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La chasse au chien courant

Le sanglier (1).

La chasse du sanglier à tir se pratique de différentes manières ; cependant il existe deux conceptions principales : d’un côté, nous voyons les disciples de Saint Hubert qui sont veneurs dans l’âme et qui, à cause de moyens financiers limités, ou manquant de temps pour effectuer des déplacements lointains, ne peuvent entretenir un grand vautrait ; comme ils ne disposent que d’un petit nombre de chiens, ils doivent jouer de la carabine, ne serait-ce que pour finir leur animal ; mais ils chassent selon les règles de la vénerie suivant à cheval et ne découplant Fusillo qu’après un bon parcours. C’est, du reste, un sport passionnant que j’ai pratiqué durant bien des années. D’autres Nemrods, chasseurs au chien d’arrêt ou tireurs, chassent le sanglier comme un gibier ordinaire et pratiquent, en somme, des battues pour obliger les bêtes noires à vider l’enceinte qu’ils entourent avec, comme auxiliaires, soit des chiens courants, soit des roquets, soit des rabatteurs. Ils y trouvent prétexte à de jolis coups de fusil.

Les petits vautraits où les maîtres suivaient à cheval étaient assez nombreux avant la guerre. Composés de chiens d’ordre, ou de briquets, ou de chiens issus d’un croisement d’anglo-français et de briquets, ou encore de harriers, ils attaquaient à la billebaude ou sur rembûcher. La plupart possédaient d’excellents rapprocheurs et recherchaient des chiens assez raides de pied, mais surtout braves, résistants et bien criants.

Leurs chasses ressemblaient beaucoup à de véritables laisser-courre. Au rendez-vous, sur les dix heures, arrivaient à cheval les chasseurs ; la toque sur la tête, la trompe au col, le couteau au côté, le fouet à la main. Une carabine double ou un fusil pendait à leur selle. Les chiens suivaient en voiture, en camionnette ou en remorque et, à 10 h. 30, tout le petit vautrait se rendait à l’attaque, accompagné par les joyeux accents de la Marche de Vénerie. Sur une bonne brisée, certains découplaient quelques rapprocheurs sûrs et bien-allant ; d’autres découplaient de meute à mort ; c’étaient ceux dont les chiens étaient assez sages pour cela. En règle générale, et sur des animaux qui ne sont pas spécialement méchants, c’est une bonne méthode, tout au moins pour rapprocher lestement et pour lancer vite ; mais, si on a affaire à quelque solitaire qui refuse de partir et qui se met à taper dans les chiens, on risque de faire démolir les meilleurs et les plus braves. Et cela en pure perte. C’est pourquoi, si on a connaissance d’un animal méchant, il est prudent et sage de ne découpler qu’un petit nombre de rapprocheurs, deux ou trois par exemple ; appuyés modérément, sans trompe ni cris intempestifs, ces vieux routiers iront jusqu’à la bauge et aboieront leur sanglier de loin, se gardant bien de l’approcher et surtout de sauter dessus. À ce moment-là, un des chasseurs, payant de sa personne, ira envoyer quelques volées de petits plombs dans les fesses du récalcitrant ; cela le fera détaler et sans casse.

La difficulté réelle de cette manière d’attaquer est toujours la même, c’est-à-dire de donner la meute au bon moment et de la faire rallier aux rapprocheurs. Les chiens, énervés par leur attente aux hardes, souvent sont fous dès qu’on les découple et prêts à commettre toutes les bêtises dont la plus ordinaire est de partir sur le contre ; cette faute est fréquente, la voie du sanglier étant si forte que des chiens emballés ont peine à reconnaître le contre du droit.

Quitte à nous répéter, nous affirmerons une fois de plus nos sympathies pour l’attaque de meute à mort. Conduisant les chiens en liberté, derrière les chevaux, jusqu’à la brisée ou au lieu choisi pour fouler, cela permet une entrée en matière effectuée dans le calme et la sagesse. C’est comme cela que la meute pourra faire de ces beaux rapprochers, qui sont un des grands charmes de cette chasse-là.

Puis, une attaque de sanglier, après un long travail sur des voies de la nuit, est une chose magnifique ; les chiens se récrient d’une façon que l’on n’entend nulle part ailleurs et filent tout de suite à plein train, dans le concert des trompes, le galop des chevaux et les vlôô des veneurs.

Et la poursuite commence. Il n’est point question de finesse, de science, ni d’aptitudes à relever les défauts, puisque l’animal de chasse perce et coupe les enceintes comme un boulet de canon ; mais il s’agit de suivre, et ce n’est pas toujours commode. Avec un si petit effectif, la musique du début diminue rapidement d’ampleur après une heure ou deux de menée et, à cause de la rapidité de la course, les chiens crient de moins en moins, quelques-uns même plus du tout. Les chasseurs doivent donc suivre de très près, et ce n’est pas toujours facile. Surtout si, la poursuite se prolongeant, les chasseurs veulent gagner les devants, afin de se poster pour tirer leur sanglier et terminer la chasse.

