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La chèvre et les cabrions

Une laitière démocratique.

— La chèvre, dit-on, est la « vache du pauvre », mais ce n’est pas la moins intéressante puisque, proportionnellement à son poids, elle fournit deux fois plus de lait que la meilleure vache, soit douze fois son poids, au lieu de six fois. Ajoutons que la chèvre est extrêmement rustique, rarement atteinte par les maladies, notamment la tuberculose, et que son lait est de toute première qualité, non seulement pour la consommation en nature et les apprêts culinaires, mais aussi pour la fabrication des fromages estimés, affinés ou non, portant des appellations différentes (mont-d’or, chabichous, biquets, levrons, charignols, formes, cabrions, etc. ...).

On comprend, dès lors, que cet animal soit bien à sa place chez tous les habitants des campagnes, ouvriers, artisans, retraités, propriétaires, châtelains, etc. ..., désireux de produire pour leur consommation un lait et du fromage délectables, ainsi que des cabris pour la table ou la vente.

Races et logement.

— Il y a d’excellentes chèvres laitières même dans la race commune, qu’elles soient cornues ou non. Toutefois, on a beaucoup plus de chance de trouver des sujets remarquables, sous le rapport du rendement et de la lactation soutenue, en s’adressant à la forte race des Alpes, dont le poids atteint 75 kilogrammes et qui fournit une moyenne de 800 à 900 litres de lait. Les variétés suisses (Saanen, Valaises), un peu plus légères, donnent annuellement entre 700 et 800 litres. Les nubio-alpines sont également réputées, puisque le rendement journalier des bêtes fraîches vêlées atteint couramment 5 à 6 litres.

Il va sans dire que, pour obtenir un lait irréprochable comme goût, exempt d’odeur hircine (goût de bouc) qui le déprécierait, les chèvres doivent être logées dans des locaux confortables, sains, bien aérés, sans être incommodées par le froid, la surchauffe, l’air vicié, l’humidité, etc. ... En outre, le sol de la chèvrerie doit être cimenté, pourvu d’une pente et de canalisations pour l’évacuation automatique des urines aussitôt leur émission. Enfin, les fumiers sont enlevés ponctuellement tous les jours, la litière refaite, et on se rappelle que les pansages sont de rigueur pour les laitières.

Ne pas oublier, non plus, de meubler la chèvrerie d’un râtelier-mangeoire appendu au mur. Au lieu de tenir les chèvres à l’attache, ainsi que cela se pratique dans certains pays de montagne, il semble préférable de les laisser en liberté, quand on peut le faire, comme les moutons.

Alimentation des chèvres.

— Malgré tout, il faut bien se dire que la chèvre ne peut fournir son maximum de rendement, au double point de vue qualitatif et quantitatif, que si elle est copieusement et rationnellement nourrie, avec des aliments aussi variés que possible, car elle aime beaucoup la variété dans les menus. Cela n’empêche pas que l’on peut lui faire consommer tous les résidus du verger et du potager, notamment les fanes de pois, de haricots, les feuilles et les légumes incomestibles, les fruits avariés, les élagages de haies, les pincements d’arbres, les ramilles, ainsi que les racines et les tubercules (betteraves, carottes, rutabagas, navets, pommes de terre, topinambours), les foins et les regains, les pailles et les grains de céréales (avoine, orge, maïs, fèveroles, etc. ...), les résidus industriels, depuis les drêches et les marcs jusqu’aux résidus des meuneries et des huileries.

Autant que possible, pendant la belle saison, les chèvres iront au pré et l’on se contentera de leur distribuer un petit complément, plus ou moins suivant la richesse du pacage et la saison. Celles tenues en stabulation devront recevoir des fourrages verts pendant la période de l’herbe. Autant que possible, durant l’hiver, on leur donnera des feuilles de choux, ou d’autres verdures, afin de favoriser la nutrition et la lactation par des apports vitaminés. Ci-après, un modèle de ration pour chèvre en lactation, tenue en stabulation pendant l’été :

Matin : Trèfle, luzerne ou vesce en vert 2 kilogrammes.
  Foin ou regain 0kg,500
Midi : Buvée ou soupe 1 kilogramme.
Soir : Fourrage vert 2kg,500
  Foin ou regain 0kg,500

La buvée de midi, diluée dans 4 ou 5 litres d’eau, pourra contenir : tourteau d’arachide ou de soya, 400 grammes ;

farine d’orge ou de maïs, 385 grammes ; son et remoulags, 200 grammes ; sel, 15 grammes. Total ; 1 kilogramme.

Pendant l’hiver, le rationnement peut être modifié comme suit :

Matin : Foin ou regain 1 kilogramme.
  Buvée avec 4 litres d’eau 2 kilogrammes.
Midi : Chou cavalier 1 kilogramme.
  Buvée avec 3 litres d’eau 2 kilogrammes.
Soir : Foin ou regain 1 kilogramme.
  Buvée avec 4 litres d’eau 2 kilogrammes.

