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Potagers aquatiques

Dans votre appartement …

Produire des légumes sans terre, sur un balcon ou l’appui d’une fenêtre, moissonner dans trois caisses de quoi nourrir toute une portée de lapins, loger dans une armoire d’acier une prairie capable d’alimenter « en vert » vingt bœufs ..., ces étonnantes performances peuvent paraître autant de galéjades ! La science leur a cependant donné un commencement de réalité ; et, si ces précieuses « cultures dans l’eau » ne suppriment pas l’irremplaçable jardin familial, elles apportent à notre maigre ravitaillement actuel un appoint qui mérite d’être connu.

Pourquoi on cultive dans l’eau.

— Si les végétaux poussent lentement dans la terre, c’est qu’ils ont à livrer une bataille continuelle aux forces attractives du sol pour leur arracher les « sels minéraux » : azote, phosphore, potasse, calcaire ; outre ces « aliments » principaux, la plante doit trouver à portée de ses racines des quantités « catalytiques » de fer, de manganèse, de bore, de magnésie, d’iode, qui agissent efficacement à la dose du millionième et dont le rôle est essentiel pour la croissance ... Travail épuisant, qui diminue la vitalité de la plante et auquel elle finit parfois par succomber ! Mais imaginons que nous placions la plante sur un support inerte : grillage, soie de verre, lit de tourbe ou de mousse stérilisées à l’eau bouillante, et que nous fassions tremper ses racines dans une solution judicieusement élaborée contenant ces différents sels : la croissance sera foudroyante et nous aurons des récoltes de cocagne !

L’armoire miraculeuse.

— Supposons d’abord que nous fassions nos cultures dans l’obscurité. La plante n’absorbera que de l’eau et des quantités insignifiantes de sels : elle ne nous fournira donc pas un poids de nourriture supérieur à celui du grain de semence, mais la qualité biologique sera fort différente : il se formera dans les tissus vivants des vitamines, notamment de la vitamine C, et il y aura un commencement de digestion des protéines ; ce « super-maltage » se traduira par des propriétés hygiéniques et diététiques exceptionnelles.

Voici une « armoire » de culture, établie d’après les données de Spangenberd. C’est un meuble d’acier, haut de 2m,20 renfermant dix grands tiroirs. Chaque tiroir reçoit 30 kilogrammes de graines, du maïs par exemple, que l’on irrigue trois fois par jour avec la solution chimique, grâce à un jeu de tuyaux. En dix jours, on obtient des plantes longues de 40 centimètres, à raison de 150 kilogrammes de fourrage frais par tiroir. En garnissant les tiroirs par roulement, on dispose d’une récolte continue.

Ce fourrage en armoire est identique au meilleur herbage de printemps ; les animaux le mangent bien, deviennent réfractaires aux maladies ; la viande s’améliore, le lait est abondant et gras. Une petite armoire de 80 centimètres suffit pour alimenter en vert quatre cents poules, à raison de 60 grammes de vert par tête et par jour, avec des frais totaux de ... 1 franc par jour ! En combinant la culture en armoire avec des méthodes d’« électro-germination », on peut préparer des produits pharmaceutiques et de régime de grande valeur : salades de plants électro-germes, jus de germes, extraits de germes et de levures analogues aux extraits de bouillon du commerce, « super-levures » pour la boulangerie, lait végétal pour les enfants, café-maïs, etc. ...

Une installation familiale.

— Mais notre culture dans l’eau va devenir tout à fait remarquable si nous procédons en pleine lumière, avec des plantes normales de potager. Ici, en effet, l’assimilation chlorophyllienne va jouer ; autrement dit, la plante, satisfaite du côté des sels minéraux par notre solution chimique, va fixer en abondance le gaz carbonique de l’air pour fabriquer des produits de réserve, des amidons, des sucres. Merveilleux laboratoire naturel : la plante se nourrit « de l’air du temps » et nous fait profiter de ses conquêtes.

Comment allons-nous installer notre « jardin dans l’eau » ? Les moindres récipients suffiront, pourvu qu’ils soient bien étanches et capables de résister à la légère acidité des solutions. On peut employer des caissettes en fibro-ciment revêtues intérieurement de paraffine fondue, des récipients métalliques badigeonnés intérieurement de colophane fondue additionnée de 5 p. 100 de vaseline et de 5 p. 100 de cire jaune. Mieux vaut prendre les récipients un peu trop grands que trop petits.