Un temps de galop dans la direction que l’on croit la bonne vous amène au passage souhaité ; vous mettez pied à terre, vous attachez votre cheval à un baliveau bien flexible, qui évitera à la longe de se casser si votre monture « tire au renard », vous décrochez votre fusil et vous gagnez votre poste. Saint Hubert est avec vous, car vous entendez, très loin, quelques récris qui paraissent approcher. Voilà encore un beau moment, c’est le triomphe de vos calculs, de votre connaissance des bois et des passages des bêtes noires, de votre esprit de décision. Puis les minutes s’écoulent de plus en plus grisantes, la chasse approche, la voix des chiens devient plus distincte ; soudain un pas pesant sur les feuilles vous fait tressaillir et la bête de chasse vient sauter à portée de votre fusil.

D’autres fins de chasse sont encore plus émotionnantes et rappellent celles d’un grand vautrait. Avec les chiens très vites qui sont souhaitables à cette chasse-là, certains animaux sont tellement malmenés — ou fatigués d’entendre sans relâche cette menée inlassable des chiens — qu’ils tiennent au ferme et jouent du boutoir.

Ces sorties en petit comité et entre vrais amis, tous plus fous de chasse les uns que les autres, ne laissent que de bons souvenirs ; la curée faite, on retraitait à cheval en sonnant fanfare ; puis, petit à petit, l’effectif diminuait à des croisements de routes ou d’allées, et les trompes de ceux qui restaient répondaient aux fanfares de ceux qui s’en allaient, jusqu’à un dernier bonsoir qui se perdait au loin dans la forêt endormie.

Pour tuer un sanglier, au contraire, si on ne cherche pas à le chasser, il n’y a pas besoin de se creuser la cervelle. Généralement bien rembûché, un nombre imposant de chasseurs, spécialisés dans le gros gibier, arrivent à pied d’œuvre, en de confortables conduites intérieures, jusqu’au point de concentration. Là, le directeur de la chasse indique à chacun le poste qu’il doit garder ; ici encore nulle tactique, car les tireurs s’échelonnent de 50 mètres en 50 mètres. Le grand fusil ou l’invité de marque est posté sur la voie de rentrée, ou bien à quelque refuite renommée et célèbre. Les tireurs entourent donc l’enceinte en silence ; puis, quand tout le monde est placé, un coup de corne du président ordonne au garde de découpler et la fête commence ! Suivant un vieux rapprocheur, ou quelque briquet plus ou moins sûr, ce semble-piqueux foule l’enceinte, essayant de suppléer par sa puissance vocale à l’insuffisance de son « vautrait ». Il arrive, parfois, qu’on lance ainsi un sanglier. Il vide l’enceinte et est roulé sur une allée par une volée de chevrotines bien ajustée. Alors on crie : « Hallali », les piboles « tututent » et la compagnie s’en va en quelque gardais pour faire curée. Curée bien méritée, car parfois aussi la journée se passe sans lancer et les tireurs gèlent et espèrent sur les allées.

C’est probablement plus amusant que de chasser un lapin, — et encore ce n’est pas sûr, car, avec quelques bons bassicots, on fait parfois des chasses épatantes, — mais c’est bien malheureux qu’un sanglier finisse ainsi, assassiné par trente tireurs embusqués autour d’une enceinte ...

Nous comprenons la chasse d’une autre manière ; nous voulons bien tuer, mais en donnant, loyalement, une chance au gibier de s’échapper. Ici, il ne peut compter que sur la maladresse du tireur. C’est vraiment insuffisant.

Ce que nous reprochons à cette chasse, c’est surtout sa pratique habituelle par une équipe de spécialistes, opérant régulièrement deux jours par semaine et en nombre imposant sur le même territoire ; très vite une forêt est dépeuplée d’animaux par ces moyens qui ne sont pas ceux « d’un bon père de famille ».

Dans les bois voisins de forêts, il arrive parfois qu’un ou plusieurs sangliers se remettent. Certains chasseurs alors essaient de les tirer en faisant pratiquer dans les enceintes des battues par des rabatteurs accompagnés de tous les chiens dont ils peuvent disposer, roquets compris.

Beaucoup de bons chiens de chasse à tir peuvent suffire pour une de ces sorties occasionnelles. Nous fûmes mis dans la voie des bêtes noires, en attaquant ainsi un magnifique sanglier blanc, qui pesait 315 livres, avec notre petit équipage de lièvre, dont les griffons avaient bien chassé quelques renards en fin de saison, mais jamais de sanglier. Mis à la voie, sur une bonne brisée, ils rapprochèrent presque tout de suite et de quelle manière ! Tout perçait au grand trot sous une haute futaie ; je revois encore les quatorze taches blanches entrant dans les ajoncs d’où l’animal déboulait bientôt sans faire trop de façon. Les barbouillauds criaient comme des anges et marchaient comme des démons, et quand, après une jolie chasse, ils vinrent aboyer leur énorme adversaire, blessé à mort, ils étaient bien dans la voie, et moi aussi

Guy HUBLOT.

(1) Voir no de Mars 1940 et suivants.

Le Chasseur Français N°600 Juin 1940 Page 324