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Le dogue de Bordeaux

La race qui va être décrite est une des plus belles et des plus anciennes de France, et il faut à certains auteurs anglais une singulière dose d’ignorance ou de mauvaise foi pour prétendre que le Dogue de Bordeaux est un croisement du Mastiff et du Bull-Dog.

À la vérité, s’il existe une incontestable ressemblance entre le chien bordelais et le Mastiff, leur origine n’est point la même. Alors que ce dernier descend des molosses grecs, au corps puissant, aux formes épaisses, qui, venus de l’Épire, furent importés à Rome et participèrent souvent aux jeux de cirque, le dogue français existait déjà dans le Sud-Ouest au temps de Gaston Phœbus, qui célébrait son courage à la chasse de l’ours et du sanglier. Dans notre ancienne langue, on le désignait sous le nom d’« allant » ou d’« alan » et, si l’on en croit les érudits, il aurait été amené dans nos pays par les Alains, peuplade issue des confins orientaux de l’Europe, qui vint se fixer, à l’époque des grandes invasions, au nord de l’estuaire de la Gironde. Peut-être descend-il simplement du molosse des Celtes, le compagnon fameux de nos aïeux chasseurs d’aurochs, et l’on ne peut se défendre de reconnaître en lui le dogue d’Aquitaine des chroniques médiévales, et de le rapprocher du dogue espagnol, dont la lignée se perd, elle aussi, dans la nuit des temps.

Quoi qu’il en soit, ce chien a une physionomie très accentuée et caractéristique. C’est un véritable colosse, au torse puissant, aux formes trapues et musclées, qui mesure de 60 à 75 centimètres et pèse de 45 à 50 kilogrammes. La longueur mesurée de la nuque à la base de la queue est à peu près égale au périmètre thoracique.

Sa tête, d’un volume considérable (dans sa plus grande largeur, elle a un périmètre égal à la taille au garrot) est large et courte. Le front, assez haut, est divisé en deux par une dépression médiane longitudinale, qui accentue la saillie des arcades sourcilières et des muscles crotaphites, et la peau de la région forme des plis volumineux qui s’étendent jusque sur les joues.

Les yeux, grands et bruns, sont peu saillants. Quoi qu’on en ait dit, on ne doit pas voir la muqueuse conjonctive plus ou moins injectée, car il s’agit là d’une infirmité (ectropion) et non d’un caractère ethnique.

Les oreilles, de dimensions moyennes, sont plantées haut et tombantes, tout en laissant visible l’intérieur de la conque. Le museau, épais et court, carré, relié à la région frontale par une cassure bien prononcée, se termine par une larges-truffe sombre, légèrement en retrait de la verticale tangente aux incisives médianes. Il supporte des mâchoires puissantes, plantées de dents à la taille impressionnante, et pourvues de lèvres fortes mais non tombantes. La mâchoire inférieure doit dépasser légèrement la supérieure, sans atteindre cependant le prognathisme outrancier du Bull-Dog, et la bouche doit se fermer parfaitement.

Le cou, court, énorme et musclé, pourvu de plis de peau en forme de fanons, se soude, par un garrot bien marqué, au dos et au rein, larges, forts et d’une rectitude absolue. Sur la poitrine, profonde et bien descendue, s’appliquent des épaules aux saillies musculaires fermement dessinées. En arrière, le ventre est peu arrondi, presque rétracté, la croupe est assez oblique, et la queue, volumineuse à la base, effilée à l’extrémité, descend jusqu’au jarret en esquissant une légère courbe à sa pointe.

Quant aux membres, ils sont épais et pourvus, eux aussi, d’une forte musculature ; ils sont régulièrement d’aplomb, mais, chez les sujets à très large poitrail, on ne considère pas comme un défaut la convergence des membres de devant vers leurs extrémités inférieures. Celles-ci comportent des pâturons courts, terminés par des pieds gros, à doigts forts.

Le poil, ras et court, doux au toucher, brillant, est de couleur fauve, depuis le fauve clair, isabelle, jusqu’à la teinte acajou ; mais c’est la nuance fauve doré, chaude (abricot) qui est la plus estimée. On tolère quelques taches blanches aux pattes et au poitrail, mais la robe unicolore doit être préférée.

Trop longtemps abandonnée aux fantaisies de quelques éleveurs méridionaux, plus riches de bonne volonté que de science zootechnique, malencontreusement adultérée par des croisements de Mastiff, la race n’a vraiment été l’objet d’une rigoureuse sélection que dans ces quarante dernières années. Il ne faut pas s’étonner si elle manque un peu d’homogénéité et si nombre de sujets ne sont pas conformes au type idéal. On rejettera notamment ceux dont la tête manque de volume, est longue et sèche, sans saillies musculaires, avec un museau étroit et pointu, ou dont la face est exagérément écrasée comme celle du Bull-Dog. De même, un cou grêle, un garrot noyé, une épaule plate, un dos ensellé, une queue relevée, portée sur le côté, ou courte et tordue comme celle du Bouledogue français, les pattes infléchies par le rachitisme, la présence d’ergots aux extrémités, sont des défauts que les juges des expositions ne doivent pas pardonner, car ils indiquent souvent que des croisements inconsidérés sont venus altérer les qualités et la conformation si expressive et si caractéristique du Dogue de Bordeaux. La question de la teinte du masque est plus controversée et quelques compétences admettent le masque noir, qui, pourtant, indique la présence de sang mastiff.

Bâti comme un colosse, bien composé, harmonieux, ce magnifique athlète a l’humeur la plus tranquille du monde. Il n’est point belliqueux, et n’a pas, à l’égard de ses congénères, la brutalité et la méchanceté du Grand Danois.

Affectueux, soumis, attaché à son maître, dont il recherche les caresses, il est d’un dressage facile. Il acquiert alors des qualités incomparables de chien de défense et de garde courageux jusqu’à la mort ; d’une puissance formidable, il est de taille à faire reculer les pires malandrins, dont il pourrait broyer les membres dans l’effroyable tenaille de ses mâchoires.

Le Dogue de Bordeaux n’est point un chien de fantaisie. On ne se représente pas bien sa personnalité un peu encombrante se prélassant sur les coussins de la huit-cylindres, ou assistant dans le boudoir à la toilette de sa maîtresse. Mais les individus en quête d’un mauvais coup ne se risqueront point, en votre absence, à aller expertiser votre argenterie ou à vérifier la serrure de votre coffre-fort, si, derrière la grille du parc ou de la villa, apparaît, paisible, mais attentive, la silhouette imposante, aux lourdes babines et au mufle puissant, de ce fidèle gardien.

V. R.

Le Chasseur Français N°601 Septembre 1941 Page 401