Pour supporter nos jeunes plantes, nous emploierons un grillage à larges mailles, sur lequel nous répandrons de la tourbe ou de la mousse ébouillantées, ou de la laine de verre. Les graines seront ensemencées en trempant, puis on élèvera paniers ou grillages quand les racines commenceront à prendre de la longueur, afin que le collet de la plante ne trempe pas, ce qui la ferait pourrir. Une disposition différente convient particulièrement aux amateurs : c’est la culture sur du sable irrigué par la solution ; on emploie un très gros sable, ou même un cailloutis de 3 à 5 millimètres de grain.

À la rigueur, on peut prévoir une installation stagnante, à la condition de transvaser le liquide deux fois par jour ; mais on aura des résultats meilleurs et une eau plus saine avec un système à circulation. Un récipient d’une dizaine de litres se vide goutte à goutte dans le bas de culture, le trop-plein s’écoulant dans un seau ; on remonte l’eau tous les soirs. Une bouteille renversée, le goulot trempant dans le liquide, suffit pour maintenir constant le niveau d’un petit bac, en formant « abreuvoir aux oiseaux » ; une grosse ficelle bouillie, formant mèche, permet d’amener l’eau progressivement d’un récipient dans un bac inférieur.

Et voici des légumes.

— Il existe plusieurs formules pour les solutions. Voici l’une des plus simples, facile à régler, et qui n’utilise que des produits peu coûteux. Pour 1 litre d’eau : nitrate de calcium, 0gr,71 ; nitrate de potassium, 0gr,568 ; sulfate de magnésie, 0gr,284 ; phosphate diammonique [PO1(NH4)H], 0gr,142 ; perchlorure de fer, 0gr,112 ; iodure de potassium, 0gr,00234 ; acide borique, 0gr,00056 ;

sulfate de zinc, 0gr,11156 ; sulfate de manganèse, 0gr,000284. Ajouter goutte à goutte de l’acide phosphorique dissous jusqu’à ce qu’un papier de tournesol bleu, trempé dans la solution, commence à virer au rouge vineux. On obtient ainsi la solution-type, dont la concentration est susceptible de légères variations suivant les légumes cultivés.

Si des larves de diptères envahissent l’eau, ajouter 0gr,3 de nicotine neutralisée par litre ; tenir les bacs fermés par un couvercle échancré pour le passage des tiges, afin d’empêcher le pullulement des algues ; peindre les récipients en blanc s’ils doivent être exposés au soleil. On tiédira les solutions, suivant les variétés, en immergeant dans le liquide une ampoule électrique renversée (verre seulement) ; un éclairage intensif, matin et soir, peut accroître le rendement, surtout en hiver ; il n’y a pas lieu de dépasser cent bougies et quatre heures d’éclairage par jour.

Les pommes de terre poussent à froid — 15° à 20° — sur lit de mousse, solution forte contenant 2 à 3 grammes au total de sels par litre. Les carottes courtes viennent en solution froide, sur tourbe, avec 2 grammes par litre. À 25 ou 30°, on peut cultiver des aubergines (2 grammes par litre), des concombres, cornichons, courges, potirons (2gr,5 par litre), des melons et tomates avec des concentrations de 2 à 3 grammes. Citons encore la betterave en solution froide (10 à 15°), avec concentration initiale de 2 à 3 grammes, sur lit de sables ; les navets (concentration 1 à 2 grammes), à 15°, sur lit de tourbe ; les artichauts et les cardons (2gr,5), à 15 ou 20°, sur tourbe, les oignons et les fraisiers à 15° (2 grammes), sur sable ; les poireaux vers 17°, sur tourbe (1 à 2 grammes) ; le haricot (concentration initiale, 2 grammes), de 15 à 20°, sur tourbe ; les céleris à 25°, sur lit de tourbe, avec une concentration initiale de 3 grammes par litre. Toutes les fleurs, iris, jacinthes, laurier-rose, peuvent être cultivées sur mousse ou sur tourbe, à des températures ne dépassant pas 18°, avec des concentrations de 2 grammes environ par litre.

Pierre DEVAUX.

Le Chasseur Français N°604 Décembre 1941 Page 632