Accueil  > Années 1940 et 1941  > N°603 Novembre 1941  > Page 524 Tous droits réservés

Le basset sera demain très en faveur

L’amateurisme, qui depuis vingt ans travaillait à la reconstitution du cheptel canin éprouvé par la grande guerre, pouvait se féliciter, il y a à peine plus d’une année, d’avoir plus qu’honorablement réussi. L’œuvre est maintenant compromise en quelques-unes de ses parties.

Tenant dans cette revue la rubrique du chien courant, j’ai motif, je le crains, d’être particulièrement inquiet, les races de grande et petite vénerie étant celles que les événements ont mises en fâcheuse posture.

Après la grande guerre, il avait fallu inaugurer la classe des anglo-français sans autre précision, c’est assez dire la peine éprouvée à obtenir des types bien définis. Quelques vautraits cependant étaient montés en anglo-poitevin convenables. Certains équipages de blancs-noirs pouvaient revendiquer parenté et ressemblance avec le type de Gasco-Saintongeois portant pointe de sang anglais, conçu par M. Lévêque, le comte de Chabot, et autres maîtres d’équipage de l’Ouest. Le Midi conservait un certain nombre de Gasco-Saintongeois, bien français ceux-là. Que restera-t-il de tout ce monde à quatre pattes, ou mieux qu’en reste-t-il ?

On préfère ne pas apporter une réponse, ni trop s’appesantir sur un passé peut-être à tout jamais compromis.

En petite vénerie, on sauvera tout ce qui est à deux fins : tir et courre. Les briquets griffons, les chiens de pays, de divers types, les chiens à lièvre du Midi, de taille réduite.

Je ne parlerai ici que des races nationales et ne dirai donc rien du Beagle assuré d’un avenir, ni de son dérivé le Beagle-Harrier.

Restent les bassets. Ceux-ci sont certainement en meilleure posture. Nombreux sont les chasseurs possédant un ou deux bassicots qu’ils conservent précieusement en dépit de toutes les difficultés. Avec une population demeurant relativement nombreuse quoique éparse, on peut toujours reconstituer sans craindre les inconvénients de la consanguinité permanente.

Le moyen d’assurer le succès de ces chiens destinés à être très demandés, parce que la chasse à tir remplacera peut-être à peu près complètement la petite vénerie, est d’éviter la production du basset a prétentions de preneur de lièvres, trop grand et trop vite, et aussi de renoncer à la fabrication du basset volumineux incapable de chasser sur tous les terrains et exagérément tors.

Ce dernier, il faut le constater, est l’objet d’un effort d’élimination datant de loin, exactement de l’époque à laquelle commença la modification du lourd basset Lane de type normand. Son successeur et descendant, l’Artésien normand, que Léon Verrier voulait légitimement désigner sous le nom de Normand amélioré, est maintenant un très joli et bon chien, seulement mi-tors, dont l’habile éleveur M. Guillaumette a montré ces dernières années, sur les bancs de toutes les expositions, des représentants très réussis. On voyait par contre quelques braves amateurs exhiber des unités ou des paires de toutous rappelant trop le gros ancêtre, très décoratif certainement, mais incapables de rendre service ailleurs que dans des couverts clairs sur terrains peu accidentés. Le chien à moyens réduits, en un temps où tout est à l’économie, donc à la recherche de ce qui sera à plusieurs fins, ne trouvera pas d’amateurs. En l’espèce, félicitons-nous de cette obligation, car vraiment on a vu des bassets presque privés d’avant-bras, tant ils étaient réduits avec les antérieurs portant à faux, qu’il est légitime de qualifier de monstrueux. Heureusement, encore une fois, la réforme a été bien comprise et appliquée, et il y a une majorité de bassets Artésiens normands pouvant passer partout. Suiveur bien ajusté et s’ameutant par définition, ce sont assurément des auxiliaires précieux de l’amateur de coups de fusil. Le basset de train réduit est le vrai chien de chasse à tir. Avec un lot de ce genre, un lièvre, un chevreuil, ou un renard se fait battre sur quelques hectares et ne saurait échapper à son sort. Je ne parle pas du sanglier, car tout sanglier que j’ai vu mettre sur pied est parti grand train ; aussi, pour n’avoir pas de forlonger, c’est avec des chiens de bon pied qu’il importe de l’attaquer.

