L’amateurisme, qui depuis vingt ans travaillait à la
reconstitution du cheptel canin éprouvé par la grande guerre, pouvait se
féliciter, il y a à peine plus d’une année, d’avoir plus qu’honorablement
réussi. L’œuvre est maintenant compromise en quelques-unes de ses parties.
Tenant dans cette revue la rubrique du chien courant, j’ai
motif, je le crains, d’être particulièrement inquiet, les races de grande et
petite vénerie étant celles que les événements ont mises en fâcheuse posture.
Après la grande guerre, il avait fallu inaugurer la classe
des anglo-français sans autre précision, c’est assez dire la peine éprouvée à
obtenir des types bien définis. Quelques vautraits cependant étaient montés en anglo-poitevin
convenables. Certains équipages de blancs-noirs pouvaient revendiquer parenté
et ressemblance avec le type de Gasco-Saintongeois portant pointe de sang
anglais, conçu par M. Lévêque, le comte de Chabot, et autres maîtres
d’équipage de l’Ouest. Le Midi conservait un certain nombre de Gasco-Saintongeois,
bien français ceux-là. Que restera-t-il de tout ce monde à quatre pattes, ou
mieux qu’en reste-t-il ?
On préfère ne pas apporter une réponse, ni trop s’appesantir
sur un passé peut-être à tout jamais compromis.
En petite vénerie, on sauvera tout ce qui est à deux
fins : tir et courre. Les briquets griffons, les chiens de pays, de divers
types, les chiens à lièvre du Midi, de taille réduite.
Je ne parlerai ici que des races nationales et ne dirai donc
rien du Beagle assuré d’un avenir, ni de son dérivé le Beagle-Harrier.
Restent les bassets. Ceux-ci sont certainement en meilleure
posture. Nombreux sont les chasseurs possédant un ou deux bassicots qu’ils
conservent précieusement en dépit de toutes les difficultés. Avec une
population demeurant relativement nombreuse quoique éparse, on peut toujours
reconstituer sans craindre les inconvénients de la consanguinité permanente.
Le moyen d’assurer le succès de ces chiens destinés à être
très demandés, parce que la chasse à tir remplacera peut-être à peu près
complètement la petite vénerie, est d’éviter la production du basset a
prétentions de preneur de lièvres, trop grand et trop vite, et aussi de
renoncer à la fabrication du basset volumineux incapable de chasser sur tous
les terrains et exagérément tors.
Ce dernier, il faut le constater, est l’objet d’un effort
d’élimination datant de loin, exactement de l’époque à laquelle commença la
modification du lourd basset Lane de type normand. Son successeur et
descendant, l’Artésien normand, que Léon Verrier voulait légitimement désigner
sous le nom de Normand amélioré, est maintenant un très joli et bon chien,
seulement mi-tors, dont l’habile éleveur M. Guillaumette a montré ces
dernières années, sur les bancs de toutes les expositions, des représentants
très réussis. On voyait par contre quelques braves amateurs exhiber des unités
ou des paires de toutous rappelant trop le gros ancêtre, très décoratif
certainement, mais incapables de rendre service ailleurs que dans des couverts
clairs sur terrains peu accidentés. Le chien à moyens réduits, en un temps où
tout est à l’économie, donc à la recherche de ce qui sera à plusieurs fins, ne
trouvera pas d’amateurs. En l’espèce, félicitons-nous de cette obligation, car
vraiment on a vu des bassets presque privés d’avant-bras, tant ils étaient
réduits avec les antérieurs portant à faux, qu’il est légitime de qualifier de
monstrueux. Heureusement, encore une fois, la réforme a été bien comprise et
appliquée, et il y a une majorité de bassets Artésiens normands pouvant passer
partout. Suiveur bien ajusté et s’ameutant par définition, ce sont assurément
des auxiliaires précieux de l’amateur de coups de fusil. Le basset de train
réduit est le vrai chien de chasse à tir. Avec un lot de ce genre, un lièvre,
un chevreuil, ou un renard se fait battre sur quelques hectares et ne saurait
échapper à son sort. Je ne parle pas du sanglier, car tout sanglier que j’ai vu
mettre sur pied est parti grand train ; aussi, pour n’avoir pas de
forlonger, c’est avec des chiens de bon pied qu’il importe de l’attaquer.
