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La chasse au chien courant

Le chevreuil (1).

Nous voici au moment de découpler : si nous avons une jeune meute à conduire, il sera plus avantageux de le faire sur une brisée, ceci pour attaquer de préférence un brocard, car nous savons que sa chasse est plus facile que celle de la chèvre et que ce sont les bons valets de limier qui font les chiens sages. Mais si nous possédons un équipage bien confirmé et en curée, nous pourrons découpler dans un canton fréquenté par les chevreuils et fouler à la billebaude, le plus souvent un rapprocher précédera le lancer ; les chiens, si les animaux sont en harde, choisiront soit la chèvre, soit le brocard, il faudra les laisser faire ; si plusieurs chasses se forment, on arrêtera celle où il y a le moins de chiens et on ralliera sur le gros de l’équipage ou à celle où se trouvent les chiens les meilleurs et les plus sûrs.

Tout cela se fera dans le calme ; les veneurs sonneront peu et crieront peu, les chiens sont toujours assez chauds au départ et ont plutôt besoin d’être calmés qu’excités.

Généralement, la première heure se passe sans difficulté, les chiens donnent cette vigoureuse poussée sans laquelle on ne peut espérer forcer un chevreuil, c’est encore un des avantages de l’attaque de meute à mort qui produit « ce premier coup de collier » dont dépend très souvent le succès.

Mais bientôt l’animal malmené commence ses ruses, elles sont nombreuses comme nous allons le voir et, la place nous étant mesurée, c’est succinctement que nous les étudierons.

Les plus communes sont : les retours pied sur pied, les doubles voies et les cernes ou boucles en arrière sur la voie chassée.

Quand un animal fait retour sur retour, il faut ne point quitter la tête et surveiller les chiens de très près ; s’ils balancent en plein fourré où les portées sont suffisantes, pas d’erreur possible, le chevreuil retourne en arrière. Mais, au contraire, voilà la meute en défaut devant une clairière, une place à charbon, un ruisseau, une route goudronnée, ou un chemin fréquenté, enfin à un endroit où le chevreuil ne touche pas et où le sol est peu favorable pour garder la voie, les chiens peuvent alors la manquer et il faut faire les devants sans tarder. Du reste, comme nous l’avons dit à la chasse du lièvre, c’est généralement une bonne méthode d’envelopper un défaut en prenant les devants. La vieille phrase bien connue : « Heureux le veneur qui possède quelques chiens faisant leurs devants ! » est toujours vraie, car ce sont ces chiens-là qui font sonner beaucoup d’hallalis et dressent leurs maîtres ... quand ceux-ci peuvent comprendre.

La double voie est tracée de deux manières : parfois le chevreuil, après un bond de côté, se met sur le ventre, laisse passer la meute et revient en arrière, sur la voie chassée. Ruse redoutable comme on le pense ! Cette piste, déjà foulée par le passage des chiens, est parcourue une fois de plus par l’animal, qui en profitera pour la suivre encore plus loin, jusqu’à un rebaissé, qu’il effectuera par un énorme bond sur l’un des côtés et d’où il ne bougera plus que si un chien tombe sur lui ou que vous montiez littéralement dessus. Le plus souvent, devant cette énorme difficulté, l’équipage s’arrêtera. Il faudra que le veneur fasse ses retours et longe la voie indéfiniment, jusqu’à ce qu’il puisse reconnaître volce-l’est, soit d’aller, soit de retour. Dans le premier cas, il a été trop loin, il a dépassé l’endroit où le chevreuil est remis et les chiens ont manqué le crochet. Autrement, il continuera jusqu’à ce que les chiens reprennent.

Évidemment, tout cela paraît assez simple, et pourtant saint Hubert sait les peines que rencontrent les veneurs sur semblables défauts ! S’il ne suffisait que de chasser sur une carte, dans la quiétude sereine de son bureau ... on ne s’inquiète ni des obstacles, ni des défauts, ni des changes ; mais celui qui chausse des bottes fortes et porte la trompe au col est forcé de se souvenir sans cesse que son cheval marche sur la terre et qu’il ne trouve point les animaux de vénerie dans un monde idéal.

Ceci pour bien préciser que nous n’avons pas l’espoir d’apprendre à chasser dans les livres ; les écrits de nos devanciers ne nous enseigneront pas l’art de forcer des chevreuils, mais ils nous aideront et nous donneront l’explication de bien des choses qui sans eux seraient restées des mystères pour nous. En forêt ou en plaine, à la queue des chiens, le simple praticien triomphe aisément des discours les plus sensés de brillants théoriciens.

