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Les premiers uniformes de l’armée française

Les journaux, les magazines publient, soit en noir, soit en couleurs, des tableaux destinés à permettre au grand public, peu familiarisé avec les questions militaires, de reconnaître les grades et fonctions, corps et spécialités, des innombrables hommes vêtus de kaki que nous rencontrons quotidiennement. C’est que de nos jours, les corps ne sont plus différenciés que par d’infimes détails, un liséré, un insigne, parfois fort bien composé d’ailleurs, sont les seules marques extérieures distinctives de la plus grande partie de nos formations. Il nous paraît amusant de conter brièvement les débuts de cet uniforme, aujourd’hui bien uniformisé en effet !

Ce n’est qu’à partir du règne de Louis XIV que certains régiments furent dotés d’habits semblables et aux couleurs de leur colonel ou à celle du monarque. Peu de temps après la paix d’Aix-la-Chapelle, en 1668, certains chefs avaient donné à leurs hommes une tenue spéciale ; Louvois, administrateur incomparable, comprit tout de suite l’intérêt de cette initiative et l’encouragea. Les régiments étrangers — ancêtres de notre Légion —riches, furent les premiers à adopter cette nouvelle mode ; on recula, étant donnés les frais considérables, à habiller toute l’infanterie. Cependant, en 1685, on choisit le bleu comme couleur particulière des gardes françaises, le rouge pour les suisses et le gris pour les autres corps ; en 1690, seulement, et après une certaine résistance, la cavalerie porta l’uniforme ; cependant assez longtemps ses chefs firent assaut de fantaisie pour bien marquer leur indépendance. Le maréchal de Contades n’hésitait point, un siècle plus tard, étant de service, à porter un habit de ville et une ample perruque ; il voulait ainsi conserver les traditions.

Cette cavalerie savait, et avec jalousie, maintenir ses privilèges ; les ordonnances royales ne manquaient pas de l’aider et de favoriser le respect des saines et véritables coutumes militaires, celles de l’esprit de corps, des signes distinctifs ; c’est ainsi que, jusque vers 1750, le port de la cuirasse fut imposé en temps de paix comme en temps de guerre à toutes les troupes montées ; les officiers avaient seuls la faveur de l’ôter pendant les marches. En 1789, la plupart des régiments de cavalerie avaient un plastron de fer ; les cuirassiers seuls étaient en partie bardés d’acier.

L’armée française ne fut pas tout de suite dotée d’uniformes particuliers à chaque corps ; le roi se borna, pendant quelque temps, à conseiller certains chefs, à recommander le port dans les unités de vêtements conformes aux ordonnances ; ce n’est toutefois qu’à partir de 1747, que le monarque se chargea d’habiller ses soldats en prélevant sur leur solde une retenue : la « masse d’habillement ».

Rapidement les couleurs et les retroussis servirent à différencier les armes et les unités. Les fantassins portèrent l’habit dit à la française ; les cavaliers, l’habit bleu de roi ; les dragons, l’habit vert foncé qui subsista longtemps ; les hussards conservèrent la veste dite hongroise, souvenir déjà lointain de leur origine ; le génie avait des parements de velours noir.

Au chapeau l’homme arborait le lampion, nœud de rubans aux couleurs du colonel ; il devint par la suite la cocarde.

C’est au XVIIIe siècle que nous assistons à toute une série d’innovations et de réformes destinées à rendre tour à tour l’habit de l’homme de troupe élégant eu pratique ; ces deux qualités étant, le plus souvent, en contradiction. Si nous feuilletons les magnifiques albums d’aquarelles laissés par les peintres militaires du temps, ou bien encore les ordonnances du ministre, ou ces si curieuses et si naïves affiches de recrutement où l’on promet monts et merveilles à l’engagé, nous voyons uniquement des uniformes luxueux qui font ressembler le soldat à une aimable et gracieuse figurine de Saxe ; il y a là une grande part d’exagération. Le fantassin porte une culotte, soit en tricot, soit en basin, soit en peau, une veste — sorte de gilet à manches — en drap, dont la teinte varie ; tantôt cette pièce de l’uniforme est en drap gris, tantôt chamois, voire de couleurs ; les cavaliers ont une veste de buffle, lointain souvenir du lourd harnachement de leurs ancêtres. Enfin, par-dessus le tout, l’habit coupé à la française aux basques relevées afin de faciliter les mouvements. Un tricorne à bords très élevés, qui se porte un peu de travers ; dans les revues, cette coiffure est fixée à l’aide d’épingles. Un de nos historiens militaires pense que l’usage du salut vient probablement de cette coutume. Les grenadiers portent, — sauf de 1779 à 1786 — le bonnet à poil, l’ourson.

