En se rendant à la Côte d’Ivoire par la mer, avant d’aborder
à Bassam, on passe devant plusieurs petites rades de la côte : Tabou, près
de l’embouchure du Cavally, qui forme la frontière de la République de
Libéria ; Béréby, San Pedro, Sassandra où l’on construit un wharf qui
facilitera l’écoulement des productions du riche arrière-pays ;
Fresco-Lahoü au bord d’une belle lagune, à la sortie du Bandama ;
Grand-Bassam et Port-Bouet, les deux rades équipées pour l’importation et pour
l’exportation, et dont les aménagements seront bientôt insuffisants ;
enfin, plus loin, au débouché de la lagune Aby, Assinie, non loin de la
frontière anglaise de la Gold Coast.
C’est à Grand-Bassam que le voyageur débarque. Ce fut la
première capitale de la colonie, avant Bingerville et Abidjan, l’actuel siège
du gouvernement local. Comme dans les autres colonies du groupe, la capitale
est excentrique dans l’Est, elle est aussi littorale. Cette situation au bord
de la mer se comprenait autrefois ; mais l’intérêt du trafic
métropolitain, jadis concentré dans les ports, s’est porté depuis vers
l’intérieur, où devrait être installé le chef-lieu administratif, surtout avec
les facilités actuelles des communications. Bouaké, sur la ligne de chemin de
fer vers le Soudan, serait un point central tout à fait indiqué. Abidjan, la
nouvelle élue depuis 1934, sur les lagunes Ebrié, qui, par leur réunion,
forment un cordon aquatique de 300 kilomètres, en longueur, bien utile
pour l’évacuation des marchandises vers le port maritime, est véritablement une
ville champignon qui prend rapidement une grande extension, et qui est appelée
à devenir une rade intérieure. C’est, dès maintenant, une base aéronautique où
se posent régulièrement les avions amphibies de la Compagnie aéro-maritime Dakar-Pointe-Noire
en Afrique Équatoriale française, ligne en correspondance à Dakar avec celle de
l’Amérique du Sud, de sorte que, par la poste aérienne, la Côte d’Ivoire est
reliée à la France en quatre jours. Éclatant de blancheur sous le soleil,
dominant l’immense lagune, le palais du Gouvernement symbolise la force
française. Sur le devant de la ville, le lac s’étale en s’allongeant vers
l’Ouest ; sur l’autre rive, à une distance de 1 à 3 kilomètres, on
aperçoit une bande de sable jaunâtre, au delà, la mer et le blanc remous de la
barre. La lagune est très profonde, et la première idée qui vient à l’esprit
est qu’il devrait suffire de percer un large chenal, reliant le plan d’eau
intérieur à la mer libre, pour avoir, situation exceptionnelle sur cette côte
occidentale d’Afrique, une rade naturelle intérieure, accessible aux navires de
tout tonnage. L’ensablement, lent mais progressif, est à craindre ; mais
un trou sans fond découvert permet de résoudre techniquement cette difficulté à
laquelle on s’est heurté dans le passé et qui a rendu infructueux les essais
antérieurs de percement. Le capitaine du génie Crosson-Duplessis étudiait la
question dès 1899. On a hésité aussi devant la dépense qui, à l’époque,
apparaissait trop considérable. La technique portuaire a progressé, de nouveaux
travaux avec de nouveaux moyens ont été entrepris et sont poussés. Le chenal
est déjà creusé sur 200 mètres ; il doit être achevé en 1942, et suivant
ces mêmes prévisions, le nouveau port, en 1945, disposera de 450 mètres de
quai (1). La mise en service d’un tel instrument de transit ne peut
qu’avoir une influence considérable sur le développement d’une jeune colonie en
plein essor ; son action bienfaisante se fera sentir au loin, jusqu’à
l’intérieur de la boucle Niger, dans la région du Niger Moyen. Sa situation
géographique, jointe aux facilités qu’il donnera, en fera l’exutoire naturel,
obligé de ces pays soudanais. Il est donc appelé, une fois terminé et muni de
tout son équipement, au plus grand avenir. C’est vers lui que convergeront tous
les produits transportés par le chemin de fer de pénétration, amenés sur les
lagunes littorales, apportés par les camions automobiles venant de l’Indenie
(cacao). C’est là que transitera le principal des importations.
