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Un terrible ennemi du pêcheur.

La loutre (1)

c. LE PIÉGEAGE.

— Que M. Chaigneau m’excuse si je pénètre un peu dans son domaine. Si je me décide à faire cette incursion dans son art difficile, c’est parce que le sujet que je traite présentement serait fort incomplet, si je ne signalais pas le moyen le plus sûr de détruire la loutre.

Je n’ai aucunement l’outrecuidante prétention de faire un cours de piégeage, mais seulement l’intention de présenter quelques observations les plus essentielles sur le piégeage spécial de la loutre, pouvant être utiles à certains de nos confrères.

a. Le matériel.

— Parmi les pièges utilisés pour la capture des animaux de rapine, nous citerons : les assommoirs, les collets de fil d’acier ou de laiton, les nasses de taille appropriée, les boîtes à fauves, et enfin les traquenards. Parmi ces derniers, les meilleurs et les plus efficaces sont les pièges dits « à palette », et ce sont ces derniers qui sont surtout employés pour la loutre.

C’est pourquoi je me limiterai à la description sommaire de ce modèle et à la façon de s’en servir.

Passons en revue les principaux organes de ces pièges :

Les mâchoires, arcs de cercle en fer ou en acier, dont le rebord interne est le plus souvent dentelé, afin de mieux retenir la prise ; ces mâchoires sont articulées sur des pivots placés à chacune de leurs extrémités.

Le ressort est une pièce métallique qui affecte, en général, la même forme en V que les ressorts des platines de nos anciens fusils, mais il est beaucoup plus gros et beaucoup plus puissant.

La détente est le mécanisme qui retient les mâchoires ouvertes ; en se déclenchant subitement au moment où la palette est actionnée, elle permet au ressort de s’ouvrir, de se détendre, ce qui a immédiatement pour effet de faire revenir l’une sur l’autre avec violence les deux mâchoires jusqu’alors écartées.

La palette est une pièce métallique de forme ronde, rectangulaire ou elliptique, qui occupe d’habitude le centre du piège ouvert et tendu. C’est sur elle que l’animal en maraude pose sa patte en marchant. Sa sensibilité est telle qu’une pesée, même légère, a pour effet de déclencher immédiatement le mécanisme de détente.

La sûreté consiste, le plus souvent, en une petite tige métallique ayant la forme d’un piton et tournant librement par sa partie verticale. Elle sert à maintenir et immobiliser les mâchoires ouvertes pendant la manipulation du piège. La sûreté est enlevée au moment où le piège tendu et placé ne sera plus mis en action que par le passage de l’animal visé.

Les pièges pour loutres doivent être de grande taille, très puissants et à ressort très énergique, la loutre adulte étant très vigoureuse, plus que le renard.

Le piège est muni d’un anneau d’attache pour le rattacher avec une chaîne de préférence à un solide piquet, à une souche ou un fort baliveau, par quelques tours de fil de fer ou un crampillon à l’épreuve.

b. Manipulation.

— On met le piège en état de fonctionner en ouvrant de force ses mâchoires qui, étant au repos dans le plan vertical, sont amenées par l’effort des mains, des genoux ou avec une clé, outil spécial, qui comprime le ressort, dans le plan horizontal.

L’écartement des mâchoires a pour effet de maintenir le ressort à son point de tension et de permettre, après avoir placé la sûreté, de régler à son gré la sensibilité du mécanisme de détente.

Lorsque cela est effectué et le piège posé à la place définitive qu’il doit occuper, la sûreté est enlevée et l’appareil se trouve dès lors en état de fonctionner.

En ce qui concerne la capture spéciale de la loutre, il a été reconnu plutôt nuisible qu’utile de placer sur la palette un appât quelconque.

c. Pose des pièges.

— Les pièges destinés à capturer la loutre peuvent être placés, soit sur terre, soit dans l’eau.

Sur terre. — Le piège ouvert, tendu et muni du dispositif de sûreté, est mis à plat sur le sol, recouvrant exactement la place qu’il doit occuper. À l’aide d’un bâton pointu, on trace le contour de sa surface, puis on le met provisoirement de côté.

Il s’agit maintenant d’enlever la terre à l’intérieur du tracé, de façon à obtenir une excavation peu profonde, juste suffisante pour que le piège puisse y entrer tout entier. Aucune de ses parties ne doit dépasser sensiblement le sol environnant, ni non plus s’y inscrire trop en creux. Tout comme le piège lui-même, le moyen d’attache doit également disparaître dans une petite tranchée creusée dans la direction de son point de fixation (arbre, souche ou piquet enfoncé de force au ras du sol).

La terre extraite des excavations ne sera pas laissée ni éparpillée sur place, mais mise dans un sac ou un panier, et jetée loin ou mieux en aval dans la rivière.

Une fois le piège posé dans son logement, s’assurer qu’aucune matière résistante, pierres, racines, débris ligneux, etc., puisse en gêner le fonctionnement.

Recouvrir ensuite le tout d’une légère couche de terre de taupinière, d’herbes, de mousse ou de feuilles mortes, en prenant la précaution que ce camouflage soit en concordance aussi parfaite que possible avec l’aspect du sol environnant. Rien, au dehors, ne doit pouvoir déceler la présence de l’engin à l’œil exercé de la loutre. C’est alors seulement que l’opérateur enlève la sûreté avec toutes précautions voulues.

Pour annihiler l’odeur de l’homme, certain professionnel de ma connaissance frottait le piège avec du jus de poireau et agissait de même pour ses mains ; il prétendait, en outre, que l’odeur très forte de ce légume ne déplaisait nullement à la loutre. De même, il savait donner à ses sabots, seule chaussure qu’il employât quand il posait ses pièges, l’odeur du poisson dont la loutre ne pouvait évidemment se méfier.

Dans l’eau. — Comme dans l’autre cas, le piège est préparé sur la rive et le dispositif de sûreté placé.

Dans le lit même de la rivière, le plus souvent très près de la berge, on établit à la bêche un emplacement suffisant pour recevoir l’engin et on l’y pose. On cache ensuite le moyen d’attache retenu à un fort piquet bien enfoncé dans le sol du cours d’eau.

Pour dissimuler le piège, arracher, à une certaine distance, des herbes aquatiques molles et peu résistantes et, à la base des faisceaux du piège, poser de simples gros cailloux pris dans la rivière ou sur la berge. Le courant rabat les tiges sur le piège : celui-ci s’en trouve recouvert et doit se trouver dissimulé entièrement ; la sûreté est alors enlevée.

Pour les pièges posés sur la rive, il peut être utile de replacer la sûreté pendant le jour, à cause des accidents possibles ; pour ceux qui sont tendus sous l’eau, la précaution est généralement superflue, la saison la plus propice au piégeage ne coïncidant pas avec celle des baignades.

(À suivre.)

R. PORTIER.

(1) Voir numéros 595 et suivants.

Le Chasseur Français N°600 Juin 1940 Page 337