Accueil  > Années 1940 et 1941  > N°604 Décembre 1941  > Page 598 Tous droits réservés

Méthodes rythmiques

Nous avons souvent insisté, dans ces colonnes, sur la valeur des méthodes rythmiques et de l’association de la musique au mouvement, en matière d’Éducation physique féminine. Aussi voyons-nous avec plaisir le nouveau Commissariat général, sous l’heureuse impulsion de Mlle Eyquen et à la suite d’un excellent rapport de Mlle André, placer les méthodes rythmiques au premier rang du programme général de l’Éducation générale de la femme et de l’enfant.

Aux profanes qui ne comprennent pas à première vue l’importance fondamentale du rythme, rappelons quelques vérités fondamentales :

Il peut paraître exagéré de vouloir toujours imposer un rythme et une discipline à un exercice qui doit être en principe à la fois une détente et une libération des contingences imposées par la vie de tous les jours. Mais cette conception n’est pas exclusive au geste !

Dans l’expression orale ou écrite de la pensée, des rythmes, des intonations, des points et des virgules se sont aussi démontrés nécessaires, qui n’empêchent pas, et qui, au contraire, facilitent l’expression lyrique ou poétique.

Je n’ai jamais pu concevoir la barrière qu’on prétend établir entre la poésie et la prose, ni celle qu’on voulait jusqu’ici ériger entre l’Éducation physique et le Sport, au point que l’on a pu reprocher aux législateurs de l’Éducation physique obligatoire de se faire en même temps les fossoyeurs du Sport de 1930 à 1940. Où finit la prose, où commence la poésie ? N’y-a-t-il point de monotonie dans certains poèmes, et de poésie dans certaine prose ? Où finit l’Éducation physique, où commence le Sport ? Où finit la gymnastique, où commence la danse ? Ces limites sont très difficiles à établir, et leur discussion, plus nuisible qu’utile, n’a souvent pour intérêt que des querelles d’auteurs. L’art est au-dessus de ces discussions. Il ne se définit pas, il s’impose de lui-même, à partir du moment où il provoque l’émotion. Il y a autant de poésie dans une belle démonstration scientifique que dans certains vers, autant d’émotion artistique dans l’effort d’une envolée de coureurs à pied que dans une danse bien au point. Dans tous les cas, c’est le « style » qui constitue la production artistique.

« Il semble puéril, a priori, que la poésie consiste à couper les sentiments dans leur fougue naturelle en deux hémistiches purement conventionnels, comme si les vibrations de l’âme étaient parallèles », écrivait Lamartine. Comme si elles étaient toutes de même longueur d’ondes, pourrions-nous dire aujourd’hui. Comme si la passion et l’enthousiasme de la foi, de l’amour, ou de la joie musculaire de vivre, devaient être coupés par des points et des virgules, et l’inspiration d’un Schubert par les lois rigides du solfège et de l’orchestration ! Comme si cet élan ne pouvait s’élever d’un trait de la terre au ciel, comme s’il était nécessaire de l’asservir à des rimes ou à des mesures.

Lamartine lui-même, le « poète-né » n’est-il pas aussi lyrique lorsqu’il manifeste en prose son amour pour Graziella ou pour Julie, que dans les meilleurs de ses vers ? La belle littérature n’est que la poésie même, celle de l’âme, tout aussi émouvante et coloriée que celle des plus purs alexandrins. Et Géraldi a peut-être raison lorsqu’il cherche, dans ses vers, à se rapprocher le plus possible de la prose et de la simplicité, au lieu de constituer une marque de fabrique.

Et, pourtant ! qu’il s’agisse de littérature ou de musique, de sport ou de danse, une discipline rythmique s’impose comme nécessaire. Car, sans rythme, il n’y a pas d’harmonie, ce qui nous porte à croire que la forme idéale et universelle de l’art est son expression musicale, parce que, quelle que soit la culture ou la technique de celui qui la subit, elle parle directement au cœur, à la fois divinement et familièrement.

La musique et son expression vivante, la danse, ont précédé la langue et l’imprimerie.

C’est pourquoi, en Sport, à qualités égales d’ailleurs, le champion saura rythmer sa foulée sur sa respiration et sa cadence sur ses possibilités motrices ou sur sa puissance. C’est pourquoi, de deux danseuses également belles et possédant la même technique, la plus « vraie » et la plus émouvante sera celle qui « vivra le plus prés de la musique ». C’est pourquoi, lorsqu’on veut exprimer directement son émotion, c’est encore dans le canevas rythmé des beaux vers que l’homme peut le mieux condenser, malgré tout, l’harmonie, la vibration, la grâce ou l’énergie de la parole ou de la pensée humaine.

Si bien que l’expression rythmée du geste me semble, en résumé, le facteur essentiel de cet idéal que, chacun dans leur domaine, recherchent le poète de la langue ou de la pensée comme celui du geste : le style. Et c’est ainsi que, grâce aux méthodes rythmiques, toute jeune fille peut acquérir le charme, qui remplace ou complète délicieusement la beauté, celle-ci n’étant l’apanage que de quelques-unes.

Nous espérons avoir démontré, par ce rapide exposé, qu’il ne faut pas mettre en conflit les méthodes, ni asservir l’enfant ou l’adolescent à une seule méthode. Il faut, au contraire, selon les aptitudes et les tendances de chaque sujet, puiser dans chaque système ce qu’il a de bon et ce qui cadrera le mieux avec la personnalité de chaque élève. C’est pourquoi le professeur ne pourra plus se contenter, comme par le passé, d’être un bon moniteur, mais un véritable pédagogue qui devra, de ce fait, trouver au sein de l’Université la même place et la même estime que ses collègues du cerveau. Il collaborera ainsi avec eux dans la recherche d’une culture générale dans le sens où l’entendait Plutarque lorsqu’il disait : « un enfant, ce n’est pas un vase à remplir, c’est une plante à cultiver ».

Dr Robert JEUDON.

Le Chasseur Français N°604 Décembre 1941 Page 598