La chasse du sanglier à tir se pratique de
différentes manières ; cependant il existe deux conceptions
principales : d’un côté, nous voyons les disciples de Saint Hubert qui
sont veneurs dans l’âme et qui, à cause de moyens financiers limités, ou
manquant de temps pour effectuer des déplacements lointains, ne peuvent
entretenir un grand vautrait ; comme ils ne disposent que d’un petit
nombre de chiens, ils doivent jouer de la carabine, ne serait-ce que pour finir
leur animal ; mais ils chassent selon les règles de la vénerie suivant à
cheval et ne découplant Fusillo qu’après un bon parcours. C’est, du
reste, un sport passionnant que j’ai pratiqué durant bien des années. D’autres
Nemrods, chasseurs au chien d’arrêt ou tireurs, chassent le sanglier comme un
gibier ordinaire et pratiquent, en somme, des battues pour obliger les bêtes
noires à vider l’enceinte qu’ils entourent avec, comme auxiliaires, soit des
chiens courants, soit des roquets, soit des rabatteurs. Ils y trouvent prétexte
à de jolis coups de fusil.
Les petits vautraits où les maîtres suivaient à cheval
étaient assez nombreux avant la guerre. Composés de chiens d’ordre, ou de
briquets, ou de chiens issus d’un croisement d’anglo-français et de briquets,
ou encore de harriers, ils attaquaient à la billebaude ou sur rembûcher. La
plupart possédaient d’excellents rapprocheurs et recherchaient des chiens assez
raides de pied, mais surtout braves, résistants et bien criants.
Leurs chasses ressemblaient beaucoup à de véritables
laisser-courre. Au rendez-vous, sur les dix heures, arrivaient à cheval les
chasseurs ; la toque sur la tête, la trompe au col, le couteau au côté, le
fouet à la main. Une carabine double ou un fusil pendait à leur selle. Les
chiens suivaient en voiture, en camionnette ou en remorque et, à 10 h. 30,
tout le petit vautrait se rendait à l’attaque, accompagné par les joyeux
accents de la Marche de Vénerie. Sur une bonne brisée, certains
découplaient quelques rapprocheurs sûrs et bien-allant ; d’autres
découplaient de meute à mort ; c’étaient ceux dont les chiens étaient
assez sages pour cela. En règle générale, et sur des animaux qui ne sont pas
spécialement méchants, c’est une bonne méthode, tout au moins pour rapprocher
lestement et pour lancer vite ; mais, si on a affaire à quelque solitaire
qui refuse de partir et qui se met à taper dans les chiens, on risque de faire
démolir les meilleurs et les plus braves. Et cela en pure perte. C’est
pourquoi, si on a connaissance d’un animal méchant, il est prudent et sage de
ne découpler qu’un petit nombre de rapprocheurs, deux ou trois par
exemple ; appuyés modérément, sans trompe ni cris intempestifs, ces vieux
routiers iront jusqu’à la bauge et aboieront leur sanglier de loin, se gardant
bien de l’approcher et surtout de sauter dessus. À ce moment-là, un des
chasseurs, payant de sa personne, ira envoyer quelques volées de petits plombs
dans les fesses du récalcitrant ; cela le fera détaler et sans casse.
La difficulté réelle de cette manière d’attaquer est
toujours la même, c’est-à-dire de donner la meute au bon moment et de la faire
rallier aux rapprocheurs. Les chiens, énervés par leur attente aux hardes,
souvent sont fous dès qu’on les découple et prêts à commettre toutes les
bêtises dont la plus ordinaire est de partir sur le contre ; cette faute
est fréquente, la voie du sanglier étant si forte que des chiens emballés ont
peine à reconnaître le contre du droit.
Quitte à nous répéter, nous affirmerons une fois de plus nos
sympathies pour l’attaque de meute à mort. Conduisant les chiens en liberté,
derrière les chevaux, jusqu’à la brisée ou au lieu choisi pour fouler, cela
permet une entrée en matière effectuée dans le calme et la sagesse. C’est comme
cela que la meute pourra faire de ces beaux rapprochers, qui sont un des grands
charmes de cette chasse-là.
Puis, une attaque de sanglier, après un long travail sur des
voies de la nuit, est une chose magnifique ; les chiens se récrient d’une
façon que l’on n’entend nulle part ailleurs et filent tout de suite à plein
train, dans le concert des trompes, le galop des chevaux et les vlôô des
veneurs.
Et la poursuite commence. Il n’est point question de
finesse, de science, ni d’aptitudes à relever les défauts, puisque l’animal de
chasse perce et coupe les enceintes comme un boulet de canon ; mais il
s’agit de suivre, et ce n’est pas toujours commode. Avec un si petit effectif,
la musique du début diminue rapidement d’ampleur après une heure ou deux de
menée et, à cause de la rapidité de la course, les chiens crient de moins en
moins, quelques-uns même plus du tout. Les chasseurs doivent donc suivre de
très près, et ce n’est pas toujours facile. Surtout si, la poursuite se
prolongeant, les chasseurs veulent gagner les devants, afin de se poster pour
tirer leur sanglier et terminer la chasse.
