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Sportifs amateurs et professionnels

La question épineuse du professionnalisme préoccupe actuellement les milieux sportifs. L’orientation officielle nouvelle du sport en France n’admet plus les professionnels que dans des sports déterminés, tels que le cyclisme, la boxe, et transitoirement le football. Le professionnalisme est accusé, souvent avec raison, d’avoir détourné une partie de la jeunesse de ses occupations, de ses études ou de son métier, pour un séjour éphémère au firmament de la gloire sportive, suivi, la trentaine passée, la qualité athlétique diminuant, de sombres lendemains.

Dans la majorité des cas, en effet, il faut bien reconnaître que la désillusion est amère, de ces champions de seconde zone, lorsque, ne faisant plus recette et ne trouvant plus de contrats, ils s’aperçoivent qu’ils n’ont plus de métier, et qu’ils ne savent pas faire grand’chose en dehors de la piste ou du ring. Seuls les grands champions ont pu, s’ils sont économes et prévoyants, assurer leur avenir. Mais les grands champions sont, par définition, peu nombreux. C’est pourquoi le commissariat agit sagement en limitant le nombre des professionnels en cyclisme, par exemple.

Ceci n’est pas une critique contre tous ces hommes sympathiques et de bonne foi, qui ont rempli les programmes qui nous charment chaque dimanche. C’est au contraire dans leur intérêt, car c’est les préserver contre la tentation et contre l’exploitation dont ils ont été trop souvent victimes. Si des abus ou des erreurs ont été commis, la responsabilité en incombe, en effet, hélas ! le plus souvent aux organisateurs et aux dirigeants, qui ont transformé le stade ou le vélodrome en salle de spectacle à caractère commercial, et non aux athlètes, qui n’ont fait qu’obéir à leurs managers et exécuter les contrats qu’ils avaient signés.

Nous nous plaçons ici au point de vue matériel.

Si nous envisageons le problème sous l’angle moral, il est encore plus évident que le sport n’a rien à gagner au cabotinisme et une publicité trop passagère, car il ne faut pas confondre publicité commerciale avec propagande.

À cela les intéressés répondent, et ils n’ont pas tort non plus, que, somme toute, s’il y a des professionnels, c’est parce que le public demande des spectacles, et qu’il est si exigeant qu’il faut lui donner chaque dimanche sa pâture, et que, dans certains sports tels que le football, la technique du jeu s’est améliorée dans tous les pays et chez les amateurs, grâce à l’exemple donné par les as payés et à l’élan donné par leurs belles démonstrations.

C’est pourquoi, tout en limitant strictement le nombre au chiffre nécessaire et aux athlètes vraiment qualifiés, il faut quelques professionnels pour créer une sorte de sélection toujours à la disposition des exigences du moment, pour représenter le pays dans les compétitions internationales. Or quelques-unes de celles-ci sont réservées aux professionnels, et il est utile que, dans tous les domaines, nous ayons notre représentation nationale.

La question est donc délicate. Notre avis impartial est que, à part les exceptions ci-dessus énoncées, le sport devrait être, pour être vraiment conforme à sa définition olympique et logique, un violon d’Ingres. Or, disait Bellin du Coteau, il est bien certain que ce bon M. Ingres aurait eu pour son violon une passion moins ardente s’il avait été obligé d’en jouer tous les soirs dans un cinéma, pour gagner son pain. Il est vraisemblable que, dans ce cas, il eût employé ses loisirs à jouer de la guitare, ou à faire une belote.

C’est la voix de la sagesse, et l’un des charmes du sport est précisément de constituer une détente, une diversion utile, passionnante et saine, aux soucis de la profession.

Mais, ceci dit, il ne faut pas être trop puritain. On admet sans objection, on trouve tout naturel qu’un homme ou qu’une femme retire, dans la vie, quelques petits avantages de son talent musical ou artistique, voire de son intelligence ou de son sex-appeal. Pourquoi s’indigner lorsque, au lieu de ces qualités innées ou acquises, un champion a la chance d’être doué, de posséder en un mot « la classe », et se fait grâce à elle un nom, des relations, et, sans même le rechercher, par la seule force des choses, en retire quelques petits avantages moraux et matériels ? Il doit exister entre les deux conceptions un juste milieu. C’est pourquoi j’estime, en conclusion, que, dans une matière aussi délicate, il faut apporter une certains souplesse.

Robert JEUDON.

Le Chasseur Français N°602 Octobre 1941 Page 470