Avant que ce siècle ne fût né, je chassais dans un
département voisin avec un confrère en saint Hubert, propriétaire d’un lot de
ces bassets mi-tors. Ils étaient très chasseurs et fins de nez. Il me souvient
d’hécatombes de lièvres faites avec leur concours. Bien qu’en cette région les
talus soient d’humbles levées de terre, près de ceux de mon Finistère, les
chiens avaient quelque peine à les franchir parfois. Le petit piqueux qui les
suivait devait en certaines circonstances les aider. Cet inconvénient incita
leur maître à les remplacer par de petits bassets fauves très vites pour leur
taille réduite. Ils étaient excellents sans doute et avec eux aucun animal ne
pouvait s’obstiner à ruser au fourré. Ils étaient en conséquence bien plus
meurtriers pour le lapin dans les ajoncs denses que les bassets du premier lot.
En revanche, quoique très bons chiens à lièvre, ils l’emmenaient beaucoup trop
loin, comme l’eussent fait les meilleurs briquets, aussi en tirait-on moins
avec eux.
Quiconque veut tirer et tuer aura donc tout intérêt à se
pourvoir de bassets aux allures modestes, sans pour autant rechercher des
infirmes. En France, nous avons parfaitement réalisé le problème dans nos
provinces du Nord-Ouest.
Le Sud-Ouest peut d’ailleurs revendiquer le même succès. Le
Basset bleu de Gascogne, dont mon bon collègue et ami Dhers parle parfois avec
quelque ironie, je ne sais pourquoi, est, tel que maintenant réalisé, un
charmant petit chien, de beaucoup de cachet, avec une gorge superbe. Lui aussi
est fait pour passer partout et c’est bien un chien s’ameutant par définition.
La chronique secrète rapporte qu’il y a peu de lustres quelques gouttes de son
sang furent versées dans les veines de son cousin plus haut nommé. Des voix
s’élevèrent pour crier au scandale et stigmatiser les quelques mouchetures
présentes, sur des épidermes qui eussent dû ne les point présenter !
J’avoue avoir mal compris ce concert d’imprécations.
L’opération s’est traduite probablement par un gain des côtés gorge, sécheresse
du tissu, distinction, conformation en dôme du crâne et tournure de l’oreille.
Ceux qui ont pleuré ainsi n’ont pas lu le Manuel de Vénerie du comte de Coulteux
de Canteleu, notant au chapitre de la description des races certaines affinités
somatiques et morales étrangères à l’observateur superficiel.
Le croisement du Normand avec le véritable basset d’Artois,
tel que l’avait réalisé précisément et pour son usage personnel le précité
comte Le Coulteux, avait eu l’inconvénient de laisser des traces assez
marquées sur la structure du crâne du premier. Tout le monde ne connaît pas
malheureusement le type céphalique du chien d’Artois, ni son oreille. La tête
courte épanouie et très sculptée, ainsi que la conque auriculaire plate et
arrondie à l’extrémité n’ont pas les grâces de celle aux proportions ogivales
pourvus d’oreilles bien tournées et terminées en pointe. Mais ce qui est, est.
Le Basset d’Artois ancien et véritablement pur artésien avait le faciès peu
apprécié maintenant de la vieille race d’Artois décrits par cent auteurs, de Sélincour
à Verrier, en passant par du Passage et les veneurs d’Artois, cités en son
ouvrage Un Siècle de Vénerie, jusqu’au bon père Levoir.
Il importe tout à fait peu qu’une condamnation à mort ait
été portée contre lui par une cabale qui a semblé vouloir supprimer un
concurrent. Ce petit basset droit ou presque droit, tel que le voulait Le Coulteux,
doit encore exister et existe même certainement. Il est intéressant parce que
de moral plus briquet que la plupart des bassets de notre pays, qu’il est leste
et actif, de beaucoup d’initiative, moins ameutable que d’autres, par
conséquent très recommandable à quiconque chasse avec un petit nombre de
chiens, une paire ou même avec un seul.
