Le Journal officiel du 19 juillet 1941 a
promulgué une loi, datée du 12 juillet 1941, et ayant pour titre :
« Loi portant modification de la loi du 15 avril 1829 relative à la
pêche fluviale ». Cette loi, complétée par un décret du même jour, apporte
au régime de la pêche en rivière d’importantes modifications que nous allons
signaler.
Quelle que puisse être, toutefois, l’importance des
innovations résultant du texte nouveau, il faut noter que la loi du 13 avril
1829 reste toujours à la base du régime de la pêche fluviale. Vieille de plus
de cent vingt années, cette loi est toujours debout, et, sur plus de
quatre-vingts articles qu’elle comporte, seuls les articles 1er, 2,
5, 34 et 69 sont modifiés par le texte nouveau.
Dans le régime nouveau, de même que sous l’ancienne
réglementation, on observe la distinction entre les cours d’eau dans lesquels
le droit de pêche est exercé au profit de l’État et ceux où les propriétaires
riverains ont, chacun de leur côté, le droit de pêche jusqu’au milieu du cours
d’eau. Entre ces deux catégories, l’article 1er de la loi du 19 juillet
1941 fait entrer, dans la classe des cours d’eau où le droit de pêche est
exercé, au profit de l’État : « les rivières, canaux et portions de
rivière ou canaux qui sont rayés de la nomenclature des voies d’eau navigables
ou flottables, mais maintenus dans le domaine public. » Aucune
modification n’est apportée aux conditions de forme suivant lesquelles les
portions de rivières ou canaux sont classés dans l’une ou l’autre de ces deux
catégories.
L’ancien article 2 de la loi de 1829, qui s’occupe des
cours d’eau dans lesquels ce sont les propriétaires riverains qui ont le droit
de pêche, avait été complété par un article de la loi des finances du 31 mars
1931, article destiné à permettre aux propriétaires riverains des cours d’eau
non navigables ni flottables, de s’organiser en associations syndicales en vue
d’effectuer dans ces cours d’eau des travaux de mise en valeur piscicole, d’y
exercer en commun la protection du poisson. Cette disposition n’avait pas
produit les résultats attendus et il s’était constitué fort peu d’associations
syndicales ; au surplus, le fonctionnement de celles qui s’étaient créées
s’était trouvé entravé par des difficultés de toute nature. L’article 2 de
la loi nouvelle vient modifier profondément le régime des associations
syndicales, tout en laissant subsister, dans une certaine mesure, le régime
ancien.
Dans le régime nouveau, à l’initiative des propriétaires
riverains est substitué le pouvoir réglementaire du gouvernement, toutes les
fois qu’il s’agit d’une portion de rivière ou de canal « présentant un
intérêt collectif pour la pêche ». Il appartient désormais au
gouvernement, sur rapport du secrétaire d’État à l’Agriculture, de classer des
eaux ou cours d’eau non navigables, ni flottables comme présentant un intérêt
collectif pour la pêche ; ce classement se fait au moyen d’un décret rendu
en conseil d’État. Par l’effet de ce décret, les propriétaires riverains,
titulaires du droit de pêche, sont constitués en association syndicale dont le
secteur respectif est déterminé par décret de classement. Le même décret
contient le programme des dispositions à prendre et des travaux à exécuter pour
assurer la mise en valeur piscicole et la protection du poisson dans chaque secteur,
ainsi que le maximum de la dépense annuelle à engager à cet effet.
Dans tous les cas où aura été pris un décret de classement,
la constitution de l’association syndicale est obligatoire et s’impose à tous
les propriétaires intéressés qui, automatiquement, sont englobés dans
l’association ; peuvent seuls se soustraire à cette obligation les
propriétaires qui s’engageraient à abandonner gratuitement à l’association leur
droit de pêche et à ne pas le reprendre sans un préavis de cinq années (article 2 bis
nouveau, 3e alinéa).
