Dans notre causerie de juin, nous avions entretenu nos
lecteurs de la question des gazogènes. Nous ne pensions pas, alors que les
événements allaient se précipiter et poser des problèmes aussi redoutables aux
pouvoirs publics et aux usagers. Nous laisserons donc de côté, aujourd’hui, la
traction au charbon de bois et au bois pour nous occuper de la traction
électrique.
Celle-ci n’est pas nouvelle. En 1881, à Paris, on vit
apparaître un véhicule, plus ou moins hétéroclite, et qui fonctionnait à
l’électricité. Dès 1893, les premiers fiacres équipés avec 48 accumulateurs
firent leur apparition. Le moteur était un modeste 3 CV, 3 CV
mécaniques si l’on peut dire. Il ne faut pas oublier, en effet, que l’on peut
propulser électriquement dans des conditions normales pour l’électricité, mais
non pour l’essence, une Simca Cinq ou une Rosengart avec un moteur de 3 CV
et demi et une 9 ou 11 CV Citroën avec un moteur électrique de 5 CV
et demi. Le rendement de ce dernier, comme chacun sait, est tout différent du
rendement du moteur à essence. Mais les 400 kilogrammes d’accus disposés
sur le fiacre de nos pères ne permettaient guère qu’un rayon d’action de 32 kilomètres,
à une vitesse de 15 kilomètre à l’heure.
Pourtant les chercheurs s’attelèrent à la besogne et, dès
1900, l’essor prodigieux de l’électricité aidant, certains augures ne jurèrent
que par la traction électrique. Pourtant toute la question était liée en
quelque sorte à la légèreté des batteries d’accus. Les premières batteries
légères au ferronickel donnèrent même un regain d’actualité à ce mode de
traction spécifiquement français. Puis, plus rien, tout au moins dans la
voiture de tourisme ; cependant, certaines maisons n’avaient pas abandonné
leurs premières idées, notamment pour le véhicule industriel, où la question de
poids mort n’est pas si obsédante.
C’est que le châssis électrique est d’une construction
particulièrement simple et robuste.
Ici, on ne rencontre qu’un moteur électrique, qui ne se
trouve pas sous le capot, mais au droit du pont arrière. Pour les véhicules de
gros tonnage, deux moteurs, chacun d’eux attaquant directement soit l’arbre du
pont correspondant, soit la roue par l’intermédiaire de chaînes. Ainsi, plus
d’embrayage, plus de boîte à vitesses. L’embrayage est remplacé par le
contacteur, et la boîte par le rhéostat ; la souplesse connue du moteur
électrique « série » fait le reste.
Pourquoi le prix d’un tel châssis est-il presque le double
de celui du véhicule propulsé à l’essence ? Tout d’abord la construction
en grande série n’a pas encore dit son mot dans l’affaire ; ensuite, il y
a le prix élevé des accumulateurs au plomb, auxquels il faut faire appel pour
emmagasiner l’énergie. Le moteur électrique est robuste par excellence, ses
paliers étant ses seuls organes mécaniques. Le reste, bobinages, ne cèdent
qu’en cas de maladresse, de surcharge ou de faute lourde. Pas d’ensembles
présentant des mouvements alternatifs si difficiles à faire durer ;
pistons, bielles, etc. Pas de frottement provenant de vilebrequins, de
cylindres, etc. Pas de problème de graissage. Et pourtant ce terrible
dilemme : dès que l’on veut accroître la vitesse, ou le parcours sans
recharge, il faut mettre du poids mort sur le véhicule, sous la forme
d’accumulateurs. Comme le poids de ceux-ci est proportionnel à leur capacité en
ampères-heure, le problème, tel qu’on se le pose habituellement, n’est guère
soluble. Il faut donc, dans l’état de la technique actuelle, faire appel à la
traction électrique sous des conditions bien déterminées, service urbain par
exemple. Ainsi les camions électriques de 800 kilogrammes à 6 tonnes
ne peuvent guère se mouvoir sans recharge qu’entre 50 et 75 kilomètres, et
encore ... Pour un poids mort, châssis et carrosserie, de deux tonnes, il
faut faire appel à un poids presque équivalent de batteries d’accumulateurs si
l’on veut obtenir un rendement acceptable.
