On donne le nom de boiterie ou claudication à toute
irrégularité des actes locomoteurs, quels qu’en soient l’origine, la durée et
le mode de manifestation. La boiterie n’est pas une maladie, mais seulement un
symptôme de quelque maladie ou lésion existant sur un point quelconque du membre
dont l’action est devenue anormale.
Chez les solipèdes qui sont exclusivement entretenus pour le
travail, on comprend que l’intégrité des membres soit une chose pour ainsi dire
indispensable à la régularité et à la durée des services. Aussi les boiteries
constituent-elles des tares qui déprécient beaucoup les animaux, soit parce
qu’elles doivent persister, soit parce qu’elles obligent à un traitement
incertain dans ses résultats et plus ou moins long et dispendieux ; souvent
le repos complet doit seconder ce traitement, qui se traduit en définitive par
une dépense plus ou moins forte.
Les boiteries se manifestent par des signes excessivement
variés. L’animal peut boiter d’un, de deux ou même de quatre membres à la fois (fourbure).
Au repos, le membre boiteux peut être porté en avant, le pied ne repose que sur
la pince ou les articulations inférieures du boulet notamment, en état de
demi-flexion. Parfois, le membre est le siège de douleurs lancinantes qui se
traduisent par un léger grattage du sol d’une manière continue, à tel point que
le fer s’use, se polit, etc.
Pendant l’exercice, l’appui sur le sol peut se faire parfaitement
ou être absolument impossible ; on peut aussi observer tous les degrés
intermédiaires. Il y a des boiteries qui sont appréciables au pas, d’autres
seulement au trot, ou parfois au galop. Certaines sont continues, d’autres
intermittentes. Celles-ci sont ordinairement dues à une cause ancienne souvent
difficile à apprécier, aussi la loi a-t-elle sagement agi en les classant parmi
les vices rédhibitoires. Nous les examinerons plus loin.
Le diagnostic des boiteries offre parfois des difficultés
sérieuses, souvent même le vétérinaire est fortement embarrassé pour le porter,
car, contrairement à l’homme, l’animal boiteux ne peut pas dire d’où il
souffre. Quant au propriétaire qui voit son cheval boiter, il prend
généralement pour le membre malade celui sur lequel tombe l’animal, ou, en
d’autres termes, celui qui frappe le sol le plus fortement et sur lequel l’appui
a lieu plus longtemps ; c’est là une opinion erronée, car il est
indiscutable que ce membre est au contraire celui qui ne souffre pas.
Il est une précaution que tous les conducteurs de chevaux ne
doivent pas négliger, c’est de faire déferrer le pied du membre boiteux, afin
de pouvoir l’explorer. On se souviendra de cet adage des anciens
hippiatres : Faire déferrer le cheval alors même qu’il semblerait
boiter de l’oreille.
On peut évidemment, dans quelques circonstances, pour
explorer le pied, se contenter de frapper avec un marteau sur la tête des
clous, ainsi que sur la paroi à la hauteur des rivets. On frappe également sur
la sole visible et sur la fourchette, dont on fouille en outre les lacunes à l’aide
d’un poinçon ou d’une pointe métallique ; souvent on découvre le corps
vulnérant qui provoque la boiterie, mais il est toujours préférable de faire
déferrer.
Lorsque, sur une route, un cheval se met à boiter tout à
coup et que la boiterie persiste et s’accroît, il y a chance pour qu’il y ait
pris un clou de rue, un corps étranger quelconque, ou qu’une pierre se soit
implantée entre le fer et le pied : un caillou faisant fonction de marteau
permettra de la dégager.
La gravité des boiteries dépend des nombreuses causes et des
maladies diverses qui peuvent les provoquer. Quant au traitement des boiteries,
il sera examiné à propos de chacune d’elles en particulier. Dans la plupart des
cas, le repos est un adjuvant des plus utile dans le traitement. Souvent aussi
les bains de pied pris soit à l’écurie, soit à la rivière, les douches, une
ferrure appropriée seront utilement employés.
