Si Paul-Émile Victor effectua de périlleuses expéditions
scientifiques dans les terres glacées du Groenland, c’est au cœur du Sahara que
son camarade Henri Lhote accomplit de nombreuses missions.
Tout jeune, celui-ci aimait déjà rechercher les lézards, les
insectes et les serpents dans les forêts de la région parisienne. Il pouvait le
faire librement en compagnie des Éclaireurs de France, au cours des
« sorties » du dimanche. Orphelin à douze ans dans la capitale,
obligé pour vivre de pratiquer des métiers « alimentaires », il veut
pourtant s’instruire et assiste aux cours du soir.
Un rêve le posséda pendant toute son adolescence, depuis
qu’un de ses cousins, officier au Soudan, lui eut conté ses aventures :
partir pour des pays lointains « où il doit y avoir des bêtes
curieuses ». La lecture d’un ouvrage du professeur Gautier sur le Sahara
le décida à y aller, coûte que coûte.
Il réunit de pauvres petites économies et réussit à gagner
Alger. Naïvement, il a revêtu le costume scout, croyant peut-être pouvoir ainsi
affronter le désert. Il demande à être reçu par le Gouverneur général. On rit
de lui, on refuse. Il revient toujours à la charge, une flamme obstinée dans
les yeux.
Un beau jour, le Gouverneur général lui accorde une
audience.
Sa foi paraît si grande qu’une petite mission officielle lui
est confiée : étudier les migrations des sauterelles, qui causent de
véritables ravages dans certains de nos territoires.
Muni d’une maigre subvention, débordant d’enthousiasme, il
s’engage dans le désert.
À vingt-cinq ans, il commence ainsi une carrière
d’explorateur dont les trois premiers épisodes devaient être :
Un voyage de trois ans d’El Goléa à Tamanrasset dans le
Hoggar ; de là vers Agadez dans l’Aïr, puis dans le Soudan, sur le Niger
jusqu’à Bamako, avec retour par l’Adrar des Iforas, le Hoggar et l’Erg
oriental : 15.000 kilomètres.
Un second voyage au Cameroun, par le Sahara : 12.000
kilomètres.
Un troisième voyage, de vingt mois, dans le Tassili des Ajjers,
puis à travers le Ténéré inconnu jusqu’à Agadez avec retour par Djanet ; à
nouveau le Ténéré et les confins saharo-soudanais, le Hoggar et
Fort-Polignac : 12.000 kilomètres.
Henri Lhote a laissé pousser sa barbe et il porte le litham
et le burnous, comme les Touareg. Lorsque ses ressources le lui permettent, il
engage un chamelier et un guide. Mais, le plus souvent, c’est absolument seul
qu’il accomplit ses missions. Il poursuit courageusement son chemin, dans le
sable brûlant, les joues et les lèvres gercées par un soleil de 70 degrés,
sans un point de repère à l’horizon. Il lui arrive heureusement parfois de
rencontrer des « groupes nomades », « méharistes », qui,
sous la direction d’un officier français, mènent la lutte contre des
« rezzous » de pilleurs indigènes.
Plusieurs fois, la mort le frôle de près, par exemple, dans
cette aventure dans le « Tanezrouft », justement surnommé le
« désert de la soif » :
Henri Lhote est accompagné d’un guide et d’un chamelier. En
quittant le puits d’In Kessou, le guide, qui, seul, connaît la route, est piqué
à l’œil gauche par un scorpion ; l’œil enfle démesurément. Le lendemain,
ses deux yeux sont fermés. Dressé sur son chameau, il essaie en vain, avec ses
doigts, d’écarter ses paupières. Il tente alors de se fier à sa mémoire :
« Apercevez-vous une petite dune, sur la gauche ? »
Dans un véritable enfer de chaleur, les trois hommes
avancent péniblement. Le soir, le guide meurt, et le chamelier lui creuse une
tombe tout en pleurant et psalmodiant des prières. L’immense solitude rend la
scène lugubre. Un vent de sable se lève et active l’évaporation des outres.
Dans le reg hallucinant, Lhote repart avec l’indigène. Une
tempête, au cours de la nuit suivante, fait s’enfuir les deux chameaux et
dissimule leurs traces. Après cinq heures de recherches épuisantes, Lhote seul
parvient à retrouver son méhari.
Il le prête à son chamelier pour que celui-ci tente encore
de retrouver sa monture.
Le chamelier ne devait jamais revenir. Saisi de peur, il
avait trahi son maître et tenté sa chance. On retrouva plus tard ses ossements.
Lhote marcha des jours et des jours dans le sable en feu. Il
n’a plus d’eau. Il continue. Il n’a plus de dattes, il continue.
Un soir, vaincu par la fatigue, il s’étendit, attendant la
mort.
Par quel miracle un Targui, chasseur de gazelles, égaré
lui-même, le découvrit-il là et parvint-il à le ramener à son campement ?
« Vous emporterez une toile de tente », avait dit
le lieutenant d’une compagnie méhariste très éloignée, alerté de la disparition
de l’explorateur.
La toile de tente ne servit pas à faire un linceul.
Autre miracle : des caisses de documents, ensablées au
lieu de la disparition des chameaux, purent être retrouvées.
Car, si nous avons longuement conté cette aventure d’Henri
Lhote (à l’intention de nos jeunes lecteurs surtout), c’est pour souligner le
prix de ces documents ramenés du désert.
Le jeune explorateur en rapporta plusieurs centaines de
kilogrammes, depuis des fragments de pierre jusqu’à des squelettes humains, au
Muséum d’Histoire Naturelle.
On sait que des territoires fertiles couvraient jadis le
Sahara. Des ossements d’éléphants, d’hippopotames, de crocodiles démontrent
l’existence d’un fleuve et d’une végétation luxuriante. Des petites hachettes
finement polies, des flèches joliment travaillées, des harpons en os prouvent
que des populations sédentaires habitaient là, Lhote découvrit des crânes
humains de l’époque néolithique, et, dans l’Adrar Arli et les grottes de Timmissas,
gravés sur des rochers, des dessins de chars de guerre tirés par des chevaux. À
quelle période du monde ces chars écrasèrent-ils le gravier ! Le climat
devait être humide puisque le cheval pouvait vivre. Dans le Tassib, Lhote
s’empara dans une « guelta » d’un poisson de 60 centimètres,
dernier témoin du temps mystérieux.
On voit donc l’intérêt scientifique de ces recherches.
Est-il besoin d’insister sur la prouesse sportive que
représente aussi cette randonnée de 40.000 kilomètres à dos de chameau ?
Henri Lhote ne cesse de répéter à ses camarades Éclaireurs
de France que c’est au scoutisme qu’il doit sa vigueur physique et sa foi dans
l’utilité de son œuvre.
Fernand JOUBREL.
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