d. Où placer les pièges ?
— Quand nous avons parlé de l’affût de la loutre, au
fusil, nous avons fait observer que le chasseur qui, pour l’attendre, se
placerait à un endroit quelconque de la berge, sans étude préalable des lieux,
aurait peu de chances de voir et tirer ce mustélidé. De même, l’efficacité de
pièges posés au hasard serait sans doute à peu près nulle. Il est donc
nécessaire que le piégeur connaisse les passages habituels de la loutre, et
c’est cette connaissance qui importe pour les résultats.
En parlant des mœurs de la loutre, nous avons indiqué que ce
mustélidé, comme d’autres animaux de rapine du reste, avait l’habitude de
suivre assez souvent le même itinéraire pour se rendre à la rivière ou regagner
son gîte après sa pêche nocturne. À force de passer et repasser aux mêmes
endroits, il finit par tracer sur le sol, au travers de la végétation, des
sortes de petits chemins plus ou moins apparents qu’en langage de chasseurs on
dénomme des coulées.
Pour le piégeur, la recherche des coulées est de première
importance, puisqu’il posera ses pièges sur une partie choisie de leur tracé ou
tout prés de leur aboutissement à la rivière. Mais, si ces coulées peuvent être
assez facilement découvertes, seul l’initié pourra nous dire :
« Voici le chemin habituel de la loutre, et là seulement nous placerons
nos pièges. » Et c’est alors la difficulté : savoir distinguer les
traces de la loutre de celles des autres animaux de rapine. Voici le résumé de
ce que j’ai pu apprendre :
Quand on inspecte attentivement les coulées, on remarque que
les empreintes des pieds des animaux qui les ont suivies ne peuvent s’observer
que dans d’assez rares endroits. Dans les herbes, la foulure des végétaux ne
nous indiquera jamais la vraie nature de l’animal noctambule. Par l’ampleur de
la coulée, pourrons-nous tout au plus conjecturer de sa taille. Sur un sol dur,
aucune empreinte ne peut se former ; dans la boue, elle s’imprime
instable, s’altère et se déforme en peu de temps. Pour ... « en
revoir », comme on dit en vénerie, il faut se trouver en présence d’un sol
gras humide, plastique comme de la glaise, sans être boueux. Malheureusement,
ces endroits-là sont loin d’exister partout, et il faudra un temps assez long
pour les découvrir.
Ceci posé, il faut remarquer qu’il n’y a guère, dans nos
contrées, qu’un seul animal de rapine dont les traces puissent être confondues
avec celles de la loutre : c’est le blaireau. D’abord, parce que, à cause
de sa taille, la grosseur du pied peut égaler ou même surpasser celle du pied
de la loutre et, en second lieu, parce que, tout comme chez cette dernière,
l’empreinte du pied comporte cinq doigts et cinq griffes.
Quand la trace du blaireau est bien marquée, on distingue
nettement sur la terre molle six cuvettes ou enfoncements ; la plus grande
et la plus profonde est formée par la plante charnue du pied ; en avant
d’elle et en éventail se voient cinq cuvettes plus petites et plus allongées,
qui sont les empreintes des cinq doigts.
Les griffes du blaireau, animal fouisseur, sont fortes, longues,
recourbées ; leur pointe entre profondément dans le sol mou et s’y imprime
par cinq trous qui ne touchent pas tout à fait les petites cuvettes, mais en
sont éloignés de un à deux centimètres selon la taille de l’animal.
La loutre a une trace qui ressemble à celle du
blaireau ; elle paraît néanmoins plus arrondie, plus large ; les
petites cuvettes sont moins profondes et plus écartées entre elles. Mais les
griffes de la loutre étant bien plus petites que celles du blaireau, le plus
souvent, leur empreinte est à peine marquée, et il n’existe pas d’intervalle
entre le petit trou imprimé par leur pointe et la petite cuvette résultant de
la pression de la partie charnue du doigt ; sur la terre molle, cuvettes
et griffes se touchent.
La loutre ayant les pattes palmées, j’exprimai à mon ami le
piégeur mon étonnement de ne pas voir trace de cette palmure comme parfois pour
les canards sûr les empreintes des nombreux pieds de loutre qu’il me montrait
un jour. Il me répondit qu’il était fort rare de la constater, car la peau qui
la forme est molle, peu tendue et ne peut s’imprimer que si les doigts de
l’animal sont très écartés et qu’ils se soient appuyés avec force sur le sol
glaiseux ; on peut alors remarquer un mince liséré reliant entre elles les
petites cuvettes.
La trace du renard, celle du chat, sauvage ou domestique,
qui ne comportent que quatre doigts, ne peuvent être confondues avec celle de
la loutre.
Encore moins ne ressemblent à l’empreinte des pieds de la
loutre, celles des pieds des autres mustélidés. La martre, la fouine, etc.,
n’impriment aussi, sur le sol, que la trace de quatre doigts et assez serrés.
En possession de ces indications, le piégeur arrive à
reconnaître avec certitude celles des coulées que la loutre fréquente.
Quand il s’agira pour lui d’opérer sur terre, il posera ses
pièges sur le tracé de la coulée à l’endroit qu’il jugera le plus favorable,
généralement très près de la rivière, en n’oubliant aucune des précautions que
nous avons déjà signalées. Nous nous permettrons d’ajouter qu’il est préférable
que la ligne des axes et le ressort qui se trouve sous les mâchoires soient
parallèles aux bords de la coulée et non perpendiculaires à ceux-ci ; en
d’autres termes, ils ne barreront pas la coulée transversalement. En effet, l’animal
qui suivrait la coulée et poserait sa patte sur la palette pourrait voir ledit
membre violemment rejeté hors du piège lors du déclenchement subit des
mâchoires et celles-ci se refermer à vide. Au contraire, si le piège est posé
comme indiqué, la patte qui appuiera sur la palette sera fortement saisie par
les deux arcs de cercle se refermant sur elle latéralement.
Dans l’eau, le piège sera placé le plus près possible de
l’endroit où une montée de loutre aura pu être observée. Le plus souvent, son
emplacement se trouvera à moins d’un mètre du point où la bête a pris
l’habitude d’aborder la berge, quand elle arrive par la rivière pour prendre
terre. Il est même à conseiller, si l’on a pu situer un de ces points avec
certitude, d’y placer deux pièges, le premier près du bord, recouvert par
l’eau, et le second sur terre, à peu de distance de l’amorce de la coulée.
(À suivre.)
R. PORTIER.
(1) Voir numéros 595 et suivants.
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