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Apiculture

Abeilles scouts.

Les abeilles sont prudentes et prévoyantes. Lorsqu’elles songent à essaimer pour aller fonder ailleurs une nouvelle famille, elles ne vont pas à l’aventure, comme on pourrait le croire, mais elles ont la précaution de s’assurer un gîte avant de quitter leur ruche, ou tout au moins avant de poursuivre leur course, lorsque l’essaim s’est posé à quelque endroit non loin de la ruche d’où il est sorti. Elles envoient en avant des éclaireuses, des scouts, à la recherche d’un abri.

Pour faciliter aux essaims la découverte d’un bon logement, certains apiculteurs placent dans leur rucher ou dans le voisinage des ruches vides, munies de quelques rayons avec un peu de miel ou même sans miel, et ils ont chance de recueillir ainsi des essaims vagabonds, même parfois des essaims qui, à leur insu, sortent de leurs ruches et se logent eux-mêmes. Nous pourrions citer un apiculteur qui, vivant éloigné de son rucher pendant la moitié de l’année, avait perdu une dizaine de ruches au cours de l’hiver. Ces ruches étaient restées dans le rucher ; survint au printemps un essaimage extraordinaire. Alors les ruches furent repeuplées par des essaims venant du rucher même ou d’ailleurs.

En pareil cas, l’apiculteur qui surveille assidûment ses ruches pourra observer que des ruches vides sont parfois visitées par un certain nombre d’abeilles qui se livrent comme au nettoyage de la ruche, ce qui a fait croire tout d’abord à un pillage. Puis, au bout de quelques jours, et quelquefois le lendemain, arrivent des abeilles en masse, qui tournent autour de la ruche ; c’est un essaim qui vient prendre possession de la demeure que les éclaireuses lui ont préparée.

Ces préparatifs ont lieu souvent quelques jours avant que l’essaim sorte de sa ruche, mais il arrive le plus souvent que l’essaim quitte la ruche avant d’être assuré d’avoir un logement. Il se pose sur un arbre ou un arbrisseau, non loin du rucher, comme pour attendre que le maître le recueille, ou pour donner le temps aux scouts de trouver un logis. Et, si on tarde à le cueillir et à le mettre en ruche, les scouts revenant de leur exploration et annonçant la découverte d’un abri, l’essaim part pour la destination qui lui est signalée.

Il peut arriver que des essaims volages ayant a leur tète une reine jeune, plus alerte et vigoureuse qu’une vieille reine alourdie par ses œufs, fasse plusieurs étapes avant de se fixer définitivement. Ce sont surtout les essaims secondaires et subséquents qui parcourent de plus grandes distances avant de trouver un endroit favorable pour s’y établir. Mais, même en ce cas, il est probable que l’essaim envoie à l’avant quelques éclaireuses chargées de découvrir une retraite.

On a observé tant de fois les préparatifs faits par des abeilles dans le creux d’un arbre ou un vieux mur, ou dans des ruches vides, préparatifs suivis par la venue d’un essaim se logeant dans ces mêmes endroits, qu’on ne peut contester que des éclaireuses aient été chargées de prévoir le départ prochain de l’essaim et de lui trouver un logement.

Lorsque la découverte est facile, l’essaim peut se rendre immédiatement à l’endroit signalé, comme à une ruche se trouvant disponible dans le rucher. En ce cas, on n’aperçoit pas toujours les préparatifs faits par les scouts, et on peut croire que l’essaim lui-même au sortir de sa ruche s’est dirigé vers la ruche voisine. Il ne doit pas en être ainsi, mais, la ruche voisine ayant été facilement découverte par les abeilles chargées de trouver un logement, l’essaim a pu prendre sans tarder possession de cette ruche. D’ailleurs, le plus souvent, les ruches vides laissées ou mises intentionnellement dans le rucher sont occupées par des essaims vagabonds plutôt que par des essaims sortant du rucher même, quoique le second cas puisse se produire. On peut donc admettre que, dans tous les cas d’essaimage, il y a des scouts chargés de pourvoir à l’installation des émigrantes. Encore une fois, les faits dûment constatés sont trop nombreux pour qu’on puisse les contester. Citons quelques faits entre mille.

Nous avions perdu, l’hiver, une ruche par suite du manque de provisions. Nous savions qu’elle était à court de vivres, mais nous espérions qu’elle pourrait atteindre le printemps, où nous comptions la ravitailler. Il nous vint alors à l’idée de laisser cette ruche en place, le trou de vol largement ouvert, dans l’espoir qu’à l’époque de l’essaimage nous pourrions la repeupler. Nous avions seulement soin de fermer, chaque soir, le trou de vol, de peur que la teigne n’envahisse les rayons.

Au début de juin, la ruche était en bon état de conservation, autrement dit, ses rayons, quoique un peu rongés par les abeilles affamées avant de succomber à la faim, ne portaient aucune trace de teigne.

Vers le 5 ou 6 du mois, nous fûmes intrigué en voyant, dans l’après-midi, une douzaine d’abeilles voler autour de la ruche, puis quelques autres en sortir des parcelles de cire, ce qui nous fit croire à des pillardes. Mais, en examinant de plus près, il nous sembla que ces abeilles n’avaient point l’allure de pillardes, mais plutôt de travailleuses vaquant au nettoyage de la ruche. Le même manège continua pendant deux ou trois jours, puis nous vîmes arriver, en trombe, un nuage d’abeilles qui s’abattirent sur la ruche et bientôt en prirent possession. C’était l’essaim désiré, et les abeilles que nous avions remarquées les jours précédents n’étaient autres que des scouts ou éclaireuses venant préparer le logement.

Comment prouver cette dernière assertion ? C’est bien simple. Ayant voulu nous assurer si c’étaient les mêmes abeilles qui revenaient à chaque fois, nous en avons capturé et marqué quatre, en fixant sur leur corselet une goutte de laque jaune. Et, quand l’assaini vint occuper la ruche, nous avons pu distinguer, parmi la masse, deux de ces abeilles au moment où elles rentraient dans la ruche. C’était donc bien, comme nous l’avions soupçonné, des éclaireuses que nous avions vues, durant plusieurs jours, visiter la ruche et la préparer à recevoir l’essaim.

Heureux de notre succès, nous avons voulu tenter encore l’expérience, en installant une seconde ruche vide, garnie de quelques rayons, à proximité du rucher. Quelques jours après, cette ruche fut visitée, comme l’avait été la première, par quelques abeilles, qui continuèrent leur inspection les jours suivants. Cette fois, nous n’hésitâmes pas à prédire qu’un essaim viendrait occuper cette ruche au premier beau jour. Effectivement, par une belle après-midi, ce fut un tourbillonnement d’abeilles autour de la ruche, puis, comme obéissant à un mot d’ordre, la masse s’abattit sur le plateau de la ruche et s’y engouffra pour s’y installer définitivement. Nous n’avions pas, comme précédemment, marqué d’un signe les fourrières, mais comment douter que c’est sur leur indication que l’essaim est venu se fixer dans cette ruche.

Les conclusions à tirer de ces faits sont :

    1° que l’instinct des abeilles les porte à se pourvoir d’un gîte avant de quitter la ruche, lorsque celle-ci se prépare à essaimer ;

    2° que l’apiculteur peut bénéficier souvent de l’essaimage, en offrant une demeure toute préparée aux essaims en quête d’un logement.

P. PRIEUR.

Le Chasseur Français N°602 Octobre 1941 Page 489