Jadis inconnu en France, cet hôte indésirable, importé
d’Amérique, s’est tellement multiplié en certaines régions de l’Est qu’il en
est devenu une calamité. Les dégâts qu’il cause sont, en effet, des plus
sérieux, tout spécialement aux digues, chaussées et rives de lacs ou d’étangs,
sans parler du préjudice causé à la pêche et au gibier d’eau. Il m’a paru
intéressant de signaler aux gardes des régions infestées, ou aux propriétaires
lésés, les méthodes de piégeage employées en Amérique et au Canada pour s’emparer
de ce rongeur dont la peau est toujours de bonne cote sur le marché des
fourrures.
Identification.
— La présence des rats musqués se reconnaît :
1° Aux traces de repas, soit des végétaux rongés ou des
débris de végétaux : joncs, nénuphars, roseaux, lentilles d’eau,
sagittaires, iris aquatiques, etc., coupés au ras de la racine et parfois tirés
sur le bord de la rive, ou sur une butte (souche, racine, grosse pierre, tronc
d’arbre flottant). Ces lieux constituent des places de repas où s’accumulent
les fragments des herbes dévorées ; soit aux restes de poissons, car le
rat musqué est, comme le surmulot, un omnivore. Il attaque les poissons
capturés par le ventre et les parties molles en premier, puis termine par les
chairs, en laissant le squelette sur place ;
2° Aux laissées similaires à celles des rats d’eau
(campagnols d’eau), en forme de pilules plus ou moins ovales et de couleur vert
olive et luisantes quand elles sont fraîches, noires par la suite ;
3° Aux empreintes laissées sur la vase ou le sable et qui se
rapprochent beaucoup de celles d’un oiseau, donnant cinq doigts dont quatre
griffes seulement visibles. Ces traces sont multiples sur les places de repas.
La queue laisse presque toujours son empreinte large sur la vase. On peut
également citer les traces laissées par les dents puissantes de ces rongeurs,
ainsi que la présence d’eau trouble près du nid de roseau en étangs ou du
terrier en sous-berge dans les rivières.
Habitudes générales.
— Sans nous occuper des questions d’ordre zoologique,
il est utile de connaître les habitudes générales de cet animal. Le rat musqué
est un crépusculaire qui s’agite à l’aube et au coucher du soleil, comme le
fait du reste le campagnol d’eau. La période de rut redouble l’agitation de ces
animaux. La neige n’arrête pas son activité. En étangs, il constitue un nid
volumineux avec des joncs ; en rivière, il niche dans des trous de berge
dont l’entrée est souvent sous l’eau. Il tient bien ses passages, ses glissades
et ses places de repas.
Matériel de piégeage.
— Les Américains emploient des petits pièges ronds à
palette grande comme une pièce de 5 francs très puissants et fort aisément
dissimulables sous une simple feuille de peuplier. Le diamètre de ces engins
est de 10 à 12 centimètres. Parfois ils possèdent un deuxième ressort
empêchant les captures de se ronger la patte. La légèreté de ces pièges est des
plus appréciable.
Les Allemands emploient des nasses, des pièges à collier,
des pièges à palette, et même des assommoirs à base de quatre chiffre. Les
pièges rectilignes du modèle de ceux employés pour la loutre ne sont que très
rarement employés, car trop chers et trop encombrants.
Les appâts et Odeurs.
— Le piégeage avec appât se fait au moyen de pommes
douces, de carottes, de miel ou de sirop de sorgho dont on enduit un bâton, de
poisson, de grenouille et même de carcasse d’un propre rat musqué. Les odeurs
attirantes sont le musc de rat musqué, l’huile d’anis et l’huile d’iris d’eau.
Piégeage proprement dit.
— Il débute au 1er décembre et dure
jusqu’au 15 mars environ pour profiter de la saison des plus jolies
fourrures. On piège, soit au passage (en coulée, glissade, entrée de terrier)
dans les herbes, sous la vase, sous l’eau, ou sous légère couche de terre sur
les rives. Le point essentiel est de changer souvent les engins de place,
surtout quand ils ne sont pas placés sous 5 centimètres d’eau. Ensuite, il
faut éviter que l’animal pris ne se ronge la patte. Le choix d’un système
d’attache convenable permet facilement d’éviter cet écueil (1). En outre,
une visite des pièges matin et soir ainsi que le piégeage à proximité immédiate
de couche d’eau d’au moins 30 centimètres de profondeur limitent ces
amputations et évasions.