Les buvées d’hiver, confectionnées à l’eau bouillante, doivent contenir : betteraves ou carottes en cossettes, 1.300 grammes ; tourteau d’arachides ou de soya, 300 grammes ; farine d’orge, 250 grammes ; son, 240 grammes ; sel, 10 grammes. Total : 2 kilogrammes.

Les rations ci-dessus n’ont rien d’absolu, ni comme composition, ni comme quantité. Ça dépend des ressources dont on dispose, de l’appétit des bêtes et surtout de leur lactation.

Parturition.

— La durée de la gestation chez la chèvre est de cinq mois environ. Aux approches de la mise-bas, le ventre tombe, la croupe se creuse, la vulve se tuméfie et le pis durci laisse souvent échapper quelques gouttelettes de lait ; mais on se gardera bien de la traire, ainsi que d’aucuns le recommandent.

Les douleurs se manifestent de la façon suivante : la chèvre bêle, se couche, se lève, devient inquiète, fait des efforts expulsifs. Intervenez doucement, pour activer la sortie du fœtus, mais seulement lorsque vous verrez apparaître les deux pattes de devant, avec la tête, ou les deux pattes de derrière. Ne tirez jamais sur le cabri, s’il n’est pas bien placé et, surtout, s’il vient une patte de devant avec une patte de derrière.

Dans ce cas, efforcez-vous de refouler le fœtus, pour essayer de le remettre en position normale. Si vous n’y parvenez pas, couchez la chèvre et faites-lui faire un tour sur elle-même, en la prenant par les pattes.

Saupoudrez les petits de sel, après leur naissance, afin que la mère les lèche, puis séchez-les au moyen d’une étoffe de laine. Laissez téter ensuite, puis distribuez à la bête sa soupe habituelle, assez chaude. Il n’y a pas de meilleur stimulant. Par mesure de prudence, donnez à la chèvre une injection d’eau bouillie, 2 litres, contenant 15 grammes de bicarbonate de soude, avec une cuillerée de glycérine, afin de hâter la délivrance.

Fabrication des cabrions.

— Aussitôt trait, le lait est porté à la fromagerie, où on le coule dans des bassines émaillées ou étamées, sans attendre qu’il s’acidifie, car il l’est naturellement davantage que le lait de vache. À l’aide d’un thermomètre, on vérifie la température et, lorsque celle-ci est tombée aux alentours de 30° C., on y verse la présure, en quantité telle que la prise soit complète au bout de deux heures environ.

Avec la présure au titre de 1/2.500, il faut 5 grammes ou 5 centimètres cubes, mesurés dans une éprouvette graduée, pour cailler 20 litres de lait dans le temps prescrit. Cette présure doit être étendue de 5 à 6 volumes d’eau et brassée intimement dans le lait à l’aide d’une spatule.

Pour le dressage des spécimens, on distribue les formes ou moules sur l’étagère, à proximité de la bassine. Ceux-ci ont généralement pour dimensions 12 centimètres de diamètre et 9 centimètres de hauteur. Leur contenance est d’un litre et ils fournissent des spécimens pesant entre 140 et 150 grammes après affinage. Ils reposent sur des cercles en châtaignier tendus de paille de seigle, ce qui facilite leur égouttage.

Le caillé est réparti dans les moules à l’aide d’une louche plate et tranchante, percée de trous. Pour obtenir des fromages de même poids, on passe alternativement et successivement d’une forme à l’autre, sans briser le caillé, jusqu’à leur complet remplissage.

Dans un local à la température normale de 18 à 20°, si l’on effectue le retournement par culbutage aussitôt que la chose est possible, les spécimens sont suffisamment égouttés au bout d’une trentaine d’heures, pour que l’on puisse les transporter sur des claies, dans un haloir bien ventilé, où ils achèvent de durcir, en perdant une partie de leur humidité, surtout si on a soin de les retourner tous les jours.

Pour affiner les mont-d’or, on les descend à la cave sur des étagères en sapin, où on les place sans qu’ils se touchent, puis on les lave tous les deux jours, avec de l’eau salée à saturation, en ayant soin de les retourner à chaque fois.

Il faut compter environ trois semaines pour obtenir une maturation complète de la pâte, caractérisée par un attendrissement, qui répond élastiquement à la pression du doigt. À ce moment, la caséine, naturellement friable et indigeste, est transformée en caséine diastasée, soluble et très digeste.

Il existe d’autres modes de fabrication pour la transformation en fromage du lait de chèvre, seul ou associé à du lait de brebis, ou à du lait de vache, mais celle que nous venons de passer en revue est l’une des plus pratiquées.

C. ARNOULD.

Le Chasseur Français N°604 Décembre 1941 Page 611