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Cinéma d’amateur

La prise de vue et la projection pendant la guerre.

Grâce aux progrès des émulsions sensibles, des appareils de prise de vues et de projection, et, surtout, à l’extrême simplicité de leur emploi, la diffusion du cinématographe sur film réduit, c’est-à-dire de format inférieur à 35 millimètres, est devenue de plus en plus grande. On peut compter par milliers les cinéastes qui enregistrent eux-mêmes leurs films, destinés à des projections en famille, ou même, bien-souvent, à un public restreint d’amateurs très avertis. Il y a un nombre encore beaucoup plus grand de projectionnistes qui n’enregistrent pas et utilisent uniquement des films positifs, édités industriellement, le plus souvent, non par enregistrement direct, mais par réduction des films standard de l’exploitation courante de 35 millimètres.

Le film réduit est même parfois devenu sonore, comme son aîné le film standard ; on a réussi désormais à sonoriser également certains films réduits, rarement peut-être par enregistrement direct, mais, en tout cas, en utilisant un film sonore ordinaire de 35 millimètres, et en reportant sur la bande réduite les images et les sons qui doivent les accompagner en synchronisme. De même qu’il existe de bons projecteurs simplifiés pour films muets, permettant seulement, suivant leurs perfectionnements, d’obtenir des projections de plus ou moins grandes dimensions, il existe aussi des projecteurs sonores, sans doute plus complexes et plus coûteux, mais dont l’emploi se répand également peu à peu.

On peut discerner désormais, de plus en plus, les avantages que le film étroit offre, non seulement aux amateurs, mais à la petite exploitation et à l’enseignement. Dans les écoles, les lycées, les facultés, les patronages, pour la documentation publicitaire, commerciale, scientifique, industrielle, et même pour la propagande politique, on emploie désormais des milliers de projecteurs simplifiés, muets ou sonores, et on commence à voir, dans les salles publiques, des appareils à éclairage intensif.

La guerre a-t-elle interrompu l’essor du cinéma sur film réduit en France ? Il semble heureusement qu’il n’en soit rien, et l’activité des cinéastes, amateurs ou professionnels du film étroit, paraît reprendre. En même temps que la production cinématographique française normale, elle contribue à la diffusion de l’idée française, et constitue surtout une possibilité précieuse pour nos exportations, pouvant soutenir l’effort financier et économique du pays.

Sans doute, la prise de vues d’amateur proprement dite est-elle parfois une simple distraction, et, en temps de guerre, les civils doivent-ils restreindre toutes les distractions dans un but de simple tenue morale, et aussi de restriction patriotique. Mais peut-on interdire aux jeunes gens et aux enfants une occupation instructive et artistique, qui développera leur goût, fera peut-être naître leur vocation, et pourra leur assurer, dans l’avenir, une profession lucrative et intéressante ? Peut-on interdire aux chefs de famille, mobilisés ou non, de vouloir conserver des documents animés des moments importants de leur existence ? Seul le cinéma leur permet, bien plus que la photographie, grâce à la restitution intégrale du mouvement, de revivre avec fidélité les périodes successives de leur vie, et de celle des leurs, gravées dans l’émulsion sensible.

D’ailleurs, les mobilisés, encore bien plus que les civils, ceux de l’arrière et même de l’avant, ne semblent pas avoir renoncé, bien au contraire, lorsqu’ils le peuvent, à l’enregistrement de ces documents filmés. Les films obtenus constitueront pour eux et leur famille des souvenirs précieux de la période tragique et douloureuse qu’ils auront vécue.

Presque tous les laboratoires cinématographiques pour amateurs fonctionnent actuellement presque aussi régulièrement qu’en temps normal ; il n’y a donc pas de difficultés pour faire développer et tirer ces films, et encore bien moins pour obtenir des bandes positives destinées à la projection.

Sans doute, un choix des prises de vues s’impose, encore bien plus qu’en temps de paix ; il ne s’agit pas de tout filmer, et un gaspillage est inadmissible en ces moments difficiles.

Il faut se souvenir aussi que nous sommes en guerre, et que la liberté absolue du temps de paix a dû être limitée par les exigences de la défense nationale. On ne peut donc filmer tout ce que l’on veut ; il faut bien se garder de tenter des prises de vues d’ouvrages militaires, de troupes en marche ; d’ouvrages d’art de toutes sortes, ou même de scènes quelconques pouvant présenter une importance pour la propagande ou l’information étrangères. Si l’on éprouve quelque doute, il vaut mieux d’abord se mettre d’accord avec la police, avant de commencer une prise de vues qui pourrait vous attirer quelque ennui. Mais, bien entendu, tous les travaux d’intérieur, et la réalisation des documents familiaux, des scénarios d’imagination, sont possibles, comme en temps normal.

L’enregistrement sur film réduit n’a pas été supprimé par la guerre ; la projection, de son côté, non seulement n’a pas été interrompue, mais, au contraire, a encore été développée. C’est qu’en effet les projecteurs sur film réduit se prêtent essentiellement à un usage régulier et facile, sans aucun danger, dans les installations les plus diverses, sans avoir recours à un personnel expérimenté, et dans les conditions les plus économiques. Il existe dans les filmothèques des producteurs français, déjà des milliers de films de caractères très divers, d’actualité, de documentation, des drames, des comédies, etc., pouvant constituer d’excellents programmes variés, et convenant à tous les publics. Il devient ainsi possible d’organiser à peu de frais des représentations récréatives dans les patronages, les foyers du soldat, les cantonnements, les hôpitaux, pour distraire nos soldats pendant les heures d’inaction, pour « remonter » le moral des blessés et des malades, pour faire oublier aux réfugiés, enfants ou adultes, la tristesse de l’abandon de leur foyer.

Les cinéastes mobilisés, possédant déjà un projecteur, ont bien souvent organisé eux-mêmes des centres de projection de ce genre, et les œuvres d’entr’aide aux armées ont compris tout l’intérêt de la question. Certes, les salles équipées avec des projecteurs standard de 35 millimètres permettent d’organiser des séances régulières devant un public nombreux ; mais ces installations sont coûteuses, de transport relativement difficile, et exigent l’observation de précautions strictes pour éviter les risques d’incendie.

Le film réduit permet, comme auxiliaire du film standard, de multiplier le nombre de ces installations, avec des moyens de fortune, et de constituer des centres précieux de distractions agréables, utiles et peu coûteuses, propres à soutenir le moral des militaires et même des civils en ces heures difficiles.

Ainsi, les conditions de guerre montreront encore sans doute davantage tout l’intérêt du cinéma sur film réduit, en ce qui concerne la prise de vues, et plus encore la projection. Mais, pour obtenir de bons résultats, dans un cas comme dans l’autre, encore faut-il observer quelques règles, simples mais rationnelles, que trop d’opérateurs ou de projectionnistes, même avertis, paraissent ignorer souvent. Ce sont ces méthodes que nous indiquerons dans nos prochaines chroniques.

P. HÉMARDINQUER,

Ingénieur-Conseil.

Le Chasseur Français N°599 Mai 1940 Page 318