Cette causerie et celles qui suivront s’adressent seulement
aux chasseurs dignes de ce nom, à ceux qui aiment ce sport dans tout ce qu’il a
de noble.
— À ceux qui, lorsque leur bon chien est à l’arrêt, se
disent avec une joie intense : « Le gibier est là. il va
partir ; il est aussi malin que moi » mais j’en serai le maître parce
que j’en ai besoin pour me nourrir ; mais, si je le tue, je ne veux pas
qu’il souffle. »
— À ceux qui, lorsque leurs chiens courants font une
belle menée, quand novembre amène de l’or dans toutes les frondaisons,
entendant revenir la voix de leurs bons compagnons, se disent : « Le
lièvre va revenir vers moi ramené par mes braves bêtes, je le tuerai quand il
me plaira. » Et souvent ne tuent pas leur lièvre la première fois pour le
plaisir d’entendre encore de la belle musique.
— À ceux qui, lorsque, le gibier tiré, voient leur bon
compagnon soit le leur rapporter fidèlement, soit venir à eux, les lécher, ses
bons yeux embués de tendresse, cherchant sa récompense dans la joie que le
chasseur éprouve, ont toutes les joies du monde.
Je ne m’adresse pas aux fusillots, qui, la bourse bien garnie,
vont surtout à la chasse pour faire un bon dîner et massacrer bon nombre de
pièces de gibier sans aucun plaisir.
Pour avoir le bon compagnon que tout bon chasseur doit
rechercher, c’est assez difficile. « Un chasseur n’a qu’un chien dans sa
vie », dit un proverbe ; on peut en avoir plusieurs si on sait tenir
compte des données de ce problème.
Pour cela, il faut, si on veut l’élever soi-même, et c’est
souvent la meilleure solution :
1° Savoir choisir ses reproducteurs ;
2° Savoir élever le jeune élève ;
3° Savoir le dresser ;
4° Savoir l’utiliser en chasse.
Si on n’a pas le temps de l’élever et le dresser, on peut
l’acheter tout dressé. Et, dans ce cas, il faut :
1° Savoir l’acheter ;
2° Savoir l’utiliser en chasse.
Bien des chasseurs vont sourire en pensant que tout ce que
je pourrai écrire, ils le savent déjà. La majorité des chasseurs ont le grave
défaut de prétendre posséder la science infuse ; ils savent toujours tout.
Pourtant, que de choses apprend-on tous les jours ! Et
l’homme le plus courageux est celui qui avoue qu’il s’est trompé quand cela lui
arrive. Ainsi il ne persiste pas dans son erreur et c’est le seul moyen de ne
pas y retomber.
Si je n’emploie pas des termes suffisamment techniques au
cours de mes causeries, que les lecteurs du Chasseur français m’en
excusent ; je ne suis qu’un utilisateur de chiens de chasse et n’ai pour
tout bagage scientifique que cinquante ans d’expérience de chasse en France et
aux colonies, et de nombreuses présentations en concours : fields trials
et expositions, couronnées de quelques succès.
Du choix des reproducteurs.
— Cette question est très importante, car de ce choix
dépendront, l’avenir de votre jeune élève et les satisfactions qu’il vous
donnera en chasse.
Si vous possédez la lice et l’étalon, faites attention à la
consanguinité. Vous pouvez faire la saillie entre fils et mère ou père et
fille, cela est pratiqué assez couramment par les Anglais, qui ont un
savoir-faire en élevage que nous n’avons peut-être pas en France, mais que nous
devons, surtout dans les circonstances présentes, arriver à égaler, sinon à
dépasser.
Choisissez des reproducteurs en très bonne santé, sains,
robustes, doués d’un très bon appétit, âgés de deux à six ans, bonnes pattes,
bons reins, bons yeux. Mais, que vous les possédiez ou que vous soyez obligé de
les chercher ailleurs, attachez-vous surtout à leurs réelles qualités en chasse.
Si vous les possédez, ne vous exagérez pas leurs qualités
comme le font beaucoup trop de chasseurs par déformation professionnelle et
vanité pour leurs animaux. Tenez bien compte de leurs défauts : tous les
chiens en ont et les défauts s’exagèrent dans la descendance bien plus que les
qualités.
Attachez-vous aussi, et peut-être en premier lieu, à ce que
ces reproducteurs soient obéissants en conservant toutefois leur bon
tempérament chasseur. Quand vous avez des animaux dociles, vous aurez toujours
de bons résultats au dressage d’abord et en chasse ensuite.
J’aime mieux un animal docile qu’un grand crack qui fait
parfois des merveilles, mais avec qui bien souvent on est obligé d’user de la
cravache.
Écartez résolument les reproducteurs peureux ou tarés.
Combien de fois ai-je vu des chasseurs ayant une lice peureuse ou tarée se dire
qu’en la faisant saillir par un bon étalon ils pourraient avoir tout de même
des bons produits ! C’est une grave erreur, d’autant plus que les qualités
de chasse se transmettent surtout par la mère.
Ainsi, si une chienne a peur du coup de feu, pour ne citer
que ce défaut, vous pouvez être assuré que tous ses produits seront peureux. Et
si, en les prenant en bas âge, vous pouvez corriger ce défaut, vous aurez tout
de même des difficultés par la suite.
Restez autant que possible dans les races déjà établies,
grâce aux efforts d’éleveurs consciencieux qui ont peiné de longues années pour
arriver à un bon résultat.
Certains chasseurs prétendent qu’un corniaud quelconque
donne d’aussi bons résultats qu’un sujet de race pure. Les corniauds font assez
souvent des chiens débrouillards, bons trouveurs de gibier, mais on n’a jamais
avec eux les satisfactions qu’un chasseur sportif doit rechercher.
L’an dernier, j’ai vu évoluer dans une plaine assez
giboyeuse deux jeunes chasseurs de vingt ans qui avaient deux affreux chiens de
ferme. Je dois reconnaître qu’ils n’avaient pas leurs pareils pour lever les
lièvres dans les champs de maïs et de topinambours. Là où de bons chiens
d’arrêt avaient passé, eux levaient encore du gibier. Mais que de galopades
éperdues où même des jambes de vingt ans ne pouvaient suffire ! Et un
lièvre blessé était proprement dévoré en quelques minutes si le maître
n’arrivait pas rapidement à la rescousse à grand renfort de pierres et de coups
de trique.
Un jour, les entendant poursuivre à voix, je vis passer un
lièvre à une certaine distance, en plein travers. Je le saluai de deux coups de
fusil et croyais bien l’avoir manqué ; les deux mâtins passant, mon
épagneul breton fit la faute de les suivre. Arrivé à trois cents mètres, le
lièvre bascula raide dans un fossé plein d’eau. Les trois chiens sautent
dessus ; il y eut bataille homérique ; mon chien, assez courageux,
rossa les deux « faroux » assez couards, comme tous les chiens de
ferme quand ils sont en liberté, et me rapporta le lièvre tout ruisselant
d’eau. Ce jour-là, il avait mérité la récompense.
Les deux chasseurs survenant, j’essayai de leur faire
comprendre que leurs deux chiens ne leur étaient pas d’une grande utilité et
qu’ils déplaçaient surtout le gibier sans profit pour personne. Ils ne
voulurent pas comprendre et s’éloignèrent en maugréant.
Si vous êtes éleveur-amateur et que vous vouliez songer par
la suite à céder quelques produits de votre élevage, vous pouvez, et c’est un
choix très judicieux, utiliser une lice ou un étalon primé en expositions ou en
fields trials.
Ce choix fera l’objet de ma prochaine causerie.
LE VIEUX DRESSEUR.
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