(Randonnée de 800 kilomètres de Saint-Brieuc à
Saint-Brieuc.)
Je ne repartirai pas de Mur-de-Bretagne sans pousser, à 5 kilomètres
de là, une pointe jusqu’au Barrage de Guerledan, remarquable construction avec
son usine hydroélectrique qui doit être très intéressante à visiter ; je
n’ai pas ce plaisir, car j’essuie un refus d’autorisation, mais, très
aimablement, il m’est conseillé, pour avoir une belle vue d’ensemble, de me
rendre de l’autre côté du canal et de monter la côte, assez rude, qui aboutit à
une sorte d’esplanade ; je suis immédiatement le conseil qui m’est donné
et je peux dire que, de là-haut, le panorama est vraiment splendide.
Dominant ce gigantesque barrage d’où s’échappent
d’énormes conduites, le Blavet, en aval avec ses retenues d’eau secondaires,
offre un magnifique panorama. Sur la gauche, en amont du barrage, le lac de
Guerledan, vu du côté opposé à celui d’où je l’ai admiré la veille, est
splendide, sa beauté est éclatante. Dans le calme de l’endroit, on resterait
volontiers des heures pour admirer ce site d’une exquise douceur. Je ne
dispose, hélas ! que de quelques minutes et bientôt il me faut
redescendre. Par Saint-Aignan, je remonterai à Mur. Pour me rendre à Guingamp,
je n’emprunterai pas la route directe, dont on aperçoit, à la sortie du pays,
une longue côte au pourcentage très élevé puisqu’il atteint 14 p. 100. Il
m’est recommandé, et, à mon tour, je le conseille vivement, de prendre la route
de Saint-Gilles-du-Vieux-Marché et de traverser les Gorges de Poulancre, parcours
sinueux et d’un pittoresque qui pourrait se comparer avec ses rochers découpés
et le bouillonnement de son ruisseau, aux célèbres Gorges du Tarn, le site
étant, certes, moins grandiose.
Peu avant Corlay, je rejoins la grande route et, pour
arriver à Guingamp, trente-quatre kilomètres restent à faire.
Le temps est épouvantable, le vent, que j’ai dans le nez,
souffle avec violence et le ciel me prodigue, de temps en temps, des ondées
rafraîchissantes.
Guingamp, c’est jour de Grand Pardon, la ville est en
fête ; sur la place en arrivant, grande fête foraine, dans la rue
principale, décorée de guirlandes, de fleurs et d’oriflammes ; une foule
très dense s’y presse, d’où émergent d’innombrables coiffes bretonnes ;
sur les trottoirs, sont installées de nombreuses marchandes qui vendent des
cierges pour la procession nocturne ; les cloches sonnent presque sans
arrêt ; dans la basilique, décorée avec goût de fleurs à profusion,
agrémentée de guirlandes qui vont de piliers en piliers, le tout d’un ensemble
fort plaisant, c’est un défilé continuel de croyants qui viennent se
recueillir.
Sur la place du Centre, de forme triangulaire, est élevé à
chaque angle un bûcher sur lequel flotte un oriflamme portant cette
inscription : Vive Jésus ou Ave Maria, Une musique se fait
entendre, c’est un orchestre dont le « chef » est un prêtre.
Avec la tombée de la nuit, la cérémonie religieuse va
prendre un aspect plus solennel encore. À 9 heures, de la basilique
brillamment illuminée, part cette interminable procession de milliers de
pèlerins, chacun tenant un petit cierge allumé et chantant des cantiques.
Spectacle digne de Lourdes. Toute cette foule, c’est la Bretagne restée
pieusement attachée aux traditions ancestrales. Sur les épaules sont portées
des reliques de saints et une grande statue de la Vierge. Les deux évêques qui
président bénissent la foule tout au long du parcours. Au moment du passage de
la procession sur la place du Centre, c’est-à-dire à 11 h. 30, soit
plus de deux heures après sa sortie de la basilique, les évêques viennent
allumer les bûchers. C’est un feu violent qui va brûler pendant une demi-heure,
éclairant toute la place de ses lueurs rougeâtres que projettent ces hautes
flammes. Je vois quelques personnes s’approcher avec hésitation de ces foyers ardents
et en retirer des branches qui se consument et qu’ils conserveront
précieusement pour avoir, paraît-il, du bonheur dans l’année.
La procession vient de rentrer dans la basilique trop petite
pour tout le monde ; à minuit, il y aura grand’messe et l’église sera
ouverte toute la nuit. Le lendemain, les offices continueront, je n’y
assisterai pas, car de bonne heure je prendrai le départ pour l’ultime étape.
Par Châtelaudren, seul bourg important du trajet, je roule
maintenant vers mon point de départ, que j’ai quitté il y a exactement deux
semaines. Voici les premières maisons de Saint-Brieuc, encore quelques coups de
pédale et je regretterai que déjà soit terminée cette belle et combien agréable
randonnée à travers cette terre, dont la diversité des paysages laisse dans
l’esprit de ceux qui la parcourent un attrait puissant et un souvenir
inoubliable.
Marcel VERGNE.
(1) Voir Chasseur Français, nos 600 et suivants.
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