Nous avons souvent insisté, dans ces colonnes, sur la valeur
des méthodes rythmiques et de l’association de la musique au mouvement, en
matière d’Éducation physique féminine. Aussi voyons-nous avec plaisir le
nouveau Commissariat général, sous l’heureuse impulsion de Mlle Eyquen
et à la suite d’un excellent rapport de Mlle André, placer les
méthodes rythmiques au premier rang du programme général de l’Éducation
générale de la femme et de l’enfant.
Aux profanes qui ne comprennent pas à première vue l’importance
fondamentale du rythme, rappelons quelques vérités fondamentales :
Il peut paraître exagéré de vouloir toujours imposer un
rythme et une discipline à un exercice qui doit être en principe à la fois une
détente et une libération des contingences imposées par la vie de tous les
jours. Mais cette conception n’est pas exclusive au geste !
Dans l’expression orale ou écrite de la pensée, des rythmes,
des intonations, des points et des virgules se sont aussi démontrés
nécessaires, qui n’empêchent pas, et qui, au contraire, facilitent l’expression
lyrique ou poétique.
Je n’ai jamais pu concevoir la barrière qu’on prétend
établir entre la poésie et la prose, ni celle qu’on voulait jusqu’ici ériger
entre l’Éducation physique et le Sport, au point que l’on a pu reprocher aux
législateurs de l’Éducation physique obligatoire de se faire en même temps les
fossoyeurs du Sport de 1930 à 1940. Où finit la prose, où commence la
poésie ? N’y-a-t-il point de monotonie dans certains poèmes, et de poésie
dans certaine prose ? Où finit l’Éducation physique, où commence le
Sport ? Où finit la gymnastique, où commence la danse ? Ces limites
sont très difficiles à établir, et leur discussion, plus nuisible qu’utile, n’a
souvent pour intérêt que des querelles d’auteurs. L’art est au-dessus de ces
discussions. Il ne se définit pas, il s’impose de lui-même, à partir du moment
où il provoque l’émotion. Il y a autant de poésie dans une belle démonstration
scientifique que dans certains vers, autant d’émotion artistique dans l’effort
d’une envolée de coureurs à pied que dans une danse bien au point. Dans tous
les cas, c’est le « style » qui constitue la production artistique.
« Il semble puéril, a priori, que la poésie
consiste à couper les sentiments dans leur fougue naturelle en deux hémistiches
purement conventionnels, comme si les vibrations de l’âme étaient
parallèles », écrivait Lamartine. Comme si elles étaient toutes de même
longueur d’ondes, pourrions-nous dire aujourd’hui. Comme si la passion et
l’enthousiasme de la foi, de l’amour, ou de la joie musculaire de vivre,
devaient être coupés par des points et des virgules, et l’inspiration d’un
Schubert par les lois rigides du solfège et de l’orchestration ! Comme si
cet élan ne pouvait s’élever d’un trait de la terre au ciel, comme s’il était
nécessaire de l’asservir à des rimes ou à des mesures.
Lamartine lui-même, le « poète-né » n’est-il pas
aussi lyrique lorsqu’il manifeste en prose son amour pour Graziella ou pour
Julie, que dans les meilleurs de ses vers ? La belle littérature n’est que
la poésie même, celle de l’âme, tout aussi émouvante et coloriée que celle des
plus purs alexandrins. Et Géraldi a peut-être raison lorsqu’il cherche, dans
ses vers, à se rapprocher le plus possible de la prose et de la simplicité, au
lieu de constituer une marque de fabrique.
Et, pourtant ! qu’il s’agisse de littérature ou de
musique, de sport ou de danse, une discipline rythmique s’impose comme
nécessaire. Car, sans rythme, il n’y a pas d’harmonie, ce qui nous porte à
croire que la forme idéale et universelle de l’art est son expression musicale,
parce que, quelle que soit la culture ou la technique de celui qui la subit,
elle parle directement au cœur, à la fois divinement et familièrement.
La musique et son expression vivante, la danse, ont précédé
la langue et l’imprimerie.
C’est pourquoi, en Sport, à qualités égales d’ailleurs, le
champion saura rythmer sa foulée sur sa respiration et sa cadence sur ses
possibilités motrices ou sur sa puissance. C’est pourquoi, de deux danseuses
également belles et possédant la même technique, la plus « vraie » et
la plus émouvante sera celle qui « vivra le plus prés de la
musique ». C’est pourquoi, lorsqu’on veut exprimer directement son
émotion, c’est encore dans le canevas rythmé des beaux vers que l’homme peut le
mieux condenser, malgré tout, l’harmonie, la vibration, la grâce ou l’énergie
de la parole ou de la pensée humaine.
Si bien que l’expression rythmée du geste me semble, en
résumé, le facteur essentiel de cet idéal que, chacun dans leur domaine, recherchent
le poète de la langue ou de la pensée comme celui du geste : le style. Et
c’est ainsi que, grâce aux méthodes rythmiques, toute jeune fille peut acquérir
le charme, qui remplace ou complète délicieusement la beauté, celle-ci n’étant l’apanage
que de quelques-unes.
Nous espérons avoir démontré, par ce rapide exposé, qu’il ne
faut pas mettre en conflit les méthodes, ni asservir l’enfant ou l’adolescent à
une seule méthode. Il faut, au contraire, selon les aptitudes et les tendances
de chaque sujet, puiser dans chaque système ce qu’il a de bon et ce qui cadrera
le mieux avec la personnalité de chaque élève. C’est pourquoi le professeur ne
pourra plus se contenter, comme par le passé, d’être un bon moniteur, mais un
véritable pédagogue qui devra, de ce fait, trouver au sein de l’Université la
même place et la même estime que ses collègues du cerveau. Il collaborera ainsi
avec eux dans la recherche d’une culture générale dans le sens où l’entendait
Plutarque lorsqu’il disait : « un enfant, ce n’est pas un vase à remplir,
c’est une plante à cultiver ».
Dr Robert JEUDON.
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