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La mode de Paris

Nos grands fabricants de tissus ont réussi ce problème de nous donner, malgré les énormes restrictions qui leur sont imposées, des étoffes aussi belles, aussi souples et chaudes que les hivers précédents ; de sorte que le couturier dispose de matières un peu moins variées sans doute et restreintes, mais toujours aussi maniables.

Nous avons pour les manteaux, apparemment du moins, les mêmes beaux velours de laine unis ou discrètement fantaisie, pour nos robes les mêmes serges, les crêpes plus ou moins granités, épais ou légers ; pour nos blouses de ravissantes mousselines de laine aux écossais nombreux, grands et petits, aux pied-de-poule, aux carreaux, aux rayures divers, aux brillants coloris. Ces lainages sont mélangés dans une certaine proportion de rayonne, d’albène ou de fibranne, dont les fils sont travaillés, peignés, cardés, que sais-je encore, pour donner à la matière un moelleux qui les rend merveilleusement assimilables aux proportions de laine permises.

Marcelle TIZEAU : tailleur d’hiver en velours de laine noire, col et revers en astrakan ; les coutures de poitrine sont soulignées d’un motif matelassé dans le tissu.

Jean PATOU : casaque de satin bleu pâle, sur le côté deux oiseaux sont brodés en matelassés ton sur ton, la casaque se porte sur la jupe noire d’un tailleur.

Les chapeaux en velours de couleurs sont le grand succès de la saison. Celui-ci, créé par Germaine BOUCHE, est en velours géranium drapé sur une forme légèrement amazone, un beau nœud de velours orne la nuque ; voilette noire.

Il est juste ici de saluer les grands lainiers en bloc pour leur admirable et difficile effort, et en particulier MM. Rodier, qui ont donné à l’artisanat français une place prépondérante depuis tant d’années et qui la lui conservent à l’heure qu’il est, malgré toutes les difficultés. Sur des étoffes légères en matière première, nous trouvons un copieux et beau travail de main-d’œuvre ; des mousselines de laine sont imprimées puis rebrodées de légères arabesques d’or. Les lamés retrouvent une vogue qu’ils avaient un peu perdue, n’étant pas contingentés ; les jerseys clairs, rehaussés d’une trame d’or, sont nombreux ; ils font de remarquables blouses habillées, des casaques, des tuniques, pratiques parce qu’elles se dissimulent parfaitement sous le manteau strictement fermé.

Pour l’après-midi, le dîner en ville, les sorties habillées, les casaques, dont la basque plate s’arrête au-dessous des hanches, semblent vouées à un grand succès ; elles sont fort seyantes en satin blanc ou très clair, garnies de poches ou de motifs brodés ton sur ton, matelassées ou finement soutachées ; tout ce travail de main-d’œuvre est à l’honneur, et c’est très heureux, car une femme qui s’habille bien, qui s’habille « mode », en y trouvant son plaisir personnel, procure ainsi du travail à maintes petites fées de la couture que guettait le chômage.

Ces casaques mi-longues, claires sur jupes noires, peuvent avoir l’inconvénient de couper la silhouette ; il faut faire très attention en les établissant à leur proportion. Les femmes qui ne les supportent pas peuvent adopter la tunique longue laissant dépasser le fond de quelques centimètres seulement ; il en est d’entièrement boutonnées dans le dos, du col au bas de jupe, qui sont vraiment élégantes.

Le dernier hiver très rigoureux que nous avons subi a fait prendre aux femmes et à leurs couturiers des mesures de prudence.

Nombreuses sont les robes d’après-midi qui recouvrent une culotte de satin noir, enserrant la jambe jusqu’au genou ; pour la petite robe sport ou trotteur, la culotte de jersey parfois prolongée par des guêtres est assortie au jersey du chemisier.

Parmi les manteaux d’hiver, les pelisses ne se comptent plus ; elles sont le plus souvent en lainage clair, gris ou beige, et doublées de lapin noir ou teint du ton de la robe sombre qu’on porte dessous. J’ai vu chez Nina Ricci un bel ensemble ainsi conçu : un deux-pièces de lainage, corsage rouille et jupe gris-souris, porté sous un grand manteau droit, en gros lainage rouille, doublé de lapin gris exactement du ton de la jupe. C’était élégant, raffiné et sobre à la fois.

Les manteaux courts, légèrement en forme, ainsi que les vestes dites « canadiennes », doublées de fourrures, sont très agréables à porter sur un bon tailleur, moins lourdes aussi que la longue pelisse, pour les femmes qui marchent beaucoup. Cela semble la tenue d’hiver idéale.

Pendant que nous parlons manteaux, je tiens à vous signaler, mes chères lectrices, que les cols importants, encadrant bien les oreilles, font une réapparition, bien que certains couturiers s’en tiennent encore au petit col de tissu, serré et net, genre « officier », ou à la cravate nouée, réservant la fourrure pour les ... poches, ce qui est joli, mais peut-être pas très chaud !!! Celles-ci, de toute façon, gardent une grande importance, elles sont vastes, servant parfois de manchon, et, quand elles ne sont pas ornées de fourrures, sont drapées, matelassées ou soutachées.

Le tailleur d’hiver, que nous étions déshabituées de voir, retrouve son succès d’antan. En tissu épais, il est fermé haut, généralement sous un col strict de fourrure plate, loutre, astrakan ; sa basque s’allonge sensiblement, parfois jusqu’au-dessous des genoux. Il est généralement conçu avec jupe et blouse, mais souvent aussi combiné avec la petite robe ; il n’est pas rare de trouver la jaquette d’un ton différent de la jupe ou d’un coloris plus clair dans la même tonalité, car la couleur est appréciée cette saison.

Les femmes qui tiennent absolument à se vêtir de noir ne manqueront pas de choisir un chapeau de nuance vive ; le rouge tient une place prépondérante dans la mode actuelle ; non pas le rouge cru et banal, mais le rouge ancien, un peu jauni, dit « étrusque » ou « tyrien », et tous les beaux rouges chauds et précieux des rubis et des grenats.

G.-P. DE ROUVILLE.

Le Chasseur Français N°604 Décembre 1941 Page 621