Si l’association syndicale ne se constitue pas ou si,
s’étant constituée, elle ne remplit pas les obligations qui lui incombent, le
préfet doit désigner un premier syndic et des syndics adjoints, pris ou non
parmi les propriétaires intéressés. La mission de ces syndics varie suivant que
l’association syndicale a ou n’a pas commencé à fonctionner ;
essentiellement, ils ont pour mission de prendre les mesures qui n’ont pas été
prises, et, à cet effet, ils peuvent établir des règlements qui deviennent
exécutoires après homologation par arrêté du préfet.
Toutefois, en ce qui concerne les conditions d’exercice du
droit de pêche dans les eaux classées comme présentant un intérêt collectif
pour la pêche, le pouvoir de l’association syndicale ou des syndics paraît ne
pas s’exercer, sauf accord unanime de tous les propriétaires intéressés ;
ceux-ci ne peuvent être dépouillés malgré eux de leur droit de pêche, tel qu’il
résulte du premier alinéa de l’article 2. Mais, en cas d’accord, les
propriétaires peuvent exploiter en commun le droit de pêche appartenant à
chacun d’eux ; ils peuvent aussi se dépouiller de leur droit de pêche et
en faire l’objet d’une location à des tiers, soit à des particuliers, soit à
des associations de pêche et pisciculture ; en cas de location du droit de
pêche, l’association syndicale peut transférer au locataire tout ou partie des
obligations mises à sa charge tout en restant responsable de leur exécution au
regard de l’administration. L’approbation du préfet est exigée aussi bien pour
la location du droit de pêche que pour le transfert au locataire des
obligations de l’association syndicale. Si l’association syndicale exerce le
droit de pêche mis en commun ou si ce droit est exercé individuellement par
chacun de ses membres, l’association syndicale peut se faire agréer comme
association de pêche et pisciculture, auquel cas elle peut admettre dans son
sein des membres non propriétaires dans les conditions et les limites fixées
par des statuts.
Pour en terminer avec cette question des associations
syndicales, il convient de signaler que, en l’absence de décret classant les
eaux non navigables ni flottables comme présentant un intérêt collectif pour la
pêche, les propriétaires riverains ont encore la faculté de se constituer en
associations syndicales conformément au régime ancien. Pour cela, il faut
l’adhésion des trois quarts des propriétaires riverains intéressés représentant
plus des deux tiers de la longueur additionnée des deux rives, ou des deux
tiers des intéressés représentant plus des trois quarts de la longueur des
rives des cours d’eau compris dans la zone d’action de l’association.
Arrivons maintenant à l’innovation la plus grave résultant
de la loi nouvelle. Elle concerne l’exercice du droit de pêche dans les eaux où
ce droit s’exerce au profit de l’État. L’ancien article 5, dans son
troisième alinéa, permettait à tout le monde, en dehors du temps de la fraie,
de pêcher dans ces eaux au moyen d’une ligne flottante tenue à la main ;
on pouvait ainsi pêcher librement soit des berges, soit au moyen de barques,
sans avoir besoin d’aucune autorisation ou formalité. Ce régime de liberté a
vécu. Les articles 5 et 5 bis nouveaux y ont substitué un
régime comportant de sérieuses restrictions.
Tout d’abord, le premier alinéa du nouvel article 5
interdit l’exercice de la pêche, même dans les eaux où le droit de pêche
s’exerce au profit de l’État, à toute personne qui ne fait pas partie d’une
association agréée de pêche et de pisciculture et qui n’a pas payé, d’une part,
sa cotisation comme membre de l’association et, d’autre part, une taxe annuelle
destinée à la surveillance et à la mise en valeur du domaine piscicole
national. Cette taxe est fixée à 10 francs par l’article 6, premier
alinéa, du décret du 12 juillet 1941, pris pour l’application de l’article 5
de la loi du 15 avril 1829 modifiée par la loi du 12 juillet 1941 ;
cette taxe constitue en quelque sorte un permis de pêche, équivalent au permis
de chasse ; mais il ne suffit pas de l’avoir payée pour avoir le droit de
pêche ; il faut encore, comme on vient de le voir, faire partie d’une
association de pêche et pisciculture, agréée par le secrétaire d’État.
