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Les « ondes » du cerveau

Voici près de trois quarts de siècle que le professeur Hans Berger découvrait dans le cerveau vivant des phénomènes électriques intenses, de nature ondulatoire. L’appareillage de laboratoire était alors moins perfectionné qu’aujourd’hui ; nous ne disposions pas de ces précieux amplificateurs à lampes que tout le monde connaît par leur usage en radio. Néanmoins, Berger put montrer que le cerveau émet deux sortes d’ondes, dont l’une prédomine au reposé et dont le trouble est caractéristique d’une activité psychique.

On n’aurait pu songer à cette époque que ces courants électriques, localisés dans la masse cérébrale et dans les nerfs captés par les expérimentateurs au moyen d’aiguilles métalliques ou de compresses humides, étaient capables de rayonner au dehors. La découverte par Hertz, en 1888, des ondes électromagnétiques qui portent son nom, vint changer l’aspect du problème. Ce n’est toutefois que dans ces dernières années que le professeur Cazzamalli, de Côme, réussit à capter ces ondes à distance au moyen d’une petite antenne et à les enregistrer sur film.

Cette ingénieuse technique, perfectionnée par l’emploi d’oscillographes cathodiques ou tubes à télévision, a conduit aux plus curieuses réalisations.

Comment on capte les messages du cerveau.

— Voici comment fonctionne l’installation de Cazzamalli. Il importe tout d’abord de mettre le patient et les dispositifs d’amplification à l’abri des ondes électromagnétiques qui sillonnent l’espace environnant et qui proviennent des postes de T. S. F. et des orages. On utilise à cet effet une chambre métallique blindée mesurant 2m,65 de longueur, 1m,65 de largeur et 2 mètres de hauteur, qui forme « cage de Faraday ». ; des blocs de porcelaine et un fil de raccordement permettent d’isoler ou de mettre la chambre à la terre à volonté.

Au-dessus de la tête du sujet, couché dans un complet repos mental sur un petit lit, se trouve tendu un fil de cuivre isolé au moyen de cordons de soie ; cette antenne miniature est reliée à un circuit amplificateur à lampes de T. S. F., susceptible d’être excité par des courants de longueur d’onde de 0m,70 à 5 mètres environ. Telles sont, en effet, les longueurs d’ondes moyennes émises par le cerveau humain.

À la sortie des amplificateurs, le courant est transmis par l’intermédiaire de petits câbles sous plomb à un galvanomètre à corde situé dans une chambre noire attenante et associé à un dispositif d’enregistrement photographique. On peut se représenter de la façon suivante le principe de l’enregistrement ; un fil métallique très mince, tendu entre les branches d’un aimant, est parcouru par le courant ondulatoire et oscillé dans le champ magnétique ; son ombre, réalisée sous forme punctiforme, grâce à une lentille cylindrique, vient tomber sur un film vierge qui se déroule.

Tant qu’aucune onde n’est captée par l’antenne, l’ombre punctiforme reste immobile, traçant sur le film une ligne droite continue. Dès qu’un train d’ondes, émis par le cerveau, vient atteindre l’antenne, l’ombre dévie, traçant sur le film des ondulations extrêmement serrées. Pratiquement, on trouve au développement une ligne blanche, plus ou moins élargie, en fuseau ou en corolle, suivant la nature des émissions enregistrées. Chaque film a une longueur de 10 mètres, l’enregistrement s’effectuant à raison de 8 centimètres par minute.

Oui, on peut lire dans vos sentiments.

— Les expériences sont le plus souvent conduites de la manière suivante : les amplificateurs étant parfaitement réglés et le mécanisme à film étant mis en marche, le sujet est invité à s’abandonner les yeux fermés à un repos mental aussi complet que possible.

L’expérimentateur, interrompant ce repos, lui demande alors brusquement de penser à des personnes ou à des faits qui l’intéressent vivement, de façon à déclencher une activité psychique fortement émotive. Dans le cas de sujets particulièrement sensibles, l’émission des ondes cérébrales est suffisante pour agir non seulement sur l’appareil d’enregistrement, mais sur un téléphone : l’expérimentateur, coiffé d’un casque à écouteurs, entend un crépitement sec, qui n’est autre que l’émotion de son compagnon, directement perçue.