La charge des batteries devra avoir lieu de nuit, au moment
des heures creuses, pour bénéficier d’un tarif réduit. Pendant les heures de
repos de la journée, on pourra leur donner un complément de nourriture. Ce
petit appoint soulage considérablement le travail des batteries et leur permet
d’atteindre la fin de leur journée d’effort sans les mettre « à
plat », ce qui est très dangereux pour leur longévité.
À la déclaration de guerre, il y avait environ 500 véhicules
industriels fonctionnant à l’électricité, et pour ainsi dire pas du tout de
voitures de tourisme.
Depuis juin, certaines usines spécialisées redoublent
d’efforts dans leur fabrication ; c’est ainsi qu’une de celles-ci présente
une camionnette de 700 kilogrammes équipée d’un moteur électrique de 3 CV,
une de 1.500 kilogrammes avec 5 CV, un camion de deux tonnes et demie
avec 6 CV et enfin de 5 tonnes avec deux moteurs de 6 CV.
La vitesse horaire des camionnettes est de l’ordre de 25 à
30 kilomètres à l’heure, celle des camions de 20 à 25 kilomètres-heure.
Évidemment, cela peut paraître un peu maigre à nous qui étions habitués aux 70
et 80 kilomètres-heure, mais, à défaut ...
La recharge aussi demande quelques préparations. Il s’agit
de transformer tout d’abord le courant alternatif, presque général de nos
jours, en courant continu. Comme l’ampérage à emmagasiner est respectable dans
le cas des véhicules lourds, il faudra faire appel à des commutatrices d’une
puissance suffisante. Un poste de recharge doit être public pour pouvoir
s’amortir. Il importera donc pour l’avenir de les multiplier.
Le prix de revient du kilomètre traction électrique est de
l’ordre, dans l’état actuel des choses, de 2 francs à 2 fr. 50
pour un véhicule utilitaire de moyenne puissance.
On a cherché, ces temps derniers, à faire appel à
l’électricité pour la substituer à l’essence dans les voitures de faibles
cylindrées déjà construites. En d’autres termes, pour faire, comme avec le
gazogène, de l’adaptation. Les voitures extralégères présentées ces dernières
années s’y sont assez bien prêtées. C’est ainsi que des constructeurs, sur des
véhicules tels que Simca Cinq, traction avant Citroën, Rosengart, 202 Peugeot,
etc., retirent le moteur à essence pour y adapter un moteur électrique dont la
puissance varie de 3 CV et demi à 5 CV et demi. On ne garde que
l’embrayage, la boîte de vitesses et le pont. Le voltage est de 48 volts :
quatre batteries de 24 volts. La mise en marche se fait à l’aide d’un
contacteur qui lance le moteur à 800 tours ; on joue de l’embrayage et de
la boîte de vitesses, puis, une fois en prise, à l’aide d’un rhéostat, on porte
la vitesse du moteur de 800 à 1.400 tours. Le poids des accus est de l’ordre de
250 à 300 kilogrammes, suivant le type de la voiture.
La vitesse de la voiture est réglée à 49 kilomètres à
l’heure et le rayon d’action maximum est de l’ordre de 80 kilomètres
environ. Ce n’est déjà pas si mal. Autre fait intéressant, si l’on dispose de
courant continu, on peut effectuer directement la recharge à l’aide d’un
abaisseur de tension.
Pour le courant alternatif, il est indispensable d’avoir à
sa disposition un redresseur de courant transformant l’alternatif en continu.
Le prix de cet appareil est de l’ordre de 3.000 francs environ. Quant au
prix de la transformation, elle va de 18 à 25.000 francs, suivant que l’on
possède une 5 ou une 9 CV.
Ces prix peuvent paraître, certes, élevés. Cependant, il ne
faut pas perdre de vue que le prix de revient kilométrique est moins élevé avec
la traction électrique qu’avec le moteur à essence.
G. AVANDO.
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