On me dira que le Basset Vendéen répond à ces exigences.
C’est entendu, mais beaucoup de gens préfèrent le chien à poil ras, d’entretien
plus aisé et enfin facile à tenir propre si l’on veut l’admettre à la maison.
Enfin, il y a des gens qui n’aiment pas le physique du Griffon. Admettons donc
tous les goûts et laissons à la disposition de nos confrères un basset à poil
ras débrouillard, puisque nous avons la chance d’en avoir un.
Et, maintenant, venons-en au grand Basset qui a franchi la
limite de 0m,40 et prétend rivaliser de train avec le Briquet de
même pays, et son cousin par surcroît. N’ayant jamais caché mon sentiment sur
cette orientation, même à mon aimable et regretté collègue M. Dezamy, je
répète que le Basset tournant au chien de chasse à courre est une erreur. Nos
bons amis de Vendée en sont, je crois, bien revenus. Avec quel plaisir ai-je
contemplé dans mon ring, peu avant la dernière guerre, le magnifique Basset de 0m,40
à 0m,41 qu’exposait M. Sellier, l’éleveur connu. Remarquer,
dans les tailles plus réduites, autour de 0m,38 et au-dessous,
encore de ces jolis chiens droits, utilisables exactement en tous pays et
terrains, prenant sur n’importe quelles voies, dont le succès est pour toujours
assuré. Le Basset Vendéen est par excellence le compagnon de celui qui n’a
qu’un chien. J’en ai recommandé l’usage dans ma région de gros couverts et de
piquants, de préférence à celui des Briquets de 0m,50 et plus, aux
chasseurs de la campagne. Les jours où ils pratiquent la chasse solitaire, un
basset bon lanceur leur fait voir plus de gibier que les chiens plus grands et
les poussent moins loin. Quand on se réunit en nombre, ces Bassets provenant de
bonnes origines s’ameutent mieux que les Briquets de pays et sont de train
moins vif. Il y a tout avantage, encore une fois, à éviter, quand on veut
tirailler, le concours des chiens d’un pied fantastique.
J’ai mis longtemps à me rendre à cette évidence ; très
friand du courre du lièvre durant de longues années et n’aimant guère à le
raccourcir d’un coup de fusil, je n’avais que peu de sympathie pour les courtes
pattes. Mais les temps ont changé, hélas ! et je dis bien hélas ! Il
faut savoir s’adapter, ce qui est toujours plus ou moins renoncer à des joies
qu’on ne vivra plus.
Croyant très sincèrement à une évolution dans l’usage du
chien courant dans le sens que je viens d’exposer, je me permets d’insister
près des éleveurs ayant conservé leurs reproducteurs pour leur demander de
continuer leur effort. Ils seront certainement récompensés un jour, peut-être
peu éloigné, des soins et des sacrifices qu’ils s’imposent depuis plus d’une
année sans profit, et seulement par dévouement à la cause cynégétique.
Mes compatriotes s’étonneront que j’aie passé sous silence
le Basset de notre Bretagne. Rare et mal connu, il n’intéresse qu’un petit
nombre d’initiés qui savent tous ses mérites. C’est aussi un terrible remueur
de gibier. Mais combien regrettable que sa petite taille et sa livrée lui
vaillent presque toujours fin prématurée du fait d’un fusil chaud ou simplement
prompt ! Les plus expérimentés s’y sont laissés prendre. Alors, si l’on ne
tolère chez lui au moins le collier blanc, le gilet et la face également
blancs, qu’il porte parfois, on le condamnera à disparaître. Ce serait grand
dommage, je vous l’assure, car c’est un fameux petit chien lorsque authentique
et autre chose qu’un croisé de teckel.
L’esthétique théorique a ses mérites, mais pas trop n’en
faut, à propos de Basset surtout. C’est une pensée fort à méditer à propos de
certains de nos Bassets nationaux et cette trop longue causerie ne saurait se
terminer sur plus opportune observation.
R. DE KERKADEC.
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