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Pas trop n’en faut

Un de nos plus distingués cynologues, dont les boutades sont pleines de bon sens, notait comme il suit un chien connu, nous dit la chronique : « Beaucoup de type. Pas trop n’en faut ; 2e prix. » L’histoire mérite d’être vraie, car que de sottises n’ont-elles pas été commises par les chercheurs de l’hyper-type ?

Que ceux-ci aient licence d’exercer leurs talents sur les races parfaitement inutiles, on le leur peut concéder, bien qu’ils aient obtenu de bien contestables beautés. Quant aux races d’utilité, elles devraient être à l’abri de pareilles entreprises. La recherche des animaux comestibles de volume excessif aboutit à la stérilité et la déficience véritable. Chez le chien, le culte de la taille, de la masse, de l’extrême élégance, du développement dysharmonique d’une région, de particularités relevant de la tératogénie, sont aussi condamnables.

La rédaction toute littéraire des standards est la grande coupable. Presque nul d’entre eux ne fait mention de chiffres établissant les proportions entre les régions essentielles. Cela est véritablement surprenant, car quiconque entreprend la description précise d’une statue ne néglige pas cette précaution. Or la description d’un prototype n’est pas autre chose, puisqu’elle tend à nous procurer une image fidèle du représentant idéal de la race. Nombre de zootechniciens ont compris la nécessité de compléter par une image à l’échelle les standards les plus copieux, minutieux et précis.

Il s’en faut que la précision soit la marque du plus grand nombre et beaucoup tiennent en trop peu de mots où l’adjectif qualificatif, tantôt de teinte neutre, tantôt trop formel, trouve place excessive. Avec pareille pièce, un éleveur influent ou un groupe d’éleveurs peut imposer à l’opinion le modèle qu’il produit en abondance. En théorie, les juges sont là pour donner saine interprétation du standard. Dans la réalité, ce droit leur est contesté par la néfaste tribu des séides de l’obéissance passive à l’opinion, c’est-à-dire à la plus aveugle des forces. Celle-ci a été faite par des gens habiles à l’influencer et, content ou pas, on doit en tenir compte, dans une certaine mesure, pour éviter le scandale des faibles. Et ceux-ci sont légion. Le juge qui casse les vitres est évidemment un gêneur et on le lui fait bien voir, aurait-il cent fois raison.

C’est ainsi, standard sans précision à la base, pressions intéressées pour l’établissement d’une interprétation, qu’on aboutit à de néfastes conséquences.

Des centaines et des milliers de faits ont été mis en évidence, démontrant l’évanouissement de qualité chez les chiens réduits à une plate silhouette, rétrécis de la boîte crânienne et du corps. On sait qu’une race de setter soumise au régime du laminage à outrance ne peut plus, dans son ensemble, concurrencer en trials celle cultivée exclusivement pour le travail. Ceux de ses représentants parvenant à faire encore figure sont, sans exception, conçus dans un modèle rationnellement épanoui, sans aucune lourdeur cependant. Toutefois, nonobstant ces observations, ils ne jouissent pas dans le ring des faveurs des snobs ou de ceux qui pensent devoir tenir compte, en quelque mesure, des goûts de cet aveugle troupeau. En contemplant pareil spectacle, on est porté à estimer le sens des réalités et les dons d’observation en voie d’évanouissement. Il n’est même pas impossible de trouver des écrits tendant à démontrer le peu d’importance des faits observés tous les jours. C’est vraiment à désespérer. Le culte du volume et de la taille, sous prétexte d’obtenir un objet décoratif, n’est pas plus intelligent. Nous avons, en dépit des injonctions de leur introducteur, poussé dans le modèle poids lourd un autre setter à qui cela a fait tout le mal possible. C’est parmi ceux de cet acabit qu’on rencontre généralement des physionomies de hound, grave défaut remontant à une opération zootechnique qui a fixé la robe au prix de quelque péril.