Procédés de piégeage au passage.
— On peut opérer avec :
1° Le piège tendu à 5 centimètres sous l’eau, au pied
d’une glissade de la berge ;
2° Un piège tendu au goulet d’entrée du nid et posé en
défonçant discrètement un côté du nid de joncs. On glisse alors le piège à sa
place, le recouvre et reconstruit délicatement l’ensemble ;
3° Le piège posé aux places à nourriture (parmi les débris
de végétaux), même sur les îlots d’herbes flottantes ;
4° À l’entrée des terriers sous l’eau dans les berges de
rivières ;
5° Un piège posé dans une coulée d’herbes fréquentée et
servant, soit à longer la rive, soit à passer d’un marais dans un autre ;
6° Un piège posé au point où l’animal se reçoit en sautant
de la rive sur une souche, un banc de vase, etc. ;
7° Un piège posé dans un goulet naturel ou construit à
l’aide de branchages en bout d’étangs ou en petit chenal, entre deux rochers,
deux arbres ;
8° Un piège placé sur un isthme naturel, ou un ponceau
fréquenté ;
9° Un piège posé sur une souche où l’on constate
régulièrement des laissées ;
10° Enfin un genre de piégeage très employé en Amérique, le
piégeage à l’arbre flottant dont une extrémité repose sur la rive. On fait des
encoches suffisantes sur ce tronc, pour pouvoir placer les pièges ; on
pose ceux-ci, soit couverts de mousse s’ils ne sont pas couverts d’eau, soit,
ce qui est mieux, sous 5 centimètres d’eau et légèrement cachés. Les
pièges sont fixés par une chaîne au côté de l’arbre, de façon que les rats pris
se noient immédiatement. Un madrier peut faire le même office que l’arbre.
Procédés de piégeage avec appâts.
— 1° Le procédé no 10 employé en
répandant des grains ou appâts sur l’arbre là où il émerge ;
2° Au pied d’une berge surélevée, et à 5 ou 7 centimètres
sous l’eau on pique deux morceaux de bois devant servir de support au piège. À
25 centimètres, à la verticale du piège, on enfonce un piquet porteur
d’appât (pomme, par exemple) à son extrémité ;
3° On creuse un trou de 10 centimètres de diamètre dans
la berge et de 20 à 30 de profondeur. L’entrée doit baigner dans l’eau, mais le
fond doit être surélevé. On place un appât au fond du trou, et le piège à
l’entrée sous l’eau ;
4° On place une carcasse de rat musqué à proximité du rivage
et la cache sous les feuilles. On piège à proximité immédiate de la
carcasse ;
5° On construit un petit jardinet en rochers ou profite
d’une grosse racine, on place l’appât au fond et le piège à l’entrée, sous
l’eau si possible ;
6° Dans un trou construit dans la berge, on enfonce une
vieille boîte de conserve dans laquelle on place un appât. On place le piège
sous l’eau devant l’entrée ;
7° Enfin l’emploi d’un tonneau sans couvercle, celui-ci
étant remplacé par une feuille de parchemin bien fendue et sur laquelle on
répand des grains et laisse les rats s’habituer à ce décor ; puis, un
jour, quand les rongeurs ont pris confiance et visitent régulièrement le dessus
du tonneau, on coupe le parchemin avec un rasoir, en formant une croix. Le
tonneau est lesté de telle façon qu’il flotte en équilibre. Les rats qui
s’aventurent alors tombent dans le récipient sans pouvoir sortir. Une autre
variante du tonneau consiste à le lester dans son sens longitudinal et à le
maintenir ainsi par deux poutres. L’ouverture est alors faite à la place de la
bonde. Mais, pratiquement, ce procédé est loin de valoir la manœuvre de bons
petits pièges, manœuvres soigneusement et habilement placés (1).
Et pour terminer à la manière de nos amis
d’outre-Atlantique. « with my best wishes » à ceux qui piégeront le
rat musqué.
A. CHAIGNEAU.
(1) Inutile de frotter le piège avec quoi que ce soit quand
on tend sous l’eau à 5 centimètres, contrairement à ce qui a paru sur ce
sujet pour la loutre, et qui a maladroitement été transposé pour le rat musqué.
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