Avec un peu d’habitude, Cazzamalli parvint à des résultats étonnants, reconnaissant, d’après l’aspect et les renflements de la ligne enregistrée sur le film, la nature des émissions ressenties par le sujet. Le nom d’un ennemi hérisse la ligne de hautes pointes, tandis qu’un sentiment tendre la renfle en chapelet et que le sentiment patriotique la gonfle avec une ampleur martiale. L’indiscrétion est ici d’autant plus grave qu’il est possible de dissimuler l’antenne dans un dossier de fauteuil ou derrière un rideau, à l’insu du sujet.

Dans un domaine moins romanesque, les neurologues se sont préoccupés d’utiliser les ondes cérébrales pour obtenir des « encéphalogrammes » qui apportent les plus précieux renseignements sur la pathologie du système nerveux. À la Salpêtrière, dans le service du professeur Gosset, le Dr Ivan Bertrand a procédé à l’installation d’une cabine blindée et d’enregistreurs plus sensibles et plus prompts que le galvanomètre à corde, basés sur le principe classique de l’oscillographe cathodique ; on sait que, dans cet instrument, qui est employé en télévision, la traduction sous forme lumineuse des phénomènes électriques est obtenue par la déviation d’une mince gerbe d’électrons qui viennent frapper une surface fluorescente. Il est incontestable que ce puissant moyen d’exploration cérébrale rendra les plus grands services pour l’étude des cas pathologiques.

Les détecteurs de mensonges.

— Les juges d’instruction américains, qui ne redoutent pas les solutions hardies, utilisent depuis quelques années un appareil composite appelé lie-detector, ou détecteur de mensonges ; cet appareil comporte un enregistreur du rythme cardiaque et un enregistreur du rythme respiratoire, tous trois logés dans une mallette transportable. Le patient est relié au triple enregistrement par des bracelets et des tubes de caoutchouc.

Au moment où le juge pose au prévenu une question délicate, celui-ci fait un effort pour résister à l’émotion et élaborer un mensonge. Cet effort psychique se traduit par des modifications physiologiques très nettes, qui sont révélées par les enregistreurs. Un certain doigté et un sens humain de l’équité sont évidemment indispensables chez le juge pour éviter de confondre, avec cet effort caractéristique de dissimulation, l’émotion trop naturelle d’un innocent suspecté. Cette responsabilité semble avoir été comprise, car, sur une statistique de mille personnes « interrogées à la machine », six cents furent reconnues innocentes et cent cinquante seulement furent condamnées.

Guelma, de Strasbourg, a utilisé un détecteur « électrolytique » basé sur les changements de conductibilité de la peau provoqués par les émotions. Le prévenu est prié de plonger les mains dans deux bocaux emplis d’eau salée et reliés à un galvanomètre. C’est ainsi que Guelma réussit à démasquer un assassin, très maître de lui, qui avait défié tous les interrogatoires du juge d’instruction ; l’aiguille du galvanomètre resta immobile tant que l’on prononça devant le prévenu des mots indifférents, tels que « pomme, eau, chaussures » ( !), tandis qu’elle s’éleva à la graduation 10 quand on prononça les mots « prison, mort » ou le nom de la victime ; elle s’éleva à la vingtième division quand on l’accusa brusquement du meurtre, et jusqu’à la division 23 quand on évoqua l’exécution capitale !

Le professeur Laignel-Lavastine et le Dr d’Heucqueville ont mis au point une méthode moins spectaculaire mais efficace d’analyse d’urines. Ici, pas d’appareillage complexe, mais seulement deux tubes de verre et quelques gouttes de colorant. Tout se passe aussi facilement que lorsque l’on recherche l’albuminurie d’un malade. L’analyse étant faite avant et après l’interrogatoire s’il n’y a pas eu d’ébranlement émotionnel, les deux résultats sont comparables ; au contraire, s’il y a eu réticence, simulation, mensonge, l’acidité de l’urine change et cette différence apparaît très nettement sous l’influence du colorant. Ce dernier procédé a été employé pour un certain nombre d’enquêtes ; il apporte aux juges d’instruction un précieux moyen d’investigation, toujours sous la réserve de discriminer avec soin les émotions, parfois terriblement semblables, de l’innocent et du criminel.

Pierre DEVAUX.

Le Chasseur Français N°605 Janvier 1942 Page 58