maladie consiste surtout en prescriptions d’hygiène : régime alimentaire réduit, très réduit en aliments et en boissons au début, un peu plus large ensuite, mais en évitant toujours les gros repas, les boissons abondantes, le tabac, le café, en gardant le repos le plus possible, en évitant tout effort et, ce qui est plus facile à prescrire qu’à réaliser, en évitant toute émotion.

Dans certaines formes, un traitement spécifique, surtout lorsqu’il s’agit d’un sujet encore jeune, vers la quarantaine, est indiqué; mais on estime aujourd’hui que le rôle de la syphilis a été fort exagéré dans la genèse de l’angine de poitrine ; les calmants, comme la morphine et ses dérivés, sont souvent nécessaires, les médications tonicardiaques seront employées selon les indications.

Dr A. GOTTSCHALK.

Le Chasseur Français N°599 Mai 1940 Page 306