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La pêche à la graine

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E. Comment escher l’hameçon ?

— b. Quelques pêcheurs se contentent d’appuyer un peu du pouce et de l’index sur les deux extrémités de la graine saisie entre ces deux doigts.

Les coques s’écartent légèrement et ils profitent de l’entrebâillement pour, de l’autre main, loger dans la fente toute la courbure de leur petit hameçon ; quand cesse l’effort, la fente se rétrécit et l’hameçon reste pincé comme par un ressort.

Ce moyen rapide et relativement facile à exécuter comporte deux inconvénients.

Il n’est pas rare, tout d’abord, qu’un effort des doigts un peu trop accentué, pour provoquer la fente, fasse tomber la germe, toujours fragile dans la graine cuite.

En second lieu, l’esche doit être non lancée, mais posée doucement sur l’eau, car le présent mode d’attache n’est guère solide.

Un jet un peu vif ou une touche de gardon suffisent à la détacher et demandent son remplacement immédiat ; heureux sera-t-on si l’on a pu s’en apercevoir à temps.

— c. Enfin, il est des confrères qui utilisent la graine à l’instar d’une noquette. Quand elle est ramollie par la cuisson ou le détrempage, ils la percent d’outre en outre d’une petite aiguille à laquelle est enfilé un bout de fil noir très fin. En nouant ce fil, ils forment une boucle et coupent les deux extrémités le plus ras possible.

Ils passent ensuite la pointe de l’hameçon dans cette boucle et, sans s’occuper si ledit hameçon reste très visible, exécutent ainsi leur passée. L’esche tient ainsi fort bien et peut servir pendant assez longtemps.

De ces trois procédés, quel est le meilleur ? C’est chose difficile à dire. Chaque pêcheur a ses petits tours de main, ses petites manies, et il n’en démord pas volontiers.

Si toutefois il était nécessaire de se prononcer, j’opterais de préférence pour le premier d’entre eux. C’est celui d’ailleurs que j’emploie habituellement, malgré l’inconvénient des lunettes, dont nos jeunes confrères se passeront fort bien.

F. L’action de pêche.

— Voici donc notre coup judicieusement choisi à proximité de repaires à gardons constitués par de vastes herbiers situés en aval. L’espace où flottera notre ligne se distingue par son cours alangui, exempt de remous et de tourbillons. Le fond en est assez régulier et accuse une profondeur d’environ trois mètres ; vraiment, il était difficile de trouver mieux.

Nos poissons, alléchés par les amorces déposées régulièrement depuis plusieurs jours, ont pris l’habitude de s’y rendre et d’y stationner, mais nous avons prudemment évité le gavage en ne déversant que la quantité strictement nécessaire.

Nous allons donc pouvoir les pêcher avec les meilleures chances de réussite si ... nous tombons sur un bon jour, car même le pêcheur le plus expert, le plus chevronné, est incapable d’affirmer d’avance qu’il est sûr de remplir sa bourriche, tant le gardon est capricieux et décevant.

La veille du jour choisi, tout a été minutieusement préparé. Canne, moulinet, lignes, montures ont été revus avec soin. Épuisette et boîte mouilleuse contenant les bas de ligne de rechange, plombs fendus, pince plate, ciseaux, pierre à aiguiser et hameçons de rechange n’ont point été oubliés.

Les graines ont été surveillées de près pendant leur cuisson. Celles d’amorce, maintenues dans leur bouillon, seront emportées dans un petit seau à vifs. Les graines-esches, soigneusement triées, sont placées dans une boîte en bois garnie de mousse humide.

En deux mots, tout est « fin prêt », et le pêcheur, dès le matin, s’est empressé de gagner la rivière.

Il a monté sa ligne, après avoir fait tremper bas de ligne et avancée, pour les rendre moins cassants, et le voici sur son coup, heureusement inoccupé, vu l’heure matinale.

Avec discrétion, il vient d’immerger quatre ou cinq boulettes de taille réduite, mélange de pain trempé et essoré et de graines cuites et écrasées.

Ces boulettes, peu consistantes, vont se déliter très vite et produire une traînée rapide que les gardons auront vite repérée pour accourir au plus tôt sur le lieu d’origine s’ils n’y étaient déjà, attirés par les amorces de la veille.

Son premier soin a été de régler la distance entre flotteur et hameçon pour que ce dernier, dans sa course, effleure l’endroit du fond le plus élevé et, sur le reste du parcours, passe à quelques centimètres au-dessus, il connaît assez bien son coup pour ne point se tromper.

