Je salue, ô forêt ! ta jeunesse éternelle.
Quelle sérénité consolante est en elle !
Qu’ils sont simples, au fond, ces grands hêtres altiers
Et quand le cœur est pris d’une détresse amère,
Que les voix du taillis ont de douces pitiés !
O forêt, ta grande âme est une âme de mère !
André FOULON DE VAULS,
Les vaines romances.
Après les terribles événements qui ont bouleversé notre
pays, on se demande actuellement si notre chasse préférée survivra à la
tourmente, après la dispersion des chenils et la disparition d’un grand nombre
d’équipages. Pour ma part, cependant, j’ai confiance et c’est avec beaucoup
d’espoir que je continuerai à faire revivre dans ces colonnes le plus beau des
« déduicts », cette chasse au chien courant, vraie chasse nationale,
que nos devanciers ont portée à un point de perfection inégalée, qui n’existe
que chez nous et dont nous attendons et escomptons la résurrection. Tout n’est
pas perdu, beaucoup de chasseurs et de veneurs ont conservé, je le sais, et
entretiennent encore, au prix de quels sacrifices, des chiens courants. Ce sera
chez eux que nous trouverons les éléments nécessaires pour continuer l’œuvre si
française. Pour le moment, gardons intact notre amour pour la chasse et la
vénerie. Vivons dans l’espérance et attendons le jour où nos bons chiens
français feront retentir, de nouveau, leur joyeux carillon dans
l’accompagnement des allègres fanfares.
Que tous nos amis, nos correspondants n’hésitent pas à nous
écrire, à nous donner de leurs nouvelles, nous serons heureux de les lire et
peut-être pourrons-nous servir de trait d’union entre eux pour les aider à
conserver à notre pays quelques-unes de ces races de chiens courants, dont nous
sommes fiers, et dont l’équivalent ne se trouve nulle part ailleurs.
Pour beaucoup de nous la chasse est devenue
impossible ; elle était pour certains plus qu’une distraction et faisait
partie de leur vie même ; j’étais de ceux-là. Nous allons donc être
obligés de vivre, en attendant des jours meilleurs, avec nos seuls souvenirs pour
nous soutenir.
Chasseurs, mes frères, remercions saint Hubert de nous avoir
permis de vivre ces belles heures passées ! Pour notre part, nous avons
chassé pendant vingt ans comme nous l’avions rêvé ! Ne vous étonnez donc
pas si, dans ces causeries, vous trouvez souvent des anecdotes vécues par un
chasseur ; elles y seront pour votre plaisir, j’espère, et parce que,
peut-être, elles furent écrites un jour où, justement, il aurait fait si bon
découpler sur un lièvre ou un chevreuil ! ...
La plus grande difficulté que nous ayons rencontrée à la
chasse de ce charmant animal fut celle du change. Il est vrai que nous opérions
à nos débuts dans une forêt fort vive et où le fourré et les grandes enceintes
nous empêchaient d’être aux chiens comme nous l’aurions voulu. Nos chiens
— saint Hubert en soit loué ! — étaient aussi très
chasseurs ; par la suite, nous avons pu nous rendre compte combien il
était plus facile de prendre des chevreuils en boqueteau — avec ces
chiens-là s’entend — qui enlevaient, en se jouant, les difficultés que
l’on rencontre dans les débuchers et forlongers.
Sans chien marquant le change, inutile d’espérer forcer
régulièrement des chevreuils.
Que se passe-t-il, en effet, dans une forêt où les animaux
sont nombreux ? Le plus souvent, au bout d’une heure de chasse (et parfois
moins), l’animal de meute vient passer dans un canton peuplé ; au bruit de
la menée, ses congénères partent d’effroi, souvent au nez de l’équipage ;
si les chiens n’ont pas le sentiment du change, ils abandonnent alors l’animal
du lancé pour un de ceux dont ils croisent la voie ; pour peu que cela se
répète, les chiens sont forcés le soir et les chevreuils n’en dorment que
mieux, après ces petites promenades fort bonnes pour leur santé. On arrive
ainsi à « entraîner » tous les animaux de son territoire, ils
deviennent alors presque imprenables ...
Les chiens intelligents — et d’origine de change
— arrivent vite à comprendre qu’ils ne doivent poursuivre qu’un animal
échauffé s’ils veulent le prendre, c’est-à-dire le manger, car le sentiment du
change n’est que le souvenir des curées précédentes.
Selon leur tempérament, les chiens le marquent de deux
façons, suivant qu’ils appartiennent à la catégorie des vaincus ou des convaincus.
Le vaincu est un chien très sage, naturellement.
Fatigué d’être arrêté par les hommes sur des voies qui ne sont pas celles de
l’animal du lancé, il arrive à ne plus vouloir chasser quand l’odeur initiale
se modifie. Il s’arrête de lui-même, gagne les allées, vient se placer derrière
le cheval de son maître ou du piqueux. C’est un premier pas dans la sagesse,
mais ce n’est pas l’idéal comme nous le verrons plus loin.
