Appâts naturels.
— Nous en avons à peu près fini avec les appâts
artificiels (si on peut considérer comme tels les poissons morts conservés dont
j’ai dû vous parler en même temps que des devons) et je vais maintenant
explorer un terrain presque nouveau dans le sport du lancer léger, qui, jusqu’à
présent, a été considéré surtout comme une méthode de spinning, alors que c’est
essentiellement un mode de pêche qui vous permet, si vous le voulez, d’expédier
à une certaine distance tout ce qui dépasse le poids de 2 grammes.
Mon éminent ami Constantin-Weyer vous a déjà dit dans son
livre charmant que le « tambour fixe » pouvait servir à toutes les
pêches. Je vous renvoie à cette étude très complète et vais uniquement vous
parler de quelques procédés que j’ai expérimentés personnellement.
Je vous en parle à propos du chevesne, avec les détails
nécessaires, — je vous y renverrai sommairement quand il s’agira de
quelques autres poissons qui en sont justiciables.
La cerise.
— Ça, c’est spécifiquement chevesne. Il y a deux façons
d’utiliser la cerise : au toc et à la plombée.
Au toc, on met à profit le réflexe qu’ont les
chevesnes de venir rôder là où ils ont entendu tomber légèrement un objet.
C’est surtout dans les eaux restreintes, petites rivières peu rapides, aux
berges droites, que le procédé est fructueux.
Terminez votre gut, qui n’a pas besoin d’être très fin (vous
pouvez aller jusqu’au 20/10) par un hameçon rond no 7 ou 5,
selon la grosseur des fruits, esché d’une belle cerise rose ou noire, la plus
grosse possible (non que le chevesne préfère les grosses, mais parce qu’elles
sont plus lourdes et plus faciles à lancer).
Approchez doucement, caché par les branches. Et envoyez
votre fruit au milieu d’un « pol ». Laissez-le gagner le fond et ne
bougez plus. Si tout va bien, au bout de quelques secondes, vous voyez le fil
se tendre et se déplacer. Ferrez d’un bon coup de pick-up !
À la plombée. — Ici je demande votre attention, parce que ce n’est
pas seulement pour la cerise que ce procédé va vous servir, mais pour quantité
d’autres appâts et quantité d’autres poissons.
Mais, alerte ! La plombée n’est pas une ligne
flottante. Si vous l’employez, il vous faut un permis délivré par
l’adjudicataire du lot ou bien une carte de sociétaire si le lot est amodié à
une société. Ceci dit, ma conscience est au repos ; si vous vous mettez
dans un mauvais cas, ce ne sera pas sans avoir été averti.
Vous savez en quoi consiste la plombée : un plomb percé
reposant sur le fond, la ligne coulissant librement à travers le trou de ce
plomb. Le poisson ne sent aucune résistance et ne voit pas le bas de ligne qui
repose à terre. Il mord sans méfiance et on le ferre, ou bien il a ferré de
lui-même lorsqu’un arrêt disposé sur la ligne vient buter le plomb. Ceci, c’est
la méthode des pêcheurs de « gros » : carpes, barbillons,
etc. ... Nous opérons de même, mais « en plus petit ». Remarquez
d’abord que si, pour maintenir immobile dans un courant de 3 kilomètres-heure
par 2 mètres de fond une soie de 11 kilos, il nous faut, par exemple,
un plomb percé plat de 50 grammes, nous maintiendrons aussi facilement au
fond, dans ce même endroit, une soie ou un gut de 20/10 avec une chevrotine
percée de 5 grammes (car la résistance au courant varie
proportionnellement au carré de la section du fil). Cela veut dire pour ceux
qui ont encore moins que moi la bosse des mathématiques (et pourtant Dieu
sait ...) que, si une ligne est deux fois moins grosse, il lui faudra un
poids quatre fois plus petit, et, si elle est trois fois moindre, neuf fois moins
lourd, etc. ...
Je ne vous recommande pas mon procédé pour pêcher
méthodiquement le gros poisson dans un fort courant. Quand je vais délibérément
pêcher carpe ou barbeau, je prends de fortes soies, des plombées de 30 à 100 gr.,
etc. ...
Il ne s’agit là que d’un intermède, au cours d’une pêche au
lancer. Vous êtes parvenu en un coin favorable : grand remous calme, bordé
de roches, vous pensez qu’il y a des chevesnes. Vous avez exploré le coup pour
perche, brochet, voire chevesne, à la petite cuiller ou autrement. Vous en avez
pris ou vous êtes bredouille, peu importe. La journée s’avance, vous êtes
fatigué ou vous avez envie de casser la croûte. Vous avez un permis sur le lot.