Boiteries anciennes intermittentes.
— Les boiteries sont, nous l’avons vu, le symptôme des
lésions d’une ou de plusieurs parties de l’appareil locomoteur. Or elles ne
sont pas toutes aigues, chroniques ou continues, certaines sont intermittentes,
c’est-à-dire qu’elles cessent totalement à certains moments pour reparaître
ensuite. Suivant son mode de manifestation, la boiterie intermittente est dite
à froid ou à chaud. C’est ainsi que, dans la boiterie
intermittente à froid, la claudication se montre à la sortie de l’écurie,
disparaît pendant l’exercice pour reparaître avant le repos. La boiterie
intermittente à chaud, non apparente au moment du départ, se manifeste pendant
l’action et disparaît avec le repos.
On comprend facilement quels inconvénients peuvent résulter pour
l’acheteur, de l’acquisition d’un cheval affecté d’une telle boiterie qui était
inapparente au moment de l’achat. Aussi la loi du 2 août 1884, modifiée
par la loi du 31 juillet 1895, a-t-elle voulu protéger l’acheteur contre
un vendeur peu scrupuleux, en réputant vice rédhibitoire chez le cheval,
l’âne et le mulet, la boiterie ancienne intermittente avec un délai de
garantie de neuf jours.
Les difficultés que l’expert chargé de constater le vice
peut rencontrer sont parfois très grandes, sans compter que certaines
boiteries, telles que la luxation de la rotule, par exemple, soulèvent
de nombreuses controverses entre les experts, de sorte que, pour des cas
semblables, des tribunaux se sont prononcés dans des sens différents. C’est
ainsi que le tribunal de Marseille (jugement du 21 juillet 1862) décidait
que la luxation de la rotule ne devait pas être considérée comme une boiterie
rédhibitoire, alors que le tribunal de Douai (jugement du 30 août 1879) se
prononçait pour l’affirmative.
Voici, succinctement décrits, les symptômes de la fausse luxation
ou arrêt de la rotule, boiterie qui, par sa manifestation soudaine, surprend
toujours le propriétaire. Ils apparaissent pour la première fois après un repas
quelconque, surtout après celui de la nuit. En voulant faire déplacer la
cheval, ou le faire sortir, on constate que l’un des membres postérieurs ne
parvient pas à quitter le sol malgré les efforts des muscles fléchisseurs de la
jambe qui se dessinent sur la peau ; l’articulation fémoro-tibiale (qui correspond
au genou de l’homme) et celle du jarret ne peuvent se fléchir, et, si le cheval
se porte en avant, le membre est traîné et laboure le sol avec la pince du
pied, d’où résultent la flexion forcée des phalanges et l’appui sur le boulet.
Si l’on vient en aide à l’animal en lui portant le bas du
membre en avant, on voit les phalanges se reporter elles-mêmes dans
l’extension, et tout aussitôt l’appui se fait normalement et la marche est
redevenue facile. Pareil résultat s’obtient en faisant reculer l’animal, car le
pied fixé au sol se relève peu à peu. Dans la plupart des cas, on pourra
désormais exercer le cheval aussi longtemps qu’on le jugera convenable sans
voir se reproduire les phénomènes qui s’étaient manifestés tout d’abord.
Si l’on considère que, pendant cette sorte de crampe, le
cheval ne paraît nullement souffrir, on s’explique que des experts puissent
avoir une opinion absolument opposée sur le caractère rédhibitoire de cette
boiterie qui, cependant, est souvent sujette à récidive. En présence de cette
dernière éventualité, que doit faire le propriétaire ? Chercher à remettre
la rotule en place en portant le membre en avant, au besoin en se servant d’une
plate-longe ; faire reculer le cheval ; presser fortement en bas et
en dedans sur la partie supérieure externe de la rotule ; enfin, en cas
d’insuccès, faire appel au vétérinaire.
MOREL.
Médecin vétérinaire.
|