À quelques kilomètres, sur la lagune, le village modèle
indigène de Treichville (du nom de Treich-Laplène, agent de la maison Verdier),
mérite une visite avec ses larges avenues, son marché couvert, son hôpital
indigène. C’est une belle « réalisation ». Plus loin, à 17 kilomètres,
par une route splendide à travers la haute forêt, Bingerville, l’ancienne
capitale. Pour avoir été en tant que telle abandonnée, Bingerville ne subit, de
ce fait, aucune déchéance. Dans son cadre d’une nature admirable de beauté et
de grandeur, on a fait une sorte de petite ville universitaire, et ceci
n’aurait pas déplu à Binger. Profitons de notre séjour en ce centre
intellectuel qui pourrait s’agrandir facilement de laboratoires bien aménagés
pour les savants et les chercheurs installés dans un superbe palais bien situé,
pour reconstituer, à grands, à très grands traits, l’histoire de notre
occupation de la Côte d’Ivoire.
À la fin du Second Empire, nous ne possédions, sur la partie
du littoral du golfe de Guinée qui a pris par la suite le nom de Côte d’Ivoire,
que deux « établissements »: Assinie et Grand-Bassam, et le fort de
Dabou construit par Faidherbe (1853). En 1878, la garde du pavillon français
fut confiée, avec les fonctions de Résident, à un négociant de la Rochelle,
M. Verdier, qui possédait des comptoirs dans le pays. Ses agents ne se
confinaient pas dans leurs occupations commerciales, et l’un d’eux,
Treich-Laplène, explora l’Indénie et fut envoyé à la recherche de Binger qu’il
rencontra à Kong. En somme, l’opinion en France se désintéressa de la Côte
d’Ivoire. Mais il n’en fut plus de même lorsque furent connus les résultats du
voyage de Binger. Un commencement d’organisation est donné aux
« Établissements français de la Côte de l’Or ». En août 1889, une
convention franco-anglaise fixe provisoirement les limites des deux colonies.
Cette convention sera complétée par la suite en 1891 et en 1893. Les frontières
avec le Libéria avaient été déterminées en 1892. Binger devient le premier
gouverneur de la « Côte d’Ivoire ».
La pénétration politique du pays commence, mais se heurte à
des difficultés du fait même de la forêt qui couvre, d’Est en Ouest, une grande
partie de la colonie et de la dissémination des tribus. Des officiers, des
administrateurs, avec de faibles moyens, obtiennent bien des soumissions
fragmentaires, mais insuffisantes.
Dès 1892, on sent dans les régions septentrionales l’action
de Samory. En février de cette année, le capitaine Ménard est tué dans une
rencontre (à Séguéla), avec un lieutenant de Samory. En 1894, le capitaine
Marchand, qui allait devenir le glorieux chef de la mission Congo-Nil, signale
des bandes samoryennes aux environs de Kong. Une colonne est envoyée contre
Samory (colonne Monteil), mais elle ne put exploiter ses premiers succès. Et
Samory, jusqu’à sa capture, ne quittera plus guère les territoires Nord de la
Côte d’Ivoire. Il ne restait plus qu’à assurer la pacification réelle de la
poussière de tribus de la forêt, et ce n’était pas chose facile. Somme toute,
la formation de la Côte d’Ivoire, vis-à-vis des populations autochtones, avait
été opérée pacifiquement, et l’obéissance des tribus ne s’obtenait pas sans
difficulté de la part d’indigènes ne respectant que la force. Et, si des
désobéissances, des résistances, des révoltes se produisaient, elles étaient
sporadiques, sans lien entre elles. Mais on pouvait toujours craindre, dans
certaines régions, qu’elles se généralisassent.
(À suivre.)
G. FRANÇOIS.
(1) Ces prévisions datent d’un an avant la guerre.
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