En effet, et nous en arrivons à parler tout de suite de
l’accompagner, divers incidents peuvent modifier l’intégrité de la voie, sans
que, pour cela, il y ait vraiment change.
Que l’animal de meute se mêle à une harde, la voie n’est
plus la même, car à la sienne s’ajoute celle des autres animaux. Si le vaincu,
trop simpliste, s’arrête, refusant de chasser, le veneur peut alors croire à un
change, rompre l’équipage sur la bonne voie et requêter en arrière ou en
avant, en perdant du temps et en perdant son chevreuil le plus souvent ;
voici le premier défaut du vaincu.
Le chevreuil sur ses fins bat souvent l’eau, nous l’avons vu.
Sa ruse classique, après une sortie de l’eau, est de faire une double et de se
relaisser, après un grand bond, à côté de la voie. Si un défaut, survenu dans
ces conditions, dure quelque peu, son odeur, au moment du relancer, s’est
sensiblement modifiée et sa voie, très refroidie, ne ressemble en rien à celle
de l’animal échauffé que les chiens chassaient si gaillardement tout à
l’heure ; le vaincu n’en voudra donc pas, ce chevreuil relancé n’est pas
le sien, il ne veut pas le chasser, et, si le maître a confiance en lui, il
arrête, une fois encore, sur la bonne chasse.
Heureusement, à côté des vaincus, trop consciencieux et sans
personnalité ni allant, brille d’un tout autre éclat la noble phalange des
convaincus : voilà les vrais chiens de change.
Ils sont sages, eux aussi, mais, suivant l’admirable
expression de ce grand philosophe canin qu’est le colonel Dommanget, ce sont
des sages-hardis. Dans un harmonieux équilibre, l’amour de la chasse
règne souverainement, tempéré simplement par cet esprit ordonné qui a fait
nommer nos chiens de grand équipage : chiens d’ordre.
Cet esprit chasseur modifie heureusement l’attitude du chien
de change dans un défaut. Au lieu de s’arrêter aux premières émanations
étrangères à la voie et de revenir aux chevaux, le convaincu, après avoir
marqué change, ne demeure pas dans l’attente du miracle, en l’occurrence
l’intervention toute-puissante de l’homme qui l’aidera, en conduisant ses
recherches, à retrouver la voie. De lui-même il requêtera son animal, faisant
des cernes, s’occupant utilement. Première supériorité, n’est-il pas
vrai ? car le nez des chiens vaut encore mieux que la science des veneurs.
Dans l’accompagné, il fera suite hardiment, chassant plus froidement, c’est
certain, parfois même ne criant pas ou criant peu, mais faisant suite jusqu’à
ce que l’animal de meute se déharde.
C’est après une sortie de l’eau ou un long défaut que j’ai
vu les véritables prouesses de bons convaincus.
L’animal vient d’être relancé, souvent par des jeunes chiens
plus actifs et plus chasseurs, qui maintenant bourrent en tête comme des fous.
Le veneur suit de près, attentif et anxieux, soudain voici que les vaincus
mollissent, puis s’arrêtent, est-ce un change ? Mais la voix du convaincu
retentit dans toute sa plénitude ; le visage du maître s’éclaire, sa
trompe sonne un bien-aller joyeux, c’est la consécration des qualités du
convaincu, à qui bientôt les vaincus viennent rendre hommage, en ralliant à
leur tour et en chassant, de nouveau, de plein fouet cette voie réchauffée à
présent et dans laquelle ils retrouvent l’odeur de leur animal.
Il me souvient que nous venions d’attaquer dans une enceinte
très vive et très fourrée, les chiens chargeaient comme des enragés et personne
encore n’avait vu la bête de chasse. Tout à coup, sur un layon voisin,
j’entends crier : « Arrête ! » J’y galope et je vois un de
nos compagnons qui m’explique : « Les chiens chassent une grande
biche ! » Très en voie de chevreuil cela m’étonnait, mais, devant
l’affirmation catégorique, je gagnais les devants et pour voir, en effet,
sauter une biche à cinquante mètres des chiens ! Mais tous les meilleurs
étaient en tête, sans rien dire je galopais à une autre enceinte où je revis
encore ma biche, et cela pendant vingt minutes qui me semblèrent bien longues,
je vous l’assure ! Enfin, j’entendais sonner la vue ; un brocard
était devant la meute, la biche suivait la même coulée derrière lui, mais les
chiens chassaient leur chevreuil sans s’en occuper.
J’étais jeune alors et tellement heureux que j’en aurais
embrassé mes chiens ; par la suite, j’ai revu cela bien souvent avec des
lièvres, des renards ou des sangliers. Une autre fois, j’ai vu le contraire,
c’est-à-dire un grand cerf qui semblait chasser la meute et la suivait à cent
mètres derrière dans une coupe près du château de P.r.d.s., je revois encore ce
curieux et fort beau spectacle.
Guy HUBLOT.
(l) Voir Chasseur Français, nos 601 et 602.
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