Accueil  > Années 1942 à 1947  > N°605 Janvier 1942  > Page 5 Tous droits réservés

La chasse au chien courant

Le chevreuil (1).

Les difficultés dans l’accompagner sont parfois plus grandes que dans le change.

Votre chevreuil de chasse va se joindre à une harde de deux, trois ou cinq chevreuils. Deux cas peuvent se présenter : ou il se relaisse près d’eux et ne bouge que si l’un des chiens lui souffle au poil ; ou bien il accompagne la harde. Le plus souvent, il va ainsi, mêlé à ses congénères 400 ou 500 mètres, puis, d’un bond immense, se jette de côté et laisse passer la meute, et, là encore, se relaisse ou bien s’enfuit sur ses arrières en enchevêtrant ses voies par doubles sur doubles, se relaissant encore, bien que, d’ordinaire, il en profite pour se forlonger et gagner au pied, lorsqu’il entend la meute s’éloigner.

Vous voyez dans quelle situation compliquée se trouve le veneur qui ne possède pas encore de vrais chiens de change ... Pourtant, il y a un indice qui ne trompe guère, quand la configuration du terrain et la physionomie des bois permet de le voir ; ce n’est pas, hélas ! toujours le cas.

Mais prenons un exemple : nous chassons un brocard (mettons depuis deux heures et demie), il se jette dans une harde de deux ou trois animaux, mais dans leur reposée et sur un retour de l’animal de chasse, qui s’est relaissé dans la harde. La meute tombe en défaut, en requêtant les chevreuils partent au nez des chiens, et tout fait suite à vue sur l’un d’eux.

Voilà le moment de bien observer ; si celui qui s’est donné à la meute n’est pas votre animal de chasse, il s’enfuit en zigzaguant, se faisant battre plus ou moins. L’animal échauffé, au contraire, fuit en ligne droite, il sait qu’il ne s’agit plus de s’amuser, ni de bricoler en brodant ses voies.

Mais nos chiens ont suivi un change ; pendant ce temps, notre brocard fuit sur ses arrières et presque toujours — pour ne pas dire toujours — enfilant directement vers les cantons où il s’est fait chasser. Il n’y a pas à hésiter. Arrêtez immédiatement, faites une cerne en arrière, neuf fois sur dix vos chiens tomberont sur la bonne voie, et vous le montreront bien vite par l’ardeur avec laquelle ils perceront sur cette voie droite et sans zigzag.

Par conséquent, à un relancer sur plusieurs animaux, ou même un seul, au ressui et partant au nez de la meute, attendez quelques instants, observez bien votre animal. S’il se fait battre ou ne fuit pas directement, n’hésitez pas, arrêtez, c’est un change, et immédiatement portez votre meute en arrière.

Mon oncle G. Hublot du Rivault, ancien collaborateur de ce journal et qui signait « Un vieux veneur poitevin », avait une grande expérience et connaissait parfaitement la chasse du chevreuil ; doué d’un esprit d’observation étonnant et d’une grande mémoire, il nous raconta bien des fois le fait suivant :

Il chassait un brocard qui avait battu au change quatre ou cinq fois et fort inutilement, bien maintenu par une quinzaine de ces excellents chiens de Billy, dont il était le créateur. Mais, après deux heures trois quarts de chasse, il vint s’échouer dans une harde de sept chevreuils, bondissant de tous côtés. La meute avait mis bas aussitôt, sauf trois jeunes chiens de l’année qu’on arrêtait sur une chevrette, à 500 ou 600 mètres de là.

On n’avait plus qu’à laisser faire.

Après un quart d’heure de requêtes, avec la meute fort sage, du reste, mon oncle prit le parti d’entraîner ses chiens hors de l’enceinte où s’était produit le change, sans s’occuper d’un convaincu qui travaillait seul au milieu de toutes ces voies.

Une demi-heure, trois quarts d’heure passent. Enfin, assez loin en arrière, le vieux veneur entend, non sans émotion, la gorge longue et sonore de son chien ; une fois, deux fois, puis, tout à coup, son brillant récri du relancer.

En quelques instants tout a rallié à cette voix qui menait toujours à la victoire, et vingt minutes après le brocard était pris.

Vous voyez qu’il ne suffit pas d’avoir de bons chiens, il faut les comprendre, il faut leur donner confiance car, si un chevreuil est incapable de raisonner comme un homme, il arrive qu’un veneur soit incapable de raisonner comme un chevreuil.

Dans la chasse du sanglier, nous avons vu combien la fin était émotionnante ; l’approche de la prise du chevreuil n’est ni si marquée, ni si spectaculaire, au point que la fanfare de l’hallali courant ne s’y sonne pour ainsi dire jamais ; un chevreuil n’est hallali et pris que coiffé par les chiens.