Ce chien apparenté au bloodhound, sans qu’il en soit fait mystère, présente donc un cousinage assez dangereux pour un chien d’arrêt. Le bloodhound lui-même s’étant mis à vivre dans l’inaction a vu se relâcher un tissu cutané, qui dans la forme ancienne dont il est le type n’a que trop tendance à se laisser aller, un certain lymphatisme y étant de règle. De là à faire de cette véritable infirmité un caractère de race, à la cultiver en l’aggravant, il n’y avait qu’un pas. On en venait à compter le nombre de plis de peau comme autant de titres de gloire, et il n’est pas sûr qu’on soit encore revenu de ces erreurs. L’exigence de l’exhibition de la conjonctive des paupières chez divers bassets ou autres courants participe de la même erreur. Depuis quand une tare et en vertu de quel principe sensé peut-elle être regardée comme caractère de race ? Vous me direz que le bassétisme avec torsion des antérieurs en est une. D’accord. Mais elle a son utilité et je fais remarquer les précautions prises pour en limiter l’aggravation. Les Anglais, très portés à exagérer les caractères propres des races, avaient cultivé jadis un basset français, si tors, si long, si lourd et si chargé de peau inutile, qu’il n’était bon qu’à figurer sur les bancs. Un jour le bon sens a repris ses droits et ces monstres qualifiés beaux ont disparu, comme il convient.

Le gigantisme est une tare aussi. Les chiens de taille excessive se distinguent par la tenue médiocre du rachis, des aplombs, surtout postérieurs, critiquables (que de jarrets clos), souvent des pieds trop volumineux faisant penser à l’acromégalie. Il est presque impossible de réussir un très grand chien ou un très grand cheval. Dans les races vraiment géantes, ce sont toujours les plus petits sujets les mieux réussis, petitesse très relative, car un chien de près de 0m,70 est déjà grand. On ne saurait penser autrement quand on sait qu’aucun canidé sauvage n’excède de beaucoup 0m,60. Augmenter de 0m,10 la taille d’un cheval est le grandir singulièrement, que sera-ce donc d’un chien ?

Le désir d’obtenir des bulldogs de plus en plus refoulés a abouti, comme l’on sait, a des monstres sans emploi, incapables de parcourir quelques kilomètres sans se reposer. De toutes façons qu’on examine cet exploit, il est difficile de l’admirer.

Le goût des chiens de très petite taille a poussé à la production des toys. Que ceux-ci aient apparu dans certaines races d’utilité, il est permis de le regretter. Pour beaucoup qui ne les apprécient pas, ils ont tellement proliféré qu’ils sont regardés comme les seuls représentants de races, heureusement honorées de familles exemptes des menues tares du toyisme. Ce disant, je pense à tel petit lupoïde de robe noire, dont tous les représentants ne sont pas chiens de manchon, mais gardiens alertes et étrangleurs de rats. Trop l’ignorent.

Et comment ne pas parler des toisons imposées ? Quand on a vu des chiens du grand Nord avec le pelage qui leur permet d’affronter les intempéries dont nous n’avons pas idée, on se demande vraiment à quoi servent ces toisons, il n’y a pas d’autre mot, ces toisons plus qu’ovines dont nous avons étouffé certaines races sous prétexte de protection et probablement ensuite pour nous singulariser ? Aucun animal sauvage ne présente cette pilosité, en tout cas aucun canidé, le dogue du Thibet lui-même.

En résumé, on peut se demander si n’est pas éternelle l’histoire du chien d’Alcibiade. Il s’agit d’épater le public de quelque manière, fût-ce en fabriquant des monstres. Car, il faut bien le dire, beaucoup de nos races domestiques sont représentées par des êtres certainement tarés. Il suffit de contempler le peuple de nos basses-cours pour se convaincre qu’en dehors de la protection de l’homme tant d’animaux dont nous sommes fiers périraient sans délais. Trouve-t-on opportun d’en répandre l’espèce parmi le plus intelligent et certainement le plus attachant de nos compagnons inférieurs ?

J’ai toujours pensé qu’il fallait s’en garder, mais, si je jette aujourd’hui ce cri d’alarme, c’est que je le juge opportun. Nous en sommes à ce point que tout esprit non prévenu et dégagé des conventions de clubs souffre vraiment d’observer la dysharmonie, l’aspect caricatural, auxquels sont parvenues certaines races, dont autrefois nul n’aurait remarqué la regrettable originalité actuelle. Oserait-on appeler cela progrès ?

Concluons en disant « du type c’est entendu et pas trop n’en faut », c’est la voix de la sagesse.

R. DE KERMADEC.

Le Chasseur Français N°602 Octobre 1941 Page 461