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Le pin maritime

nouvelle richesse des Landes

On a coutume de dire que la consommation croissante de papier dans les pays civilisés amènera le déboisement de la planète ; aphorisme partiellement vrai, mais que les faits démentent d’une façon éclatante en France où, pourtant, les vertes forêts de résineux s’étendent sur plus de 1.000.000 d’hectares. Malgré ses propres richesses en essences diverses, par suite d’une consommation de papier sans cesse croissante, notre pays a dû importer, en 1938, 400.000 tonnes de pâte de papier, chimique et mécanique. Aussi, devant les besoins chaque jour plus impérieux en papier et cellulose, a-t-on cherché à exploiter sur une plus vaste échelle et dans des conditions aussi économiques que possible nos bois indigènes, qui occupent une superficie étendue, répartie essentiellement dans les départements des Landes, Gironde, Lot-et-Garonne, Charente et Dordogne, soit une production annuelle de 2.900.000 mètres cubes exclusivement composée de résineux, ce qui offre un intérêt capital pour l’exploitation et de la cellulose et du papier ; mais cela est une autre question que nous verrons plus loin en détail.

Si, en dépit de « matière première abondante », la France est restée et est encore un peu tributaire des pays Scandinaves, c’est parce que les résineux qui peuplent tout le Sud-Ouest ne comprennent que la seule variété de pin maritime, dont le bois a une texture très compacte, et est imprégné de résine, conditions tout à fait défavorables qui s’opposent aux traitements chimiques usuels applicables aux autres variétés : pin sylvestre, pin d’Écosse, épicéa, etc. ...

Mais, ces dernières années, on est arrivé à mettre parfaitement au point un nouveau traitement spécialement applicable au pin maritime, moins facile à délignifier, le procédé de lessivage au bisulfite de chaux ne pouvant être ici employé, la pâte obtenue contenant une trop forte proportion de résine pour qu’elle puisse être transformée pratiquement en papier.

Actuellement les nouveaux procédés de lessivage au sulfate et à la soude donnent, dans le cas qui nous intéresse, des pâtes d’une qualité satisfaisante, et de plus offrent une simplicité d’opération comparable au procédé classique à la chaux. Le brassage s’effectue dans des lessiveurs de 50 mètres cubes, pouvant recevoir 10 tonnes de copeaux de bois, 15 mètres cubes de lessive noire et 10 mètres cubes de lessive fraîche. Le chauffage s’effectue indirectement pour éviter la dilution.

Après la mise en bain du bois, la pression atteint 3 kilogrammes et une température de 133° au bout d’une heure et demie. On opère deux dégazages pendant dix minutes ; une demi-heure après le dernier, on fait remonter la pression à 5 kilogrammes et la température à 162°. On maintient ces conditions de lessivage une heure et demie et on vidange le lessiveur sous la pression restante. Ainsi le lessivage dure environ six heures et la lessive résiduaire est soumise à l’évaporation et à l’enrichissement en alcali caustique : généralement, 75 p. 100 des alcalis mis en œuvre peuvent être récupérés.

Tel est le procédé au sulfate, qu’il serait plus rationnel de baptiser « procédé au sulfure », car le sulfate n’agit, en effet, que par sa réduction en sulfure.

Le procédé à la soude, très comparable dans ses différentes phases à ce dernier, utilise seulement la soude caustique sous une concentration variant entre 4 et 10 p. 100 de soude caustique, et sous une pression de 8 kilogrammes. Ainsi on obtient toute une gradation de qualités, fonctions elles-mêmes de la concentration de la lessive, du rapport de la lessive fraîche à la lessive récupérée, de la température, et de la rapidité de l’opération ; toutefois, le rendement par le procédé au sulfate est supérieur de près de 10 p. 100 sur celui que donne le procédé à la soude, tout simplement parce que le sulfate, ou plus exactement le sulfure formé, respecte mieux la cellulose.

Tels sont les jolis résultats atteints, et qui font naître dans la vaste région des Landes un certain nombre d’usines dont les plus importantes sont celles de Facture (Gironde), Mimizan et Roquefort (Landes), alimentées uniquement en pins maritimes, tant pour la production du papier que pour celle de la cellulose.

Grâce à ces techniques nouvelles, il va sans dire que les besoins considérables de la France en papier et ses dérivés pourront, dans un avenir proche, être couverts presque totalement par sa forêt landaise, si toutefois l’industrie de la pâte à papier bénéficie d’une protection douanière et si, d’autre part, les conditions de travail se simplifient encore : car il est évident qu’on a déjà accompli un grand pas dans les traitements de nos pins maritimes, — jusqu’alors inutilisables par l’industrie du papier ; il n’en reste pas moins encore quelques progrès à accomplir pour que nos produits rivalisent de qualité et de prix avec les produits Scandinaves ; et certes la question est d’un trop vif intérêt pour qu’elle soit abandonnée : la cellulose — seule — a vu et voit tous les jours ses applications se multiplier dans tous les domaines : nous ne parlerons pas de l’immense consommation qu’en font les industries de guerre pour la préparation des explosifs violents, mais il est d’autres applications qui l’ont mise au premier rang de l’économie nationale : soies artificielles, cellophane, celluloïd, etc. ...

Et, plus encore que la cellulose pure, le simple papier, disions-nous, sous ses variétés infinies, occupe, dans la vie civilisée, un rôle de premier ordre. Songeons qu’un grand quotidien consomme plus d’un hectare de bois par jour, et que, d’une façon générale, la technique du papier est arrivée à un tel degré de perfection qu’il voit ses usages s’étendra de jour en jour. Qui sait si demain le vêtement de papier « indéchirable et infroissable » ne viendra pas révolutionner nos modes actuelles et apporter peut-être une heureuse solution au difficile problème vestimentaire ?

P. LAGUZET.

Le Chasseur Français N°605 Janvier 1942 Page 59