Avant que ce siècle ne fût né, je chassais dans un département voisin avec un confrère en saint Hubert, propriétaire d’un lot de ces bassets mi-tors. Ils étaient très chasseurs et fins de nez. Il me souvient d’hécatombes de lièvres faites avec leur concours. Bien qu’en cette région les talus soient d’humbles levées de terre, près de ceux de mon Finistère, les chiens avaient quelque peine à les franchir parfois. Le petit piqueux qui les suivait devait en certaines circonstances les aider. Cet inconvénient incita leur maître à les remplacer par de petits bassets fauves très vites pour leur taille réduite. Ils étaient excellents sans doute et avec eux aucun animal ne pouvait s’obstiner à ruser au fourré. Ils étaient en conséquence bien plus meurtriers pour le lapin dans les ajoncs denses que les bassets du premier lot. En revanche, quoique très bons chiens à lièvre, ils l’emmenaient beaucoup trop loin, comme l’eussent fait les meilleurs briquets, aussi en tirait-on moins avec eux.

Quiconque veut tirer et tuer aura donc tout intérêt à se pourvoir de bassets aux allures modestes, sans pour autant rechercher des infirmes. En France, nous avons parfaitement réalisé le problème dans nos provinces du Nord-Ouest.

Le Sud-Ouest peut d’ailleurs revendiquer le même succès. Le Basset bleu de Gascogne, dont mon bon collègue et ami Dhers parle parfois avec quelque ironie, je ne sais pourquoi, est, tel que maintenant réalisé, un charmant petit chien, de beaucoup de cachet, avec une gorge superbe. Lui aussi est fait pour passer partout et c’est bien un chien s’ameutant par définition. La chronique secrète rapporte qu’il y a peu de lustres quelques gouttes de son sang furent versées dans les veines de son cousin plus haut nommé. Des voix s’élevèrent pour crier au scandale et stigmatiser les quelques mouchetures présentes, sur des épidermes qui eussent dû ne les point présenter !

J’avoue avoir mal compris ce concert d’imprécations. L’opération s’est traduite probablement par un gain des côtés gorge, sécheresse du tissu, distinction, conformation en dôme du crâne et tournure de l’oreille. Ceux qui ont pleuré ainsi n’ont pas lu le Manuel de Vénerie du comte de Coulteux de Canteleu, notant au chapitre de la description des races certaines affinités somatiques et morales étrangères à l’observateur superficiel.

Le croisement du Normand avec le véritable basset d’Artois, tel que l’avait réalisé précisément et pour son usage personnel le précité comte Le Coulteux, avait eu l’inconvénient de laisser des traces assez marquées sur la structure du crâne du premier. Tout le monde ne connaît pas malheureusement le type céphalique du chien d’Artois, ni son oreille. La tête courte épanouie et très sculptée, ainsi que la conque auriculaire plate et arrondie à l’extrémité n’ont pas les grâces de celle aux proportions ogivales pourvus d’oreilles bien tournées et terminées en pointe. Mais ce qui est, est. Le Basset d’Artois ancien et véritablement pur artésien avait le faciès peu apprécié maintenant de la vieille race d’Artois décrits par cent auteurs, de Sélincour à Verrier, en passant par du Passage et les veneurs d’Artois, cités en son ouvrage Un Siècle de Vénerie, jusqu’au bon père Levoir.

Il importe tout à fait peu qu’une condamnation à mort ait été portée contre lui par une cabale qui a semblé vouloir supprimer un concurrent. Ce petit basset droit ou presque droit, tel que le voulait Le Coulteux, doit encore exister et existe même certainement. Il est intéressant parce que de moral plus briquet que la plupart des bassets de notre pays, qu’il est leste et actif, de beaucoup d’initiative, moins ameutable que d’autres, par conséquent très recommandable à quiconque chasse avec un petit nombre de chiens, une paire ou même avec un seul.

