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La mode de Paris

Si la variété des ensembles et des tailleurs est infinie, celle des robes ne l’est pas moins. La mode de cette saison d’hiver 1941-42 a ceci de particulier que tout se fait et tout se porte ; il y en a pour tous les goûts, toutes les tailles et toutes les silhouettes.

Les restrictions sévères qui sont imposées au groupe des textiles ont-elles influé sur cette mode ? Oui et non.

Certains couturiers comme Bruyère nous ont proposé des robes « adhérentes », c’est-à-dire des fourreaux, merveilleusement coupés et proportionnés, il est vrai, mais enfin des fourreaux, et utilisant le minimum de tissu ; d’autres, au contraire, ont gardé à nos jupes cette mouvante ampleur de corolle qui prend infiniment plus de métrage ; d’autres encore ont entravé l’ampleur dans le bas des jupes, mais cette ampleur existe à la hauteur des hanches, où elle est massée en fronces, en plis, en coquilles, c’est le cas de Lucien Lelong, de Nina Ricci ; d’autres enfin, comme Molyneux ou Heim, l’ont placée en arrière, serrée sous la ceinture ou drapée en une sorte de retroussis très nouveau.

Nouveau ? Est-ce vraiment nouveau, la mode de cet hiver ! C’est plutôt le renouveau de tout ce que nous avons connu entre 1910 et 1920, mais remis au goût du jour avec une souplesse, un dégagé, une juvénilité que n’avaient pas les modes de cette époque.

En général, les robes de lainage sont assez étroites ; si elles ne sont pas absolument collantes, elles sont le plus souvent taillées en droit fil, et la largeur du bas est resserrée dans un empiècement un peu au-dessous de la taille par des fronces, des pinces, des tuyaux d’orgue, des nids d’abeilles ; elles sont simples, la perfection de leur coupe, la note tranchante d’une ceinture, ou d’un boutonnage, une jolie poche bien placée en font toute la valeur.

Les écossais ont une vogue persistante, les écossais aux tons atténués, faits de camaïeux, de beiges et de gris avec un rien de jaune, de vert ou de rouge ; ils sont alors employés en opposition de sens, droit fil et biais savamment disposés. Sont à la mode aussi des carreaux de tous calibres, voire les pieds-de-poule, mais toujours de tons atténués, succédanés des beiges et des gris. Les lainages chinés sont également à l’honneur, les nuances café au lait, chocolat, marron glacé, dont les noms évoquent toutes sortes de gourmandises défendues, sont très neuves et très goûtées, alors que les teintes sombres sont presque complètement délaissées pour ce genre de robes. Il est des couturiers comme Charles Montaigne ou Marcelle Chaumont, par exemple, qui ont composé dans des gammes très claires toutes leurs petites robes de lainages ; elles sont bleu-ciel ou turquoise, jaune ou corail, et c’est charmant, dissimulé sous les pelisses ou les grands manteaux sombres que nous portons cet hiver.

Les robes plus habillées, les robes d’après-midi sont, par contre, presque toutes noires ; contrairement aux autres, elles sont en lainage fin et sec, en crêpe de laine qui s’approche à s’y méprendre du grain des marocains, des jerseys, des crêpes de soie mat ; moins simples que leurs sœurs matinales, elles sont le plus souvent drapées depuis le cou jusqu’au bas de jupe, le drapé du corsage reste mince et serré sur le buste, celui de la jupe s’épanouit à la hauteur des hanches ; c’est la ligne « amphore » ou « tonneau », dont l’ampleur est souvent libre dans le bas, mais souvent resserrée et retournée à la turque ou à la zouave.

Tout un charmant travail de main-d’œuvre apparaît alors, c’est le triomphe des froncillés, des nids d’abeilles, des matelassages, des incrustations ; parmi ces dernières, les incrustations de velours ont une place de choix, le reflet de ce velours découpé en fleurs, en guirlandes, en arabesques, en motifs géométriques sur la matité du tissu est vraiment des plus heureux. Jane Duverne, qui depuis longtemps déjà employait ce genre de garniture avec succès, l’allège encore et le perfectionne pour les robes très habillées en soulignant le motif de velours par un effet de tulle à clair entre lui et le tissu de base.

Depuis longtemps déjà, les couturiers travaillent avec bonheur les robes à transformations, jupes courtes qui s’allongent ou jupes longues qui se raccourcissent par un jeu de coulisses ou de pressions ; capes qui deviennent tuniques et réciproquement, manches longues qui se détachent, etc. Jeanne et Josée nous proposent, cette saison, des tabliers mobiles en djersamat de couleurs ou bien noir sur noir, mais discrètement éclairés d’un collier ou d’une ceinture brodée ; ces tabliers, qui s’attachent et se détachent au col et à la taille, changent complètement l’aspect d’une seule et même robe.

G.-P. DE ROUVILLE.

Le Chasseur Français N°605 Janvier 1942 Page 46