Généralement, c’est un grand défaut qui précède la prise, mais il est des jours de bonne terre où la meute se rit des difficultés et où un chevreuil est pris de volée dans un laisser-courre étourdissant. Ceci pour bien préciser qu’on voit des fins de chasse diverses. Faut-il les énumérer ? Si nous consultons nos souvenirs — et notre livre de chasse — nous en voyons bien des formes, et cela fait battre notre cœur de veneur.

Mais, avant de les revivre, voyons s’il existe ce que l’on pourrait appeler les signes précurseurs de la prise. Au fond, il y en a peu, et seule la connaissance du pied pourrait donner quelques indications au veneur assez savant pour y reconnaître quelque chose ; mais, croyez-moi, ceux-là sont bien rares.

Autant d’animal, autant de fin de chasse ; tel vous semblera fini et que vous manquerez, tel autre qui paraît frais sera gobé par les chiens quelques instants plus tard.

Les signes extérieurs sont des plus trompeurs. Nous en eûmes la preuve lors de la prise de notre premier chevreuil, c’est-à-dire celle dont toutes les péripéties restent gravées dans notre mémoire.

Un vent des plus violent et une fausse chasse emmenée par quelques jeunes chiens avaient fait perdre à toute l’assistance, et nous courrions avec une vingtaine de chiens, depuis plus de trois heures, seul, dans une grande forêt, qui nous semblait plus grande encore. Enfin, après un relancer, nous rencontrons deux gardes sur une allée, qui venaient de voir sauter notre animal devant la meute : « Paraît-il avoir de la chasse ? » demandions-nous. La réponse, si dubitative dans sa forme respectueuse, équivalait à une négation. Les hommes étaient sérieux, assez connaisseurs, et suivaient depuis de longues années les chasses. Pourtant, dix minutes après, notre chèvre était étranglée par les chiens.

Un chevreuil est gobé dans un relancer, un autre, pincé dans un roncier, comme un lièvre au gîte ; celui-ci tombe mort devant les chiens en débucher ; on en prend dans les étangs ; juché sur des tas de fagots, tapi dans un fossé, caché dans une écurie, réfugié dans un village ou dans une gare (comme celle de Blois, où l’équipage Reille-Lauristin en prit un avant la guerre), ou, bien mieux encore, à Paris, place de la Concorde ; il est vrai que c’était en l’année 1788, et ce chevreuil, lancé en Villers-Cotterêts, fut pris sur la place, dite alors Louis-XV, par le duc d’Orléans. La curée au flambeau fut donnée à la reine Marie-Antoinette, à l’endroit où, autrefois, Louis XIII avait installé ses chenils au milieu d’une lande déserte. Quel chevreuil, aujourd’hui, pourrait-on y chasser ? ...

Un chevreuil sur ses fins, et qui se relaisse, devient aussi immobile qu’un lièvre en forme ; plus on tourne autour de lui et plus il s’incruste dans le sol, devenant comme une pierre, formant un bloc et, probablement, en proie à une telle terreur qu’un arrêt des fonctions vitales supprime en lui toutes émanations. Ce que je viens d’énoncer, fort peu scientifiquement, est pourtant certain : le chevreuil, à ce moment, n’a plus aucune odeur.

Nous chassions depuis deux heures un grand brocard, qui prit la plaine. Relancé dans un boqueteau, il reçut, dans un nouveau déboucher, une de ces poussées qui tue un animal, puis les chiens tombèrent à bout de voie sur un petit chemin de terre ; il coupait la campagne, nue comme la main, car nous étions en janvier, et menait à un gentil castel, dont la propriétaire avait chassé bien des sangliers avec nous. Le revoir était bon, la voie aussi ; nous étions une dizaine de cavaliers, peut-être le double de suivants en automobile, et, après avoir laissé pendant un quart d’heure les grands chiens blancs travailler à leur guise, nous commençâmes d’envelopper le défaut. Pendant une demi-heure — et peut-être plus que moins — cet imposant effectif, chiens compris, battit et rebattit les deux hectares de terrain, jusqu’au moment où l’un de nous marcha, c’est le terme, sur notre brocard, rasé sur un des bas-côtés du chemin, « dans une brouettée d’herbes sèches » (selon l’expression d’un vieux Tourangeau coopérant aux recherches) ; l’animal sortit du sol, tel un diable de sa boîte. Nous avions passé peut-être cent fois à côté de lui. Il dura vingt minutes et fut pris en rentrant en forêt.

En ces trois causeries, nous n’avons pu étudier comme il aurait fallu la chasse si fine du plus attrayant des animaux de vénerie ; c’est volontairement que nous nous sommes bornés car, si nous n’avions écouté que notre cœur, l’année prochaine nous vous en parlerions encore.

Guy HUBLOT.

(1) Voir Chasseur Français de septembre 1941 et suivants.

Le Chasseur Français N°605 Janvier 1942 Page 5