On me dira que le Basset Vendéen répond à ces exigences. C’est entendu, mais beaucoup de gens préfèrent le chien à poil ras, d’entretien plus aisé et enfin facile à tenir propre si l’on veut l’admettre à la maison. Enfin, il y a des gens qui n’aiment pas le physique du Griffon. Admettons donc tous les goûts et laissons à la disposition de nos confrères un basset à poil ras débrouillard, puisque nous avons la chance d’en avoir un.

Et, maintenant, venons-en au grand Basset qui a franchi la limite de 0m,40 et prétend rivaliser de train avec le Briquet de même pays, et son cousin par surcroît. N’ayant jamais caché mon sentiment sur cette orientation, même à mon aimable et regretté collègue M. Dezamy, je répète que le Basset tournant au chien de chasse à courre est une erreur. Nos bons amis de Vendée en sont, je crois, bien revenus. Avec quel plaisir ai-je contemplé dans mon ring, peu avant la dernière guerre, le magnifique Basset de 0m,40 à 0m,41 qu’exposait M. Sellier, l’éleveur connu. Remarquer, dans les tailles plus réduites, autour de 0m,38 et au-dessous, encore de ces jolis chiens droits, utilisables exactement en tous pays et terrains, prenant sur n’importe quelles voies, dont le succès est pour toujours assuré. Le Basset Vendéen est par excellence le compagnon de celui qui n’a qu’un chien. J’en ai recommandé l’usage dans ma région de gros couverts et de piquants, de préférence à celui des Briquets de 0m,50 et plus, aux chasseurs de la campagne. Les jours où ils pratiquent la chasse solitaire, un basset bon lanceur leur fait voir plus de gibier que les chiens plus grands et les poussent moins loin. Quand on se réunit en nombre, ces Bassets provenant de bonnes origines s’ameutent mieux que les Briquets de pays et sont de train moins vif. Il y a tout avantage, encore une fois, à éviter, quand on veut tirailler, le concours des chiens d’un pied fantastique.

J’ai mis longtemps à me rendre à cette évidence ; très friand du courre du lièvre durant de longues années et n’aimant guère à le raccourcir d’un coup de fusil, je n’avais que peu de sympathie pour les courtes pattes. Mais les temps ont changé, hélas ! et je dis bien hélas ! Il faut savoir s’adapter, ce qui est toujours plus ou moins renoncer à des joies qu’on ne vivra plus.

Croyant très sincèrement à une évolution dans l’usage du chien courant dans le sens que je viens d’exposer, je me permets d’insister près des éleveurs ayant conservé leurs reproducteurs pour leur demander de continuer leur effort. Ils seront certainement récompensés un jour, peut-être peu éloigné, des soins et des sacrifices qu’ils s’imposent depuis plus d’une année sans profit, et seulement par dévouement à la cause cynégétique.

Mes compatriotes s’étonneront que j’aie passé sous silence le Basset de notre Bretagne. Rare et mal connu, il n’intéresse qu’un petit nombre d’initiés qui savent tous ses mérites. C’est aussi un terrible remueur de gibier. Mais combien regrettable que sa petite taille et sa livrée lui vaillent presque toujours fin prématurée du fait d’un fusil chaud ou simplement prompt ! Les plus expérimentés s’y sont laissés prendre. Alors, si l’on ne tolère chez lui au moins le collier blanc, le gilet et la face également blancs, qu’il porte parfois, on le condamnera à disparaître. Ce serait grand dommage, je vous l’assure, car c’est un fameux petit chien lorsque authentique et autre chose qu’un croisé de teckel.

L’esthétique théorique a ses mérites, mais pas trop n’en faut, à propos de Basset surtout. C’est une pensée fort à méditer à propos de certains de nos Bassets nationaux et cette trop longue causerie ne saurait se terminer sur plus opportune observation.

R. DE KERKADEC.

Le Chasseur Français N°603 Novembre 1941 Page 524