La deuxième manière voit un chevreuil faire un demi-cercle, puis revenir en arrière également sur son contre. Pour relever ce défaut, il faut opérer comme nous le voyions précédemment.

Les ruses à l’eau sont assez fréquentes chez le chevreuil. Il prendra aisément le cours d’un ruisseau, le suivra plus ou moins longtemps, s’y arrêtant de temps en temps s’il y a pied, le descendant le plus souvent, parce que j’en ai observé des exceptions. À sa sortie de l’eau, il fait parfois une double voie sur l’un des bords, s’y relaisse aussi, puis, lorsque veneurs et meute sont passés, il reprend le ruisseau quelques mètres et s’enfuit sur les devants ou les arrières, mais généralement en avant. Aux étangs c’est encore mieux ; ou l’animal patauge sur les bords, ou il traverse en pleine eau, ou bien encore se relaisse sur le bord, toujours à l’endroit où il y a le plus d’eau, soit dans les joncs, soit dans les roseaux ou dans une excavation formée par les eaux. Cependant, s’il ne fait qu’en ressortir en fuyant, les meilleurs chiens parfois le laissent aller parce que la vase et l’eau qui découlent le long de ses fuseaux couvrent sa voie ; les chiens alors n’en reconnaissent plus, on s’éternise sur place au lieu de percer en avant. C’est à ce moment que le veneur doit prendre les grands devants avec décision s’il ne possède pas quelques chiens ayant l’aptitude de chasser dans les eaux et qui auraient enlevé la voie, indiquant la fuite. Sans hésiter on doit percer dans cette direction, après la voie devient nécessairement meilleure et tout repartira à beau bruit ... On évitera ainsi un forlonger toujours dangereux à une sortie de l’eau.

Devant un ruisseau, le problème à résoudre est plus complexe : ou le chevreuil a franchi le cours d’eau et fuit en avant, ou il vient y buter et fait au retour voie par voie, ou il a longé le canal en amont, ou bien encore il a suivi le courant.

Là encore le veneur laissera faire ses chiens, tout au moins un bon moment. Alors, et pour gagner du temps il fera un retour en arrière, cherchant un volce-l’est d’aller. S’il n’en trouve pas un de retour, le chevreuil a ou sauté le canal, ou pris l’eau dans un sens ou dans l’autre. Il suffira donc de longer les bords soit en amont, soit en aval si le terrain s’y prête, car il y a beaucoup de forêts, hélas ! où cela est impossible et où il faut compter plus sur le travail des chiens que sur l’aide des hommes. J’ai connu certains chiens qui chassaient l’eau fort bien, j’estime que c’est une spécialité comme celle du rapprocheur, du chien de chemin, ou du chien de forlonger ; mais c’est un spectacle impressionnant que de voir ces as s’en aller en criant et galopant gaiement dans un fossé ou une queue d’étang. Ce sont des souvenirs de cette qualité-là qui vous font regarder sans mélancolie les trompes qui s’empoussièrent ou les couteaux qui rouillent inutiles aux murs de votre bureau.

Avant d’aborder la grave question du change et de l’accompagner qui fera le fond de notre prochaine causerie, nous allons rappeler quelques-uns de ces principes éternels que l’on oublie trop souvent, au moment des défauts.

Dès le début d’une chasse, un chevreuil fait ses crochets soit à droite, soit à gauche, mais le veneur doit le remarquer, car, pendant tout le courre, l’animal continuera à se dérober du côté qu’il a choisi. Est-ce parce qu’il galope plus facilement sur le pied gauche que sur le pied droit, ou pour toute autre raison, je n’en sais rien, mais c’est une règle pour ainsi dire sans exception et une indication précieuse lorsque la meute tombe à bout de voie.

Le vent aussi a son importance, surtout en débucher ; un chevreuil — à moins qu’il ne soit fini — n’aime pas s’en aller dans le vent.

Un veneur qui ne remarquerait pas toutes ces petites subtilités ne sera jamais un bon chasseur, pratiquerait-il pendant cent ans ! Car tout est matière à observation dans le cours d’une chasse, et ce sont ces remarques, ces examens minutieux, ces études incessantes sur la façon de se comporter des chiens et de l’animal poursuivi qui permettent au chasseur de devenir parfait veneur de chevreuil, cet être qui semble être un surhomme, une sorte de phénix, quelqu’un qui friserait la perfection.

Guy HUBLOT.

(1) Voir Chasseur Français de septembre 1941.

Le Chasseur Français N°603 Novembre 1941 Page 516