Bien entendu, les uniformes des troupes de la maison du roi étaient beaucoup plus riches, comme il sied à des corps destinés à assumer fréquemment des services de parades. Les mousquetaires, par exemple, revêtaient un habit somptueux : Il était, en effet, d’écarlate ; la soubreveste était bleue, galonnée d’argent sans manches et ornée de deux croix de velours blanc, l’une devant, l’autre derrière ; la culotte et les bas rouges ; le tricorne bordé d’or. Les surnoms de mousquetaires gris et noirs, donnés aux deux compagnies, ont leur origine dans la couleur des chevaux, et non dans les différences des habits, différences qui étaient fort minimes.

Le soldat était obligé, non seulement d’entretenir avec soin ses vêtements, mais aussi de se pommader et de se coiffer. Le maréchal de Broglie s’élève dans un mémoire contre cette pratique ; les hommes, nous dit-il, devaient toujours avoir les cheveux collés de frais, nous dirions de nos jours gominés. Ils devaient dépenser une partie de leur maigre solde en achat de poudre, craie et autres ingrédients destinés à blanchir les guêtres, genouillères, manchettes et cocardes. Ici, nous nous permettrons d’ouvrir une parenthèse ; nous avons eu la bonne fortune de trouver dans des dossiers manuscrits quelques recettes « pour le blanchiment de la buffleterie » de l’armée française ; nous y notons que la craie et le blanc d’Espagne liés avec de la gomme arabique étaient très à la mode chez Fanfan la Tulipe ; par contre, dans certains corps, on employait une formule plus économique : de la craie bouillie dans du lait.

Guibert, un de nos grands généraux du XVIIIe siècle, qui nous a laissé sur l’art militaire de son temps des ouvrages bien curieux, proteste, lui aussi, contre cette mode qui transforme les militaires « en perruquiers, polisseurs, vernisseurs ». Le glorieux maréchal de Saxe s’éleva également contre les cheveux plaqués qui, en hiver, ne séchaient pas, et en marche étaient sales ; contre le tricorne toujours mal assuré sur cette tignasse malpropre, car, sous ce brillant uniforme, le soldat est souvent couvert de vermines. De plus, les bas donnent des ampoules, les jarretières arrêtent la circulation ; tant et si bien que bas, guêtres, jarretières et pieds pourrissent ensemble.

L’ordonnance de 1786 régla, peu de temps avant la Révolution, une fois de plus la question de l’équipement ; l’habit devint plus ajusté : les corps français portent la tenue gris blanc, les étrangers l’habit bleu céleste, les Suisses et les Irlandais l’habit garance. Les guerres de la Révolution et de l’Empire modifièrent une fois de plus profondément les uniformes ; l’histoire de ces transformations est connue ; maints excellents ouvrages, abondamment illustrés, permettent au lecteur curieux de suivre l’évolution de notre costume militaire de 1789 à nos jours ; nous nous permettrons donc de l’y renvoyer.

Mais il nous faut dire un mot de l’uniforme de l’officier et de l’origine de ses galons. La tenue des officiers fut, surtout au XVIIIe siècle, extrêmement recherchée, raffinée même ; certains de ces jeunes capitaines se faisaient suivre, à la guerre, d’une véritable boutique de parfumeur. Leurs cantines contenaient des eaux de senteur, des fers à friser et des pommades ; ne nous indignons pas, reportons-nous à cette époque brillante, mais légère, et n’oublions pas non plus que ces petits maîtres couverts de dentelles savaient très bien mourir pour leur patrie.

En 1758, d’Argenson créa les épaulettes comme marques distinctives des grades ; quatre ans plus tard, Choiseul en généralisa l’usage. L’ordonnance de 1786 prescrivit pour les officiers le port de la redingote grise comme manteau de ville ; Bonaparte devait en conserver toute sa vie le souvenir.

Jusqu’en 1870, seules les épaulettes constituèrent en général la marque distinctive des gradés, sauf pour les corps d’Afrique où les galons firent leur première apparition ; les corps indigènes adoptèrent cette mode, puis la garde impériale toujours avide de nouveauté et d’élégance. En juillet 1870, le maréchal Lebœuf, ministre de la Guerre, imposa le port des galons « ronds » à toute l’armée ; par la suite, certains corps, ceux entre autres dotés du dolman, arborèrent des galons en V ; leur souvenir est pieusement conservé dans maints albums de famille où l’on peut admirer le grand oncle en superbe tenue de hussard, la barbe taillée à la Bourbaki et montrant, non sans fierté, les spirales d’or qui serpentent sur ses manches.

Roger VAULTIER.

Le Chasseur Français N°599 Mai 1940 Page 315