C. L’amorçage.
— C’est dans le but d’attirer et de retenir les gardons
sur le coup choisi que le pêcheur y déverse, à l’avance et au moment même de la
pêche, certaines substances comestibles qui constituent pour eux un repas tout
préparé, leur évitant une laborieuse et pénible recherche.
Dans une rivière où la pêche à la graine n’est pas
pratiquée, il faut, comme pour tout autre appât, l’y habituer à l’avance, il la
prendra alors sans hésitation.
Vu le goût particulier du gardon pour la saveur spéciale du
chènevis, il est rare que cet apprentissage soit long et difficile.
Dans les cours d’eau où pêcheurs à l’épervier et chevaliers
de la gaule emploient couramment le tourteau, l’éducation est encore plus
rapide et il n’est guère nécessaire d’insister plus de deux ou trois soirs.
Quoi qu’il en -soit, il sera toujours d’un bon rendement,
pendant les quelque jours qui précéderont la journée de pêche, d’immerger sur
le coup choisi des fragments de tourteaux de chènevis du volume d’une grosse
orange.
Deux remarques sont à faire ou sujet de cet amorçage :
1° Le pain de chènevis vieux et sec perd une partie de son
poids ; il surnage entre deux eaux et s’enfonce trop lentement ; il
risque donc de dériver de plusieurs mètres avant de reposer sur le fond.
Pour obvier à cet inconvénient, on le met tremper dans l’eau
froide pendant un quart d’heure environ avant de l’immerger.
Certains pêcheurs, pour lui restituer une partie de sa
saveur, l’inondent d’huile de chènevis dont ils ont toujours dans leur musette
une petite bouteille.
Il vaudrait mieux, évidemment, se servir de tourteau sortant
de l’huilerie, mais celui-ci est devenu à peu près introuvable depuis quelques
années ;
2° Un certain nombre de confrères, surtout ceux qui ont
l’habitude de pêcher le barbeau, ont la coutume regrettable de lancer leurs
fragments de tourteau beaucoup trop en amont de leur coup, sans faire de
différence entre courants rapides ou lents.
Dans un courant lent, s’il est frais ou détrempé, le
tourteau coule presque verticalement ; les morceaux demeurent à l’endroit
du jet et la traînée d’amorce due à leur ramollissement progressif et à leur
division en parcelles part de la place même qu’ils occupent. Les gardons qui
découvrent la traînée la suivent, remontent à son origine et y restent.
L’esche du pêcheur, opérant plus bas, plus en aval, ne
rencontre guère que des retardataires.
Il est donc préférable d’immerger ces fragments à peu près
en face du centre du coup, en les espaçant le plus régulièrement possible.
L’esche passera au milieu d’eux à chacune des coulées et
rencontrera le gros de la troupe ; les touches seront alors beaucoup plus
nombreuses. Les pêcheurs à la graine avertis ne se contentent pas du seul
amorçage au tourteau, qu’ils jugent insuffisant.
Ils l’accompagnent de boulettes de terre molle remplies de
graines de chènevis bouillies.
Remarquons, à cet égard, que le gardon n’aime pas beaucoup
la terre et qu’il préfère de beaucoup un autre mélange ; aussi est-il
meilleur, pour son cas particulier, d’enrober lesdites graines, cuites ou
moulues, dans du pain détrempé, pétri et essoré, ou encore dans de la pomme de
terre cuite, écrasée et mêlée à un liant quelconque, mélasse ou miel qui ne
rebute pas notre poisson.
L’amorçage anticipé, assez copieux au début afin de créer
l’accoutumance, ira en diminuant les derniers jours, pour ne pas gaver le
poisson.
On sait, en effet, que le tourteau n’est pas de digestion
aisée, il vaudra donc mieux, dès l’avant-veille et surtout la veille,
n’employer que les boulettes farcies de graines dont nous venons de parler.
Dans les rivières où la pêche à la graine est couramment
pratiquée par de nombreux pêcheurs, il est beaucoup moins nécessaire d’amorcer
à l’avance. On peut se contenter, dans ce cas, de l’amorçage exécuté quelques
minutes avant la mise à l’eau de la ligne. Le poisson, qui connaît l’appât et
l’apprécie, n’a nul besoin d’un long apprentissage.
Mais, par contre, ces pêcheurs prennent un soin tout
particulier à maintenir le poisson sur place pendant toute la durée de la
pêche.
