Il semble que les savants se remettent à étudier les mœurs
des animaux supérieurs, depuis longtemps abandonnés aux observations des
chasseurs et des naturalistes amateurs.
Que l’instinct ne soit plus considéré comme figé, qu’il soit
accordé aux divers animaux de chasse un certain degré d’intelligence, ceci
concorde absolument avec les observations de ceux qui les fréquentent tous les
jours.
La limite est malaisée à tracer entre les actes relevant de
l’une ou l’autre de ces facultés et peut-être aurait-on trop tendance
maintenant à voir des combinaisons de génie, ainsi que le voulait Toussenel,
dans le comportement, par exemple de la bête suivie par les chiens courants.
Après avoir refusé aux animaux toute étincelle
d’intelligence, on voudrait qu’un animal comme le lièvre fasse montre, en
l’occurrence, de véritable raisonnement.
C’est sans doute beaucoup trop beau. L’ouvrage que j’ai sous
les yeux laisse entendre qu’en conséquence un jeune lièvre non encore chassé
est beaucoup plus facile à prendre qu’un vieux bouquin. Cette proposition
prouve combien l’auteur a peu chassé à courre. Si vous tombez, en effet, sur un
bon levraut décidé à ne jamais s’arrêter et faisant des hourvaris continuels,
parce que tout ce qu’il rencontre lui inspire de la crainte, si vous n’avez pas
des chiens bien ajustés, mais au contraire trop perçants et vites, vous avez
toute chance de le manquer, non parce que votre bête de chasse fait preuve de
science, mais simplement qu’elle pratique, sans le vouloir, la ruse la plus
difficile à résoudre qui soit, lorsqu’on la répète sans trêve. Avec des chiens
vites et bien de l’avant, vous prendrez un vieux bouquin en maraude, parce
qu’il file droit comme un loup sans crocheter à tout propos. Vous ne le
prendrez pas avec les collaborateurs très scrupuleux de la voie et du train
moyen dont a parlé Cerfon, parce qu’en dépit de leur qualité leur animal se
forlongera tellement que, quel que soit leur nez, ils le perdront. Une tactique
monocorde pratiquée par un vieux roublard (si on peut parler ici de tactique)
le sauvera ou le perdra donc suivant les chiens qu’il aura aux trousses. Ce qui
revient à dire que, même avec les chiens qu’il faut, vous n’êtes pas du tout
certain de prendre un levraut baladeur, mais que vous avez toutes les chances
avec un mâle adulte trop sûr de ses moyens, quand vous avez les chiens
appropriés. Le caractère craintif du lièvre crée plus de difficultés au cours
d’une menée, que les stratagèmes chers à Toussenel et gratuitement imputés à
l’espèce et en particulier aux adultes déjà persécutés.
Il y a les coups du saule, du terrier de lapin et du toit de
chaume qui ont fait couler beaucoup d’encre à la gloire de l’intelligence de
notre quadrupède. J’ai vu un lièvre affolé se précipiter dans un terrier au
lancé, parce qu’entouré de chiens.
C’est un réflexe. J’ai vu le coup du caniveau sur un grand
chemin pratiqué par un lièvre fatigué. J’ai vu celui du têtard et du toit de
chaume, dans la même circonstance ; mais n’importe quel animal affolé se
précipite n’importe où, même dans une maison. Si ce geste a tiré une fois
d’affaire cet infortuné, rien de surprenant qu’il en conserve la mémoire et ait
tendance à le répéter. On a toujours concédé de la mémoire, et même une
excellente, aux animaux dont on conteste par ailleurs l’intelligence, tels nos
pauvres chevaux si maltraités et transformés en automates. Vraiment, et j’ai vu
beaucoup de lièvres devant toutes sortes de chiens, je ne crois pas qu’il
faille trop concéder aux facultés tactiques de notre lepus timidus. Ce
qui le sauve, c’est précisément son indécision, et aussi son fumet léger, de
plus en plus léger à mesure qu’il se fatigue ; et, dans certains nombres
de cas, son train. Mais il ne faut rien exagérer de celui-ci, qu’il ne peut
maintenir très longtemps.
Le comportement si illogique du lièvre chassé, ses craintes
insensées, à notre point de vue si déroutantes, pour lui conforme à sa nature,
sa voie légère enfin ont fait du problème du chien à lièvre un des plus
difficiles qui soit. Si vous voulez prendre, les lambinards sont à proscrire,
et Dieu sait si nous avons maintenu, par respect routinier, certaines races que
l’expérience devait condamner. D’autre part, les chiens raides de train et
n’aimant que les voies droites, souvent doués de nez moyen, ne feront pas
toujours l’affaire quand ils suivront soit une hase faisant une chasse
tournante, rebattant ses voies, soit un des jeunes citoyens dont il a été parlé
plus haut. Il faut combiner la décision, la finesse de nez et un certain
ajustement à la voie. Ce n’est pas si facile. Le trop des première et troisième
qualités verse assez vite en défaut et souvent même le chien très fin de nez a
tendance à ne vivre et agir qu’en fonction de cette faculté.