Spécialement, les statuts de l’association doivent comporter, pour
l’association : 1° de s’affilier à une fédération départementale de pêche
et pisciculture ; 2° de percevoir sur ses membres et de verser à la
fédération la taxe annuelle de 10 francs ; 3° d’accepter, à moins de
motifs reconnus légitimes par la fédération départementale, l’adhésion de toute
personne qui demande son admission et qui réunit les conditions exigées à cet
effet par les statuts de l’association, dans la limite du nombre de membres
prévus par les statuts.
L’exercice de la pêche, même à la ligne flottante et dans
les eaux où le droit de pêche s’exerce au profit de l’État, est interdit à
toute personne qui n’a pas été admise au sein d’une de ces associations et qui,
en outre, n’a pas payé à la fois sa cotisation comme membre de l’association et
la taxe annuelle de 10 francs. Toutefois, le conjoint et les enfants
n’ayant pas atteint seize ans, d’un associé, sont considérés comme faisant
partie de l’association et sont dispensés du payement de la taxe. Une autre
dérogation existe au profit des inscrits maritimes en vertu des règlements
particuliers qui les régissent.
L’admission au sein d’une association de pêche et le
payement de la taxe ne donnent d’ailleurs d’autre droit que celui de pêcher de
la berge, dans les eaux du domaine public, au moyen d’une ligne flottante tenue
à la main, dont le lest ne doit en aucun cas reposer sur le fond, ni empêcher
la ligne de suivre le courant. Et ce droit même ne peut s’exercer ni pendant le
temps de la fraie, ni sur les emplacements licitement aménagés en enclos. Pour
pouvoir pêcher en d’autres conditions, par exemple, avec une barque, ou une
ligne plombée, ou au lancer, il est nécessaire de bénéficier d’une licence ou
permission spéciale, s’il s’agit de cours d’eau faisant partie du domaine
public, ou, s’il s’agit d’eaux n’en faisant pas partie, d’être propriétaire riverain
ou locataire d’un propriétaire riverain, soit enfin d’être adjudicataire,
amodiataire ou fermier de la pêche (article 5 bis nouveau).
Le nouvel article 5 ter punit d’une amende
de 20 francs à 100 francs tout individu qui se livrera à la pêche en
eau douce sans la permission de celui à qui le droit de pêche appartient ou qui
se livrera à la pêche dans les eaux du domaine public sans remplir les
conditions qui viennent d’être précisées ; le même article prévoit la
saisie des poissons et la confiscation des filets et engins de pêche, outre les
dommages-intérêts qui peuvent être alloués à la partie lésée.
D’autre part, la loi nouvelle comporte un article 69 bis
nouveau aux termes duquel tout jugement prononçant une condamnation pour délit
de pêche doit exclure le délinquant des associations de pêche et pisciculture
pour une durée qui ne peut être inférieure à trois mois, ni supérieure à deux
ans, ou, en cas de récidive, pour une durée d’un à cinq ans. Cette exclusion
entraîne automatiquement, et sans qu’il soit nécessaire de la prononcer,
interdiction de la pêche pendant la même durée.
La loi nouvelle contient quelques autres dispositions d’un
intérêt très réduit dont il n’est pas utile de nous occuper. Signalons
cependant qu’elle prévoit une peine d’emprisonnement de dix jours à un an en
cas de récidive d’un des délits prévus aux articles 24, 27 et 28 de la loi
de 1829, articles prévoyant les pêches en temps prohibé ou à l’aide d’engins
prohibés.
Il est à prévoir que la nouvelle réglementation du droit de
pêche en rivières navigables donnera lieu à bien des discussions entre
pêcheurs. Certains déploreront de voir ce passe-temps essentiellement
populaire, qui était à la portée des plus humbles, érigé à la hauteur d’un
sport tel que la chasse, dont l’exercice est désormais subordonné à des
formalités et à des frais ; ils feront remarquer que les pêcheurs
occasionnels, péchant des berges, n’étaient pas un danger au point de vue de
l’empoissonnement des rivières. D’autres répondront que les règles nouvelles,
spécialement la création de la taxe annuelle, si modeste, de 10 francs,
permettront de faire face aux frais que nécessite la surveillance contre le
braconnage en rivière et le réempoissonnement, et d’assurer ainsi la sauvegarde
d’une richesse nationale.
Paul COLIN,
Avocat à la Cour d’appel.
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