Un temps de galop dans la direction que l’on croit la bonne
vous amène au passage souhaité ; vous mettez pied à terre, vous attachez
votre cheval à un baliveau bien flexible, qui évitera à la longe de se casser
si votre monture « tire au renard », vous décrochez votre fusil et
vous gagnez votre poste. Saint Hubert est avec vous, car vous entendez, très
loin, quelques récris qui paraissent approcher. Voilà encore un beau moment,
c’est le triomphe de vos calculs, de votre connaissance des bois et des passages
des bêtes noires, de votre esprit de décision. Puis les minutes s’écoulent de
plus en plus grisantes, la chasse approche, la voix des chiens devient plus
distincte ; soudain un pas pesant sur les feuilles vous fait tressaillir
et la bête de chasse vient sauter à portée de votre fusil.
D’autres fins de chasse sont encore plus émotionnantes et
rappellent celles d’un grand vautrait. Avec les chiens très vites qui sont
souhaitables à cette chasse-là, certains animaux sont tellement malmenés
— ou fatigués d’entendre sans relâche cette menée inlassable des chiens
— qu’ils tiennent au ferme et jouent du boutoir.
Ces sorties en petit comité et entre vrais amis, tous plus
fous de chasse les uns que les autres, ne laissent que de bons souvenirs ;
la curée faite, on retraitait à cheval en sonnant fanfare ; puis, petit à
petit, l’effectif diminuait à des croisements de routes ou d’allées, et les
trompes de ceux qui restaient répondaient aux fanfares de ceux qui s’en
allaient, jusqu’à un dernier bonsoir qui se perdait au loin dans la forêt
endormie.
Pour tuer un sanglier, au contraire, si on ne cherche pas à
le chasser, il n’y a pas besoin de se creuser la cervelle. Généralement bien rembûché,
un nombre imposant de chasseurs, spécialisés dans le gros gibier,
arrivent à pied d’œuvre, en de confortables conduites intérieures, jusqu’au
point de concentration. Là, le directeur de la chasse indique à chacun le poste
qu’il doit garder ; ici encore nulle tactique, car les tireurs
s’échelonnent de 50 mètres en 50 mètres. Le grand fusil ou
l’invité de marque est posté sur la voie de rentrée, ou bien à quelque refuite
renommée et célèbre. Les tireurs entourent donc l’enceinte en silence ;
puis, quand tout le monde est placé, un coup de corne du président ordonne au
garde de découpler et la fête commence ! Suivant un vieux rapprocheur, ou
quelque briquet plus ou moins sûr, ce semble-piqueux foule l’enceinte, essayant
de suppléer par sa puissance vocale à l’insuffisance de son
« vautrait ». Il arrive, parfois, qu’on lance ainsi un sanglier. Il
vide l’enceinte et est roulé sur une allée par une volée de chevrotines bien
ajustée. Alors on crie : « Hallali », les piboles « tututent »
et la compagnie s’en va en quelque gardais pour faire curée. Curée bien
méritée, car parfois aussi la journée se passe sans lancer et les tireurs
gèlent et espèrent sur les allées.
C’est probablement plus amusant que de chasser un lapin,
— et encore ce n’est pas sûr, car, avec quelques bons bassicots, on fait
parfois des chasses épatantes, — mais c’est bien malheureux qu’un sanglier
finisse ainsi, assassiné par trente tireurs embusqués autour d’une
enceinte ...
Nous comprenons la chasse d’une autre manière ; nous
voulons bien tuer, mais en donnant, loyalement, une chance au gibier de
s’échapper. Ici, il ne peut compter que sur la maladresse du tireur. C’est
vraiment insuffisant.
Ce que nous reprochons à cette chasse, c’est surtout sa
pratique habituelle par une équipe de spécialistes, opérant régulièrement deux
jours par semaine et en nombre imposant sur le même territoire ; très vite
une forêt est dépeuplée d’animaux par ces moyens qui ne sont pas ceux
« d’un bon père de famille ».
Dans les bois voisins de forêts, il arrive parfois qu’un ou
plusieurs sangliers se remettent. Certains chasseurs alors essaient de les
tirer en faisant pratiquer dans les enceintes des battues par des rabatteurs
accompagnés de tous les chiens dont ils peuvent disposer, roquets compris.
Beaucoup de bons chiens de chasse à tir peuvent suffire pour
une de ces sorties occasionnelles. Nous fûmes mis dans la voie des bêtes
noires, en attaquant ainsi un magnifique sanglier blanc, qui pesait 315 livres,
avec notre petit équipage de lièvre, dont les griffons avaient bien chassé
quelques renards en fin de saison, mais jamais de sanglier. Mis à la voie, sur
une bonne brisée, ils rapprochèrent presque tout de suite et de quelle
manière ! Tout perçait au grand trot sous une haute futaie ; je
revois encore les quatorze taches blanches entrant dans les ajoncs d’où
l’animal déboulait bientôt sans faire trop de façon. Les barbouillauds criaient
comme des anges et marchaient comme des démons, et quand, après une jolie
chasse, ils vinrent aboyer leur énorme adversaire, blessé à mort, ils étaient
bien dans la voie, et moi aussi
Guy HUBLOT.
(1) Voir no de Mars 1940 et suivants.
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