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Les plantes qui bougent

Les plantes, les végétaux de toutes tailles se révèlent à nous dans l’existence quotidienne comme des êtres immobiles. Nous serions fort surpris de voir une tige s’allonger comme un tentacule pour capturer une proie ou un rosier manifester de la souffrance quand nous venons l’amputer de quelques fleurs !

Visions accélérées.

— Ne nous y fions pas trop cependant. Les curieuses réalisations du Dr Comandon et de M. Jean Painlevé dans le domaine du cinéma accéléré nous ont révélé chez les plantes des mouvements « volontaires » d’une ruse et d’une violence inouïes.

Vous connaissez le principe. Supposons que nous voulions filmer l’éclosion d’une fleur. Celle-ci sera placée dans le champ d’une caméra cinématographique soumise au contrôle d’un mécanisme d’horlogerie et qui prendra, par exemple, une photo toutes les minutes. Projeté ensuite à la cadence de seize images par seconde (normale pour une bande non sonore), le film nous montrera le mouvement de la fleur : une véritable fusée, les pétales qui se recourbent en promptes volutes, tandis que les étamines jaillissent comme des dards !

Le spectacle devient suggestif si l’on s’adresse à des mouvements « méthodiques » comme celui des vrilles de la vigne. On voit ces délicats tentacules s’avancer d’abord de façon rigide, tâtant l’espace de leur fourche ; puis, dès qu’elles ont effleuré un obstacle, elles s’enroulent avec frénésie autour de ce point solide, qui servira d’appui à la plante.

Champignons étrangleurs.

— Grâce au micro-cinéma, le Dr Comandon a pu filmer le spectacle hallucinant des Brochapaga, piégeurs étrangleurs de vers nématodes ! Ces Brochapaga sont de minuscules champignons en forme de filaments ; ils sont à l’affût d’une sorte particulière de très petits vers, les nématodes, qui circulent vivement, tels des poissons, à fleur du terreau humide.

Façonné en collet à lapins, le Brochapaga s’embusque dans les coulées des nématodes. Dès que le frottement léger de l’animal se fait sentir, le garrot se renfle brusquement, happant le ver qui succombe après une tortillante agonie. Le micro-cinéma, grâce à la vision en transparence, révèle le fonctionnement du piège : le « nœud coulant » est formé de trois cellules disposées en « triangle arrondi » et qui se gonflent subitement comme des ballons de football. On voit ensuite des filaments, parcourus par des globules mobiles, s’avancer à l’intérieur du cadavre pour en pomper les sucs.

La plante qui danse.

— Il est des mouvements plus prompts encore. La célèbre mimosée dite sensitive, chère aux poètes élégiaques, replie ses feuilles en une ou deux secondes au moindre contact. Il existe dans l’Inde des prairies entières de sensitives, véritables pâturages de Tantale, où le bétail ne trouve plus devant son mufle que de tristes brins desséchés ! Le mouvement de la sensitive est dû à de petits muscles (pulvinus, petit coussin), logés à l’aisselle de la feuille.

Les feuilles du robinier-faux acacia, les pétales de nombreuses fleurs nous offrent des apparences de mouvements volontaires qui sont en réalité étroitement liés à la naissance et à la chute du jour. Le pulvinus des sensitives est du reste sensible à la lumière ; en concentrant sur ce pulvinus un pinceau de lumière, on voit la feuille tout entière se tourner du côté d’où elle « croit » que vient la lumière.

Mais c’est également dans l’Inde, le long de la vallée sacrée du Gange, que vit un être extraordinaire : la plante-télégraphe, qui prie dans le désert. Cette plante possède à la racine des feuilles deux folioles qui s’élèvent par un mouvement de torsion, puis retombent, sans cause apparente, à raison d’une vingtaine de fois par minute. Les Hindous prétendent que la plante-télégraphe danse en cadence quand on claque des doigts, mais la vérité est que l’on ignore la cause de ce rythme de la solitude.

Pièges et victimes.

— Une étude passionnante pourrait être consacrée aux plantes-pièges qui capturent des animaux de taille respectable avec des raffinements inouïs : une photographie venant d’Amérique ne nous montrait-elle pas récemment une jeune grenouille capturée, happée à la tête par une monstrueuse fleur à gueule ?