Preuve de la difficulté du problème, l’appel fait à diverses
combinaisons de sang, maintenant très en faveur, et auxquelles la Société de
vénerie, toujours si soucieuse des réalités, a bien voulu donner
consécration en admettant officiellement les petits anglo-français. La grande
vénerie n’a eu qu’à se féliciter des dosages bien conçus entre sang de
fox-hound et celui des lices de nos grandes races. Il était à présumer que les
races de harriers pouvaient tenir rôle analogue avec les femelles de nos
diverses races à lièvre. Sauf dans le Midi, qui exige sur ses terrains secs et
rocailleux l’usage exclusif des variétés indigènes, partout ailleurs la pointe
de sang harrier a été bienfaisante. On a ainsi désempâté quand on a voulu (pas
toujours, hélas !) certaines races. Celles qu’on a tenu à maintenir en
volume et en taille, exemple l’artésien-normand, sont tombées en décadence. On
a réduit la taille, car le chien à lièvre de 0m,60 et plus est une
erreur. On a donné plus de perçant à certains scrupuleux. Sans doute quelques
indépendants, le plus souvent à peau de bique, sont devenus plus ralliants. La
vigueur, la santé ont été améliorées, comme il est de règle, du fait de la
retrempe. Le train, déficient pour d’autres, a été rendu plus vif par
régularisation évidente de la structure parfois négligée, en particulier, les
aplombs.
Il semble que les diverses variétés ainsi obtenues, de même
que certains briquets impossibles à perpétuer, aient le physique et le moral
propres aux véritables preneurs de lièvres.
Réussir un ou plusieurs as dans la partie n’est pas ce qu’il
est de plus aisé et encore faut-il-distinguer entre le chien propre à forcer et
celui destiné à la chasse à tir. Je connais un amateur fervent du courre du
lièvre, qui, par une combinaison de divers sangs et un in-breeding sur
un sujet hors de pair, a obtenu un lot de preneurs extraordinaires. Ces chiens
sont beaucoup trop vifs pour chasser à tir. Ils étouffent un lièvre en vitesse,
qui, presque jamais, ne peut randonner. Il faudrait les suivre à cheval. Le
courant de chasse à tir, sans être en difficulté pour escalader un talus, ne doit
pas pratiquer un train fou. Pour fixer les idées, chassant précisément en un
pays célèbre par la hauteur de ses talus, j’ai observé qu’il n’y avait aucun
intérêt lorsqu’on veut tirailler à user de chiens de plus de 0m,50,
et encore est-ce un maximum. Je ne parle pas des « veaux » de haute
taille, dont l’espèce est à proscrire ; mais le Briquet vendéen, le petit
Anglo, le Basset vendéen droit sans excès de volume, le Porcelaine de taille
réduite d’autrefois avec un peu de Briquet dans sa genèse, m’ont semblé
satisfaire l’amateur de Fusillo. J’ai conservé pour le Beagle de taille normale
de 0m,38 à 0m,40 un souvenir particulièrement attendri.
Si son train est un peu coupé ici pour prendre, en vertu de la dimension des
obstacles, il est absolument ce qu’il faut pour la chasse à tir. L’aimable
caractère de ce chien le rend aussi maniable qu’un Épagneul. À supposer que
cela le handicape un peu quand il faut faire montre d’une grande entreprise,
c’est d’inconvénient réduit quand il s’agit de randonner une ou deux fois un lièvre
pour l’amener au bout du fusil. La popularité de cette race en France parle en
ça faveur, sans qu’il y ait à insister. Qu’en restera-t-il après la
tourmente ? Pour combiner des races bien au point, peut-on manifester même
crainte ?
En attendant des temps meilleurs pour les disciples de saint
Hubert, on se plaît à constater la multiplication du lièvre. Pour complaire à
ceux convaincus de son génie, je remarque que, paissant les pelouses avant le
crépuscule, il semble avoir compris l’innocuité de l’homme désarmé. Cet excès
de confiance lui coûtera probablement des plumes aux premiers temps des
hostilités cynégétiques. Se réadaptera-t-il promptement à son sort de
persécuté ? Ce serait preuve d’intelligence.
En tout cas, une chose est certaine, il est un être que la
longue trêve n’a pas apprivoisé. Je veux parler de la corneille noire, dont
l’intelligence a toujours été réputée. Ce n’est pas elle qui oublierait
l’adage : « Souviens-toi de te méfier. » Dans sa matoise
cervelle gîte certainement une clairvoyance à rendre imprenables tous les
lièvres de la terre, si quelque miracle pouvait la leur transmettre. Très
heureux pour nous qu’il n’en soit rien ; prendre le lièvre à courre, tel
qu’il est, n’est pas donné à tous les gros malins qu’on a vus si sûrs de leur
fait et si souvent déconfits.
R. DE KERMADEC.
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