Pourquoi ne pas essayer, pendant une ou deux heures, de
pêcher à la plombée le chevesne à la cerise ou tout autrement, ou tout autre
poisson ? Voilà, vous avez compris ?
Peut-être avez-vous emporté, en provision du cas, un petit
sac de cerises dans votre panier ? Peut-être y en a-t-il sur un arbre dans
le jardin voisin dont vous connaissez le propriétaire ?
Allez-y donc ! C’est très simple. Vous enfilez sur
votre gut une chevrotine de 5 grammes ou une olive de 10 grammes si
c’est nécessaire et si la puissance de votre canne vous le permet (il faudrait
alors la canne de 500). Vous empilez à l’extrémité du gut un hameçon rond no 7
ou 5 selon la grosseur du fruit (il doit pouvoir faire le tour du noyau). À 0m,40
au-dessus de l’hameçon, vous pincez un plomb fendu no 6 ou, si
vous n’en avez pas, vous nouez sur le gut par une « clef » un tout
petit bout d’allumette ou de fine branche de tanaisie ou autre plante de la
rive, pour empêcher le plomb de tomber sur l’hameçon. Tout est prêt.
Maintenant, asseyez-vous confortablement. Lancez trois ou quatre petites
cerises à la place voulue, un peu en amont, puis envoyez votre ligne au même
endroit. Posez la main sur votre genou pour immobilisez la canne, pointe en
direction du fil, et attendez. S’il y a touche, le fil se déplace et commence à
se dérouler. Un bon coup de pick-up, relevez la canne, c’est ferré. Vous
prendrez peut-être deux ou trois chevesnes de suite, guère plus. Ils ont vite
pris l’alarme. Vous pouvez essayer à côté, puis revenir là quand vous penserez
que la clientèle s’est rassurée. Ainsi ont agi maints financiers, et ils ont
toujours fait bonne pêche. Ce qui prouve que l’homme est plutôt moins malin que
le chevesne.
Mais il ne reviendra pas, le temps des cerises, pas avant
l’an prochain. À la plombée, on peut employer d’autres fruits selon les
saisons : groseilles à maquereaux (pourquoi pas à chevesne ? Jamais
on n’a pris un maquereau avec un fruit !), « mûres »,
c’est-à-dire le fruit de la ronce, raisins noirs ou blancs. Quel meilleur usage
faire d’une grappe de noah ? et enfin le fruit de corail de l’églantier, que
les savants nomment « Cynorhodon ».
Revenons à l’été, saison de toutes les pêches. À la plombée,
vous pourrez employer bien d’autres appâts pour le chevesne et qui, à
l’occasion, vous rapporteront d’autres poissons de la rivière. Le ver de
terre : chevesne, truite, anguille, perche et tous cyprins.
Une boulette de mie de pain ; chevesne, barbeau, carpe,
tanche, etc. ...
Une boulette de « pâte noire » (mélange patient de
pain rassis trempé et de tourteau de chènevis frais fraîchement râpé) :
chevesne, carpe, barbeau, etc. ... Un morceau de fromage de gruyère
ramolli à l’eau ou de crème de gruyère : chevesne ou barbillon. Un morceau
de pomme de terre bouillie : chevesne ou carpe.
Une grosse becquée d’asticots ; chevesne, carpe,
barbillon, hotu, brème, etc. ... Cinq ou six graines de blé enfilées sur
un hameçon no 8 : chevesne, carpe, tanche, barbeau,
etc. ...
Je n’ai pas mentionné, à propos de tous ces appâts,
l’indésirable poisson-chat, pour la raison que, là où il existe, il n’est pas,
je crois, un appât au monde auquel il ne touche et ne se fasse prendre
avidement, y compris les vifs offerts au brochet.
D’ailleurs, si vous en prenez, ne les jetez pas sur le pré
derrière vous, comme ont coutume de le faire mes voisins :
1° parce que c’est aussi bon à manger que de
l’anguille ;
2° parce que, si quelqu’un, plus tard, s’assoit sur un de
ces cadavres aux trois épines, il risque une infection des plus grave.
A. ANDRIEUX.
(1) Voir Chasseur Français de septembre 1941 et suivants.
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