La Rossolis, ou « Rosée du Soleil », justifie son nom charmant par une « perle brillante » de liquide qui goutte à la pointe de sa feuille ; mais ce joyau est un piège gluant qui colle les moucherons. L’Arum recèle au fond de son cornet des dizaines de bestioles volantes attirées par son odeur fétide et qui sont venues mourir au fond de cet attrape-mouches.

La Dionée nous montre une véritable organisation qui rappelle les antitanks ! Tout autour de la plante, des feuilles plates, en raquette, sont établies sur le sol ; ces raquettes sont hérissées de poils raides, enduits d’une matière visqueuse. Dès qu’une bestiole porte une patte imprudente sur le piège, elle est retenue par la glu ; la feuille se recourbe en cigare, enserrant sa proie dans un mortel corselet. C’est sur un cadavre desséché que se rouvrira le piège, prêt à capturer de nouvelles victimes.

L’Aldovrande vessiculeuse présente un cas curieux, de chasseur malhabile ; cette plante aquatique a des mouvements lents, en sorte que ses proies lui échappent. Mais la nature a le temps : dans quelques centaines de millions d’années, peut-être l’Aldovrande sera-t-elle devenue aussi prompte que la sensitive.

Expérienses sur les sensitives.

— Sir Jagadir Chunder Bose, le grand physiologue de Calcutta, a étudié avec amour et à l’aide d’instruments perfectionnés les mouvements et la sensibilité des plantes.

Pfeiffer Haberlandt et d’autres expérimentateurs avaient usé de procédés brutaux, allant jusqu’à brûler les malheureux rameaux. Bose, en bon Hindou, s’est élevé contre cette « barbarie » ; il a utilisé principalement l’électrisation de la plante au moyen d’une bobine d’induction.

La sensitive étant placée sur un support, un mince fil souple relie le rameau étudié à un bec en acier, mobile, qui se déplace au contact d’une plaque métallique couverte de noir de fumée ; cette plaque glisse verticalement, contrôlée par un mouvement d’horlogerie. Si la plante reste immobile, le bec inscrit sur le noir de fumée une simple ligne droite, mais dès que le rameau bouge le bec enregistre un crochet caractéristique.

Deux épingles, piquées dans la tige ou le pétiole de la feuille, permettent d’amener le courant d’une bobine de Rhumkorff. Envoyons une décharge : la feuille se replie brusquement, enregistrant un crochet, puis « rassurée » se relève lentement ; répétons une fois, trois fois l’expérience : le mouvement continue, mais avec une ampleur décroissante, attestant que la plante se fatigue. Un peu de repos lui rendra toute sa vigueur.

Les plantes souffrent-elles ?

— Prenons maintenant une seringue d’injection et faisons pénétrer dans les tissus de la plante un peu de chloroforme : la feuille s’affaisse, le graphique enregistre le sommeil de la plante. Une injection d’alcool se traduira par des crochets irréguliers, dénotant une véritable « ivresse », tandis que, si nous injectons une goutte de venin de cobra, le graphique montrera le tragique affaissement définitif de la mort.

Allant plus loin, le savant hindou a pu disséquer les pétioles de la sensitive et mettre en évidence les « nerfs » de la plante. Ce sont des « câbles » minces, blancs, et mous, comportant une tunique extérieure qui sert de « conducteurs de retour » pour l’influx nerveux. Cet influx nerveux végétal, véritable courant excitateur du pulvinus, chemine lentement : quelques centimètres par seconde, contre 0m,50 pour l’influx nerveux des animaux les plus veules, comme l’escargot, et 100 mètres pour celui de l’homme.

Telles sont les curieuses similitudes que l’étude attentive des végétaux a permis de révéler entre les animaux et les plantes. Nous touchons là à un domaine qui dépasse celui de la science. Bien que sir Jagadir n’ait pas mis en évidence un cerveau de la plante, qui oserait dire que ces « réactions », ces mouvements si « humains » ne trahissent pas une « souffrance », une conscience véritables ? Sir Jagadir n’a-t-il pas découvert un certain tissu pulsant qui rappelle le mouvement d’un cœur ? « Nos sœurs les plantes ... », disait saint François d’Assise, devançant les découvertes de la science.

Pierre DEVAUX.

Le Chasseur Français N°603 Novembre 1941 Page 571