Il a esché ensuite d’une belle graine, à peine entr’ouverte, et dont le germe blanc tranche sur la couleur gris terne de la coque.

Il projette délicatement son esche à la limite amont du coup ; la graine touche l’eau et s’enfonce pour arriver bientôt à proximité du fond.

Plus vite elle atteindra ce niveau et plus longue sera la course utile qu’elle va fournir.

L’antenne du flotteur, seule partie visible si le lestage a été judicieux, suit lentement le courant sur toute la longueur du coup, discrètement retenue pour que l’esche vogue en avant de la plombée. Arrivée à l’extrémité aval, à la limite extrême qu’elle peut atteindre et si aucun poisson n’a touché à l’esche, la ligne est relevée avec douceur et de nouveau replacée à l’extrémité amont du coup, pour reprendre une course identique à quelques centimètres plus loin ou plus près de la rive.

Les pêcheurs de gardons, il y a trente ou quarante ans, se contentaient de pêcher ainsi. Ils suivaient des yeux leur flotteur et répondaient aux touches par un léger coup de poignet.

Arrivés près de l’extrémité aval du coup, ils exécutaient le classique « relâché », en arrêtant la ligne un instant, la laissant repartir jusqu’à la limite qu’elle pouvait atteindre, et ferraient alors d’un petit coup sec avant de la retirer et de la projeter de nouveau en amont si aucun poisson ne s’était accroché.

En général, les touches les plus nombreuses se produisaient au milieu du coup, alors que l’esche traversait le champ des boulettes d’amorce et aussi au moment du « relâché ». J’ai longtemps péché de cette seule manière avec d’assez beaux succès ; c’était le bon temps. Les pêcheurs modernes, aux prises avec des poissons dont l’instinct de conservation s’est développé d’une manière surprenante, ont vite reconnu que ce moyen, quelquefois encore efficace, ne donnait pas toujours les résultats escomptés. La plupart d’entre eux, entraînés par l’exemple des « as » qu’ils ont pu voir remporter la palme dans les Concours de pêche, s’y prennent de façon un peu différente, qu’il nous faut bien signaler, si nous voulons « être à la page ».

Une mauvaise méthode.

— Un certain nombre de débutants, encore peu au courant de la bonne manière de pêcher à la graine, commencent, avant de mettre leur ligne à l’eau, par jeter à l’amont de leur coup plusieurs grosses poignées de graines cuites détrempées, puis se mettent aussitôt à pêcher.

Le plus souvent, le début est assez bon. De nombreux gardons, attirés par la profusion d’amorce, accourent prendre part au festin et, sur le total, il en est toujours quelques-uns qui rencontrent l’esche et s’en emparent ; mais bientôt les choses vont changer de face.

Le poisson qui a avalé par douzaines les graines d’amorce est assez vite rassasié ; la panse bien remplie, il s’en va digérer à l’aise dans l’épaisseur des herbiers, où il connaît la tranquillité. D’autres gardons ont suivi les graines, pendant leur descente ; dès qu’elles reposent en masse sur le fond, ils se mettent à table. Comme celle-ci est bien servie, ils y restent, mangent et ne s’inquiètent plus de l’esche unique qui passe au-dessus d’eux.

Si le novice qui constate la raréfaction des touches au bout d’un laps de temps assez court se met encore à jeter d’autres graines par poignées, il ne fait qu’aggraver la situation.

Il se peut qu’au moment même de ces nouveaux jets il constate encore quelques touches, mais il arrive vite que les poissons venus sur le coup en nombre limité sont bientôt repus ; ils n’ont plus faim et sont tout disposés à vider les lieux pour chercher le repos. Il va se passer, sans doute, un temps assez long avant qu’ils ne reviennent ou soient remplacés par d’autres.

Ce temps, ce sera peut-être tout ce qui reste du jour, et notre débutant trop ambitieux, qui avait espéré faire venir à lui un nombre fabuleux de proies, grâce à son amorçage intense, aura fait un mauvais calcul et devra, en fin de compte, se contenter d’un total de prises assez maigre.

Il n’a pas su employer la bonne manière ... et voilà tout.

(À suivre.)

R. PORTIER.

1) Voir Chasseur Français d’octobre 1941 et suivants.

Le Chasseur Français N°605 Janvier 1942 Page 19