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Sanglier à tir et griffon nivernais

La multiplication du sanglier après la guerre, la rareté des vautraits, conséquence de la situation économique probable, vaudront aux races propres à sa chasse à tir un surcroît de faveur.

Sauf en certaines régions où la quantité du gibier est telle qu’il y a avantage à utiliser les mâtins petits ou grands, partout ailleurs l’usage du chien courant est à recommander.

Depuis plus de quarante ans, j’ai vu à l’œuvre nombreuses races de tout poil et moral et suis de l’avis de Cunisset-Carnot préconisant les griffons. Toutefois, lorsqu’il y avait encore des chiens d’Artois, ceux-ci très courageux m’ont semblé des meilleurs.

Les griffons en général, et celui du Nivernais en particulier, ont la ténacité, l’initiative, la bravoure, grâce à quoi en très petit nombre, en paire, et même solitaires, ils peuvent rendre les meilleurs services.

Inutile de rien dire de l’Artésien défunt, de s’étendre sur les diverses combinaisons de sang anglais d’ailleurs recommandables ; car il vaut mieux traiter des races bien définies.

Dommage que les beaux et bons Vendéens-Nivernais, dus au génie de l’excellent éleveur M. E. Coste, aient terminé leur carrière. On ne pouvait leur reprocher qu’une taille un peu élevée.

Du griffon Vendéen, il reste de charmants briquets, parmi lesquels j’ai vu des chiens aimant la voie du sanglier. D’une manière générale, ce sont les Nivernais, parmi les races griffonnes actuellement vivantes, qui m’ont semblé les plus amateurs de la bête noire, semblables en cela à leurs cousins plus haut nommés.

La race Nivernaise est très ancienne, grâce à quoi on a pu la sauveter après des lustres d’injuste oubli. Le chien décrit par Arrien au IIIe siècle, celui qu’on voyait en Bresse il y a une cinquantaine d’années, le Nivernais enfin appartiennent, suivant les documents dont on dispose, au même prototype.

L’abandon dont celui-ci a été victime tient vraisemblablement à ceci que, n’ayant pas absolument le moral voulu pour former des équipages nombreux, l’élevage en était dispersé jusqu’au jour récent de la formation d’un club d’amateurs éclairés.

Puis les idées ont beaucoup erré au siècle dernier et même depuis sur notre objet. Il y a cinquante ans, Pierre Méguin croyait à sa disparition. Cette opinion assez générale à l’époque tenait à l’inexistence de tout équipage notoire composé de véritables Nivernais.

Depuis le long temps qu’on le connaît, on l’a toujours décrit sous gros poil noir-feu mal teint ou gris de loup. Or ni les chiens de M. Coste, ni ceux de M. Frossard ne répondaient à la description du type ancien et classique. Ses représentants disséminés par petits lots étaient par conséquent ignorés.

Cependant, avant 1900, j’ai vu en Bretagne de véritables Nivernais provenant directement de leur province natale. Certains bouchers et équarrisseurs en faisaient alors élevage. Après l’hiver de 1893, les sangliers étaient devenus très nombreux dans l’Ouest. Pour les chasser à tir, on fit venir les chiens appropriés. Il me souvient de quelques sujets très réussis entre 0,55 et 0,60, très actifs, plein de sang, ne se rebutant jamais, et ayant du train comme il se doit. Certains fusils chauds leur reprochaient leur robe.

Est-ce pour cela, est-ce la difficulté d’en recruter, ils furent bientôt remplacés par les griffons de chez M. E. Coste ?

Pourtant ils étaient plus lestes dans la bagarre au fourré ; beaucoup moins volumineux, ils évitaient mieux les mauvais coups et étaient aussi tenaces.

Je demeure persuadé qu’ils eussent très bien rencontré en croisement avec nos chiens fauves de Bretagne, dont il restait encore d’honorables représentants. Il n’en fut rien ; mais cette union devait cependant être tentée ailleurs, car il me souvient d’avoir vu aux Tuileries deux ou trois paires griffons étiquetés Bretons-Nivernais.

À noter le goût du Nivernais, comme du Vendéen-Nivernais pour la voie de la loutre. Dans une contrée où il y en a beaucoup, il est vrai, j’ai vu des chiots se déclarer spontanément Otterhounds. Beaucoup d’auteurs Anglais ne font aucun mystère des origines de leurs Otterhounds, qu’ils disent provenir du Nivernais. On peut voir actuellement sur les bancs des Otterhounds importés ne différant en rien des représentants de la vieille race française. Ayant eu à juger les uns et les autres, je dois conclure à l’identité. Sans doute trouverait-on aussi des Otterhounds, marquant ressemblance avec le fauve de Bretagne. Cela s’explique d’autant que, tôt après le voyage en Bretagne du grand chasseur de loutres qu’était le R. Davies, presque tous les chiens fauves du baron du Frétay passèrent le détroit pour être mis dans la voie de la loutre.

Pour cette chasse, des chiens très chasseurs rustiques, bien protégés, fins de nez, mordants et allant volontiers à l’eau, sont indispensables. En prenant leurs auxiliaires dans les deux races, nos voisins et alliés ont été bien inspirés.

Ceci dit, le chien à loutres n’est pas nécessairement une bête féroce, comme le veulent les littéraires. J’ai suivi un équipage bien connu, composé d’Otterhounds et de grands Foxhounds réformés, ainsi qu’il est presque toujours de règle. Les rapprocheurs étaient les premiers et, à l’hallali, les Foxhounds étaient les plus redoutables mâchoires. Aucun de ces chiens ne m’a semblé quinteux, soit envers l’homme, soit pour ses congénères.

Le sanglier et la loutre sont désormais les seuls gibiers sujets à réaction qu’on puisse rencontrer ; or, je ne pense pas que le chasseur rustique ait meilleur choix à faire pour leur chasse que de notre porteur de gros poil. Si la guerre n’éclaircit pas par trop ses rangs, il sera plus aisé de se pourvoir qu’il y a vingt ans, car les efforts d’un club dévoué ne sont pas demeurés vains.

C’est surtout dans les couverts, après le sanglier ou sur renards et chevreuils, que je l’ai pratiqué. Je suis mal fixé sur ce qu’on peut en attendre dans la voie du lièvre par pays. Nos fauves, qui n’étaient pas des modèles de scrupule et ressemblaient par nombre de points au Nivernais, s’en tiraient brillamment. Ils étaient très têtus, il est vrai, mais très fins de nez, mais aussi beaucoup plus personnels, et plus difficiles à ameuter.

Quiconque chasse avec peu de chiens est obligé de les choisir de haute initiative et capables d’exécuter le travail de plusieurs.

Or, les griffons en général présentent les qualités et les défauts des chiens ayant forte personnalité. Il n’y a pourtant pas à hésiter, lorsqu’on veut tirailler le sanglier. La logique et l’expérience sont d’accord pour en recommander l’usage à l’amateur du petit nombre de collaborateurs, par goût ou nécessité.

En faisant l’éloge du griffon Nivernais, je crois ne pas décevoir ceux qui en tenteraient l’essai. Parmi les griffons codifiés existant encore, il est admis qu’il n’en est pas de plus tenaces et courageux.

R. DE KERMADEC.

Le Chasseur Français N°600 Juin 1940 Page 335