Malgré les mesures prises par les autorités militaires et
civiles pour rendre à la terre une partie des mobilisés des vieilles classes,
et y maintenir les civils qui s’y trouvaient occupés, la main-d’œuvre reste
insuffisante dans les campagnes. Il ne faut pas trop s’en étonner.
La situation est, à ce point de vue, infiniment moins bonne
que pendant la guerre de 1914. Il nous manque ceux qui sont restés sur les
champs de bataille et qui, ayant aujourd’hui atteint la cinquantaine, auraient
pris la place de leurs enfants mobilisés. C’est maintenant surtout qu’on peut
juger de l’importance du sacrifice supporté par les campagnes, il y a
vingt-cinq ans, aggravé ensuite par l’exode vers les villes.
Or, malgré que la main-d’œuvre soit rare, les besoins à
satisfaire sont toujours aussi impérieux. Il s’agit de vivre. Les besoins sont
même beaucoup plus élevés qu’en temps de paix. Les hommes partis aux armées
mangent davantage que lorsqu’ils étaient chez eux ; la vie passée
continuellement au grand air active l’organisme et les estomacs sont plus
exigeants. D’autre part, quoi que l’on fasse et quelles que soient les mesures
prises par les services chargés du ravitaillement, l’utilisation des produits
alimentaires entraîne un certain gaspillage impossible à éviter, en raison même
de l’importance des troupes à ravitailler, de leur concentration sur une zone
restreinte, de la difficulté des transports. La guerre est une destructrice de
vies humaines, de maisons, de matériel, de marchandises de toute espèce.
Enfin si, en temps de paix, on peut compter sur les pays
étrangers pour nous fournir ce qui nous manque, en temps de guerre la situation
est toute différente. Bien que les Alliés possèdent incontestablement la
liberté des mers, l’utilisation des navires est moins bonne qu’autrefois ;
et puis les bateaux de commerce sont parfois chargés avec des cargaisons
militaires.
Il ne faut pas perdre de vue non plus que tous nos achats à
l’étranger sont payables, non pas en papier monnaie, mais en or, et qu’une
certaine prudence doit guider ceux qui autorisent ces importations. Bien que
nos réserves d’or soient considérables, elles ne sont pas inépuisables et nous
devons administrer notre fortune nationale avec habileté. C’est pour cela qu’il
faut faire des économies, afin de réduire nos achats à l’étranger dans toute la
mesure du possible.
C’est aussi pour cela que nous devons nous efforcer de
produire au maximum, de ne laisser aucune terre inculte et de lever
soigneusement toutes nos récoltes afin que rien de ce qui est utilisable soit
perdu.
Mais comment arriver à ces résultats avec une main-d’œuvre
agricole restreinte ? La seule solution se trouve dans l’entr’aide qui
doit devenir la règle pour tous.
En temps de paix, cette entr’aide était déjà pratiquée dans
bien des régions, notamment aux époques de gros travaux. Les voisins se
prêtaient la main au moment des battages pour constituer les équipes qui
suivaient la machine à battre, au moment des fenaisons et des vendanges. Mais
cette aide avait le plus souvent la forme d’un échange de main-d’œuvre, d’un
prêté pour un rendu. Il n’était pas question de rétribuer par un salaire celui
qui rendait momentanément service ; il était convenu qu’on viendrait à son
aide dans une autre circonstance.
Aujourd’hui, l’entr’aide devient, non plus un service qu’on
se rend entre amis, mais une obligation imposée par l’intérêt national.
Il importe avant tout de tirer du sol tout ce qu’il peut
nous donner, malgré les difficultés résultant de l’état de guerre. Il faut
intensifier, non seulement la production végétale, mais aussi la production
animale ; augmenter le nombre des bovins, des porcins, accroître
l’importance de la basse-cour.
Les moyens en main-d’œuvre étant diminués, il faut donc
changer les méthodes de travail, faire appel à la bonne volonté de tout le
monde et faire face à une situation nouvelle, par des dispositions nouvelles.
Dans cette tâche d’adaptation, les Comités communaux de la main-d’œuvre
agricole ont un rôle primordial à remplir.
La première chose à faire nous paraît être de rechercher,
dans la commune, les personnes susceptibles de montrer l’exemple ou de servir
de guides. Cela est surtout important dans les régions où les fermes sont
groupées en hameaux souvent éloignés de l’agglomération centrale où se trouve
la mairie. Ces délégués du Comité communal recevront de celui-ci les directives
et s’efforceront de les mettre en œuvre. En se réunissant assez souvent sous la
présidence du maire, président du Comité, ils pourront échanger leurs idées,
faire connaître les besoins à satisfaire dans leur secteur respectif et prendre
en commun les dispositions appropriées pour remédier aux difficultés
rencontrées.
Nous pourrions citer en exemples plusieurs communes où cette
organisation donne d’excellents résultats et où tous les terrains susceptibles
de donner une récolte convenable ont été ensemencés cet hiver. Seuls, les
mauvais terrains ont été abandonnés, pour l’instant.
L’entr’aide a joué au maximum et tout le monde a fait preuve
de la meilleure volonté, mettant en commun main-d’œuvre, attelages et
instruments de culture.
On a commencé par dresser un inventaire des travaux à
effectuer, en considérant en première ligne les fermes des mobilisés, celles où
il ne restait plus que des femmes ou des vieillards. En regard des besoins à
satisfaire, on a dressé une liste des travailleurs disponibles, puis le travail
a été réparti. Les femmes ont repris courage et aujourd’hui le moral est
excellent.
Il doit en être de même dans tous les villages de France,
car ce que nous avons vu peut et doit s’appliquer partout.
Dans les communes où la nécessité d’apporter l’entr’aide ne
serait pas encore bien comprise, les Comités communaux ont le devoir de la
rendre obligatoire un ou deux jours par semaine de la part des agriculteurs des
classes 1912, 13, 14 et 15 renvoyés chez eux en qualité de mobilisés à la
terre. Elle peut être aussi imposée à tous les permissionnaires agricoles, aux
détachés temporaires, aux chefs d’exploitations placés en affectation,
spéciale. Tous doivent à la collectivité le temps qu’ils ne consacrent pas à
leurs travaux personnels. C’est un devoir auquel ils ne peuvent pas se
soustraire et, au cas où ils auraient la mauvaise grâce de refuser de répondre
à un appel qui leur serait adressé par le Comité communal, ils pourraient
encourir le risque d’être l’objet d’une sanction disciplinaire de la part de
l’officier contrôleur de la main-d’œuvre, sanction pouvant se traduire par le
renvoi au corps et la suppression de toutes permissions pendant un an.
Il y a des cas où l’entr’aide sera apportée par des ouvriers
agricoles ou par de petits exploitants dont les ressources sont modestes. Il
est juste qu’ils soient rétribués, mais sur des bases raisonnables que le
Comité communal pourra fixer s’il le juge utile. Le même Comité pourra aussi
intervenir auprès des agriculteurs pour leur conseiller de ne pas débaucher les
ouvriers en leur offrant des salaires plus élevés. En temps de guerre, les
disciplines doivent être respectées, si elles sont imposées dans l’intérêt
général.
P. GUIGNOT,
Ingénieur agronome.
|