C’est pour obtenir ce résultat qu’on les voit lancer à la
limite amont de leur coup, à intervalles si possible réguliers, des pincées de
graines cuites ou détrempées. Il devient évident que les gardons, qui continuent
à trouver provende, sont beaucoup moins enclins à déserter l’endroit pour aller
quérir ailleurs une nourriture problématique.
Nous verrons cela de plus près quand nous aborderons
l’action de pêche.
D. La préparation de l’esche.
— La graine destinée à être fixée à l’hameçon s’emploie
cuite à l’eau ou simplement crue et détrempée, chaque mode a ses partisans.
Quand on opte pour la graine cuite, il importe tout d’abord
de la laver avec soin pour la séparer des impuretés et poussières de tout genre
qui s’y collent volontiers, vu sa nature huileuse, et qui rendraient l’eau de cuisson
noire et nauséabonde.
Pour ce faire, le mieux est de disposer la quantité voulue
de graines dans une vaste passoire, de les arroser à plusieurs reprises et avec
abondance d’eau fraîche et limpide, tout en brassant bien la masse avec la
main.
Ceci fait, on met détremper la graine pendant quelques
heures dans une eau pure, eau de pluie si possible, cette eau est également
préférable pour la cuisson.
À cet effet, on met les graines sur le feu, dans une
casserole en terre vernissée, en les recouvrant largement de liquide (quatre à
cinq fois leur volume).
Quand l’eau commence à bouillir, il est temps de surveiller
attentivement la cuisson.
Dès que les graines s’entr’ouvrent, laissant apparaître le
germe et l’amande blanche par leur petite fente, on retire le récipient du feu
et on laisse le tout refroidir lentement. Le temps de cuisson ne doit pas être
trop long, sinon les graines éclateraient complètement, se videraient de leur
contenu et deviendraient inutilisables.
Si l’on préfère la graine crue et simplement détrempée,
après l’avoir lavée, on l’immerge dans un récipient rempli aux trois quarts
d’eau bien pure. Il faut attendre au moins vingt-quatre heures et souvent
davantage avant de la voir s’entr’ouvrir et le germe apparaître.
Les graines crues sont plus faciles à escher que les graines
cuites, sans risquer de faire tomber le germe qui, du fait de la cuisson, est
devenu très fragile. Sur la graine détrempée, il tient bien mieux et beaucoup
de confrères estiment la graine munie de son germe plus attirante que celle qui
en est privée ; je suis aussi de cet avis.
Si, pour amorcer, on peut employer de la graine quelconque,
même celles de taille fort inégale entre elles, il est préférable pour escher
de disposer des plus grosses et des plus belles.
S’il est possible d’acheter celles que recherchent les
amateurs d’oiseaux, qu’on ne trouve pas partout, on choisit dans le tas dont on
dispose celles du plus gros volume, en s’aidant au besoin d’une loupe, si
l’acuité de la vue est insuffisante.
E. Comment escher l’hameçon ?
— Les pêcheurs à la graine ont plusieurs façons
d’escher ; l’une d’entre elles a généralement leur préférence et c’est
elle qu’ils emploient à peu près exclusivement.
Nous croyons utile de les indiquer brièvement aux débutants,
qui pourront ainsi faire choix et, après essais concluants, s’en tenir à celle
qu’ils auront jugée la meilleure.
a. Les graines dont le germe apparaît sont piquées un
peu en arrière de celui-ci, dans la petite dépression que nous avons signalée
en faisant leur description.
L’enveloppe est moins épaisse et moins dure à cet endroit-là
et l’hameçon la traverse plus aisément que partout ailleurs.
Puis on pousse doucement la tige, on contourne l’amande à
l’intérieur de la coque et on vient faire ressortir la pointe en dessous du
germe, où elle est assez bien dissimulée, mais paraîtrait-elle au dehors
jusqu’à l’ardillon qu’il n’y aurait aucun inconvénient.
Cette façon d’escher est délicate ; elle demande de la
dextérité et une vue excellente. Depuis quelques années, je me vois obligé,
pour opérer ainsi, de me servir de lunettes d’un grossissement assez fort, que
je quitte quand il s’agit de pêcher.
Ainsi eschée, la graine cuite à point ou détrempée le temps
strictement voulu tient fort bien à l’hameçon et permet plusieurs coulées
successives sans nécessiter son remplacement.
(À suivre.)
R. PORTI ER.
(1) Voir Chasseur Français d’octobre et novembre 1941.
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