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La loutre

Un terrible ennemi du pêcheur (1).

d. Où placer les pièges ?

— Quand nous avons parlé de l’affût de la loutre, au fusil, nous avons fait observer que le chasseur qui, pour l’attendre, se placerait à un endroit quelconque de la berge, sans étude préalable des lieux, aurait peu de chances de voir et tirer ce mustélidé. De même, l’efficacité de pièges posés au hasard serait sans doute à peu près nulle. Il est donc nécessaire que le piégeur connaisse les passages habituels de la loutre, et c’est cette connaissance qui importe pour les résultats.

En parlant des mœurs de la loutre, nous avons indiqué que ce mustélidé, comme d’autres animaux de rapine du reste, avait l’habitude de suivre assez souvent le même itinéraire pour se rendre à la rivière ou regagner son gîte après sa pêche nocturne. À force de passer et repasser aux mêmes endroits, il finit par tracer sur le sol, au travers de la végétation, des sortes de petits chemins plus ou moins apparents qu’en langage de chasseurs on dénomme des coulées.

Pour le piégeur, la recherche des coulées est de première importance, puisqu’il posera ses pièges sur une partie choisie de leur tracé ou tout prés de leur aboutissement à la rivière. Mais, si ces coulées peuvent être assez facilement découvertes, seul l’initié pourra nous dire : « Voici le chemin habituel de la loutre, et là seulement nous placerons nos pièges. » Et c’est alors la difficulté : savoir distinguer les traces de la loutre de celles des autres animaux de rapine. Voici le résumé de ce que j’ai pu apprendre :

Quand on inspecte attentivement les coulées, on remarque que les empreintes des pieds des animaux qui les ont suivies ne peuvent s’observer que dans d’assez rares endroits. Dans les herbes, la foulure des végétaux ne nous indiquera jamais la vraie nature de l’animal noctambule. Par l’ampleur de la coulée, pourrons-nous tout au plus conjecturer de sa taille. Sur un sol dur, aucune empreinte ne peut se former ; dans la boue, elle s’imprime instable, s’altère et se déforme en peu de temps. Pour ... « en revoir », comme on dit en vénerie, il faut se trouver en présence d’un sol gras humide, plastique comme de la glaise, sans être boueux. Malheureusement, ces endroits-là sont loin d’exister partout, et il faudra un temps assez long pour les découvrir.

Ceci posé, il faut remarquer qu’il n’y a guère, dans nos contrées, qu’un seul animal de rapine dont les traces puissent être confondues avec celles de la loutre : c’est le blaireau. D’abord, parce que, à cause de sa taille, la grosseur du pied peut égaler ou même surpasser celle du pied de la loutre et, en second lieu, parce que, tout comme chez cette dernière, l’empreinte du pied comporte cinq doigts et cinq griffes.

Quand la trace du blaireau est bien marquée, on distingue nettement sur la terre molle six cuvettes ou enfoncements ; la plus grande et la plus profonde est formée par la plante charnue du pied ; en avant d’elle et en éventail se voient cinq cuvettes plus petites et plus allongées, qui sont les empreintes des cinq doigts.

Les griffes du blaireau, animal fouisseur, sont fortes, longues, recourbées ; leur pointe entre profondément dans le sol mou et s’y imprime par cinq trous qui ne touchent pas tout à fait les petites cuvettes, mais en sont éloignés de un à deux centimètres selon la taille de l’animal.

La loutre a une trace qui ressemble à celle du blaireau ; elle paraît néanmoins plus arrondie, plus large ; les petites cuvettes sont moins profondes et plus écartées entre elles. Mais les griffes de la loutre étant bien plus petites que celles du blaireau, le plus souvent, leur empreinte est à peine marquée, et il n’existe pas d’intervalle entre le petit trou imprimé par leur pointe et la petite cuvette résultant de la pression de la partie charnue du doigt ; sur la terre molle, cuvettes et griffes se touchent.

La loutre ayant les pattes palmées, j’exprimai à mon ami le piégeur mon étonnement de ne pas voir trace de cette palmure comme parfois pour les canards sûr les empreintes des nombreux pieds de loutre qu’il me montrait un jour. Il me répondit qu’il était fort rare de la constater, car la peau qui la forme est molle, peu tendue et ne peut s’imprimer que si les doigts de l’animal sont très écartés et qu’ils se soient appuyés avec force sur le sol glaiseux ; on peut alors remarquer un mince liséré reliant entre elles les petites cuvettes.

La trace du renard, celle du chat, sauvage ou domestique, qui ne comportent que quatre doigts, ne peuvent être confondues avec celle de la loutre.

Encore moins ne ressemblent à l’empreinte des pieds de la loutre, celles des pieds des autres mustélidés. La martre, la fouine, etc., n’impriment aussi, sur le sol, que la trace de quatre doigts et assez serrés.

En possession de ces indications, le piégeur arrive à reconnaître avec certitude celles des coulées que la loutre fréquente.

Quand il s’agira pour lui d’opérer sur terre, il posera ses pièges sur le tracé de la coulée à l’endroit qu’il jugera le plus favorable, généralement très près de la rivière, en n’oubliant aucune des précautions que nous avons déjà signalées. Nous nous permettrons d’ajouter qu’il est préférable que la ligne des axes et le ressort qui se trouve sous les mâchoires soient parallèles aux bords de la coulée et non perpendiculaires à ceux-ci ; en d’autres termes, ils ne barreront pas la coulée transversalement. En effet, l’animal qui suivrait la coulée et poserait sa patte sur la palette pourrait voir ledit membre violemment rejeté hors du piège lors du déclenchement subit des mâchoires et celles-ci se refermer à vide. Au contraire, si le piège est posé comme indiqué, la patte qui appuiera sur la palette sera fortement saisie par les deux arcs de cercle se refermant sur elle latéralement.

Dans l’eau, le piège sera placé le plus près possible de l’endroit où une montée de loutre aura pu être observée. Le plus souvent, son emplacement se trouvera à moins d’un mètre du point où la bête a pris l’habitude d’aborder la berge, quand elle arrive par la rivière pour prendre terre. Il est même à conseiller, si l’on a pu situer un de ces points avec certitude, d’y placer deux pièges, le premier près du bord, recouvert par l’eau, et le second sur terre, à peu de distance de l’amorce de la coulée.

(À suivre.)

R. PORTIER.

(1) Voir numéros 595 et suivants.

Le Chasseur Français N°601 Septembre 1941 Page 403