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Scoutisme et vie militaire

Beaucoup de gens — qui ne songeraient d’ailleurs pas à le faire aujourd’hui — reprochèrent longtemps au scoutisme d’être une société de préparation militaire déguisée.

Ses chefs durent mettre de l’insistance pour démontrer qu’il ne fallait pas être aveuglé par l’uniforme, ni par quelques appellations comme « troupe », « patrouilles », « éclaireurs » ... En réalité, le mouvement scout est nettement original et vise à l’éducation morale, physique et pratique des enfants. La discipline que l’on y pratique est joyeusement offerte à un grand frère, le chef. Il n’est pas rattaché au ministère de la Défense nationale, mais à celui de l’Éducation et de la Santé publique.

Et pourtant, on peut affirmer que l’éclaireur est, par la force des choses, merveilleusement préparé à faire un bon soldat.

Passons sur son entraînement physique, qu’il aurait pu réaliser en pratiquant judicieusement (en se gardant du surmenage et de la « championnite ») un sport quelconque ...

Mais insistons sur sa débrouillardise, développée au cours de passionnantes aventures, en compagnie de camarades débordant de vitalité. Un scout est avant tout habile à se servir de ses dix doigts. « Pour être heureux, enseigne Baden-Powell ; faites chaque jour au moins une bonne action, et ... ayez un canif qui coupe bien ! »

Son ingéniosité est stimulée par des examens, par des concours entre les « patrouilles ». Le chef demandera par exemple à ses garçons de fabriquer un objet utile, dans le plus bref délai possible, avec une boîte de conserves et un morceau de fil de fer.

Il leur apprend à faire un feu sous la pluie, même sans papier, à cuire leur repas en plein air, à coucher confortablement sous la tente. Il leur demande, au camp, de confectionner, avec du bois et des brélages, cent « astuces » augmentant les commodités de chacun,

Car cette habileté s’appuie sur de solides connaissances techniques. L’éclaireur connaît une quinzaine de nœuds, les étoiles, les plantes, les arbres, la manière de s’orienter ou de soigner un blessé. Il a pu acquérir des notions très précises de bricolage, d’hygiène ou de météorologie, de topographie, de signalisation Morse ou sémaphorique ...

Il a surtout l’habitude de vivre dans la nature, ce qui, pour le fantassin, est évidemment primordial. Les grands jeux lui ont appris à se dissimuler, à escalader, à ne pas froisser les feuilles sèches »ni faire s’envoler des oiseaux. Il sait tirer parti de grosses pierres pour construire un foyer, trouver les branches qui brûlent bien, cacher les traces d’un feu.

Une autre qualité maîtresse que le scoutisme a cultivée chez lui, c’est le sens des responsabilités. On sait à ce propos la supériorité du soldat français sur le soldat allemand. Si le chef tombe, tout de suite un de ses subordonnés prend la tête de ses compagnons, décide, commande ...

Dès l’âge de quatorze ans, le jeune scout est chargé de missions souvent importantes, soit qu’il ait été nommé « meneur de patrouille », soit tout simplement qu’on lui ait confié une tâche : intendant, gardien du matériel, secouriste, photographe ...

À plus forte raison, le « chef de troupe », habitué à diriger une trentaine de garçons, même pendant plusieurs semaines dans un camp, ne sera-t-il pas embarrassé pour accepter une fonction militaire réclamant de l’initiative.

Mais les vertus morales acquises dans le mouvement éclaireur ne sont pas moins utiles pour le futur troupier. « Le scout chante et rit dans les difficultés », dit l’article 8 de sa Loi. Au régiment, un ancien éclaireur se signale par son entrain, sa bonne humeur, sa connaissance de mille chansons, jeux de détente, « numéros » amusants pour le bivouac.

Cette guerre a permis de juger à quel point le scoutisme rend un jeune homme mieux préparé à « servir » dans la vie militaire.

En voici quelques témoignages, extraits de lettres reçues des armées :

— Le major dont je suis le secrétaire m’a dit :

« Vous êtes éclaireur, donc vous savez faire les piqûres ! ... »

— Tel autre m’avait demandé d’écrire à sa famille parce qu’il ne savait pas bien écrire ... Le pauvre avait bien attendu le départ des autres pour me demander ce petit service ... Je m’efforcerai de faire sentir à tous ce que sont les scouts ...

— D ..., m’a demandé le capitaine, vous êtes éclaireur de France ? vous savez orienter une carte ?

— Oui, mon capitaine, j’ai mon brevet de « cartographe » et celui de « guide ». C’est plus que je n’en pouvais espérer.

D’autres lettres encore :

« J’essaie de faire régner dans ma section l’esprit éclaireur, du moins sur certains points ... Comme j’ai de braves gens, ça n’est pas trop dur. On fait de l’hébertisme, au repos, et de grands jeux sportifs. »

— Je suis soldat de 2e classe. On me fait passer par tous les services, et c’est très amusant. Tour à tour, je suis à la mitrailleuse, téléphoniste, télémétreur, infirmier, dessinateur à l’occasion, professeur de gymnastique et de jeux.

Et j’ai le plaisir d’entendre : « Vous qui êtes chef éclaireur » ...

— Mon sous-lieutenant est scout de France et très sympathique. Tout va. Le moral, grâce à l’esprit de notre « route » est bon ; le foyer que j’ai été chargé de créer fonctionne à merveille ...

— Le premier dimanche où les jeunes recrues sont arrivées, le commandant de compagnie m’a fait appeler, et m’a demandé d’organiser quelque chose pour distraire les jeunes.

Comme le temps était réduit, j’ai pensé à un feu de camp. Avec l’aide de scouts de France et de quelques copains de bonne volonté, nous avons réussi à monter un programme. Au bout de dix minutes de « feu », l’atmosphère scoute était créée. Jusqu’aux officiers qui chantaient et gesticulaient avec nous !

— Au cantonnement, tous les camarades ont été ébahis par les mille trucs que le scoutisme m’a appris.

Les citations que l’armée décerne aux routiers et chefs éclaireurs sont des témoignages plus éloquents encore.

Fernand JOUBREL.

Le Chasseur Français N°600 Juin 1940 Page 346