Accueil  > Années 1942 à 1947  > N°605 Janvier 1942  > Page 62 Tous droits réservés

Les origines de l’aviation militaire

L’aviation est plus que jamais à l’ordre du jour. Les récits des récentes batailles aériennes, l’anniversaire d’Ader, le père de l’avion et le grand précurseur de son utilisation dans l’art militaire, remplissent les colonnes des journaux et revues, c’est pourquoi il nous a paru intéressant d’évoquer les débuts de l’aviation militaire en France, débuts peu connus et cependant fort intéressants.

C’est au XVIIIe siècle, on ne l’ignore point, qu’eurent lieu les premières expériences de ballons ; de 1781 à 1785, de courageux inventeurs risquèrent maintes fois leur vie pour essayer de mettre au point une « machine volante » ; avant eux, quelques chercheurs avaient essayé, eux aussi, de trouver la solution du plus léger que l’air, ils n’avaient pour la plupart pas réussi dans leurs essais, qui, le plus souvent, avaient eu une issue tragique. Mais toutes ces tentatives, avaient profondément remué l’opinion publique.

Un contemporain de Louis XV, le lieutenant-général de la police, le marquis d’Argenson, notait dans ses curieux mémoires, bien avant — et ce fait est à souligner — l’invention des aérostats, les réflexions suivantes : « Ceci est encore une idée qu’on va traiter de folie : Je suis persuadé qu’une des premières découvertes à faire, et réservée peut-être à notre siècle, c’est de trouver l’art de voler en l’air. Les hommes voyageront vite et commodément, et même on transportera les marchandises sur de grands vaisseaux volants.

« Il y aura des armées aériennes, poursuit notre policier-prophète. Nos fortifications deviendront inutiles. Les artilleurs apprendront à tirer au vol. Il faudra, une nouvelle charge de secrétaire d’État pour les forces aériennes. »

Il faut avouer que d’Argenson, directeur de la meilleure police de l’Europe, était aussi un véritable devin !

Un certain David Bourgeois écrivit, à la fin du règne de Louis XVI, une amusante brochure dans laquelle il prévoit à peu près toutes les utilisations militaires des ballons. Parmi ces utilisations, notre auteur signale surtout : la communication avec les villes assiégées, les vols de reconnaissance au-dessus de l’ennemi, et enfin le transport des ordres.

Mais d’autres auteurs songent, eux, à d’autres emplois guerriers de l’aviation. Un chansonnier rime des vers mirlitonesques à la gloire de la nouvelle invention :

Sur mer comme sur terre,
Nous allons dominer.
Rien ne pourra nous résister,
Nous lancerons la foudre
Où bon nous semblera,
Par les moyens du gaz ...

Marat, le fameux Marat, dans une lettre de 1785, voit en rêve nos modernes parachutistes. « Dans leurs beaux transports, certains ballomanes, écrit-il, faisoient des vastes plaines de l’air le théâtre de la guerre : plaçant à leur gré d’intrépides carabins sur les ailes d’un ballon, ils leur faisoient parcourir le globe pour épier le moment opportun de pouvoir surprendre une place ou de brûler une flotte : des armées nombreuses dévoient camper au-dessus des nuages et s’y livrer bataille. »

Deux ans auparavant, un chroniqueur notait sur ses tablettes quelques remarques bien piquantes : « MM. les Anglais, toujours bien plaisants, nous font déjà faire avec cette invention des choses admirables. On lit dans un de leurs papiers que le roi de France a ordonné cinq mille ballons, lesquels doivent porter chacun un grenadier bien armé muni de vivres pour six mois et former une petite armée aérienne dont la destination est encore ignorée ... Ils ajoutent que deux mille autres ballons les suivront de près chargés d’un train complet d’artillerie et d’artilleurs. »

Malgré tous ces pronostics, la Révolution utilisa peu la nouvelle invention. Cependant, c’est à cette époque que fut fondée la première école d’aéronautique à Meudon. Par un arrêté en date du 20 octobre 1793, la Convention avait décidé que le château de Meudon deviendrait un établissement d’études des fabrications de guerre ; un de ses membres, le citoyen Bastelier ou Battelier, ancien horloger à Vitry-le-François, y organisa le premier corps d’aérostiers militaires ; mais ce fut un inventeur de génie, trop peu connu en France, Nicolas-Jacques Conté, qui eut l’idée d’employer avec efficacité les ballons dans les opérations militaires. À l’école des aérostiers de Meudon, des soldats apprenaient, dans le plus grand mystère, car l’établissement était soigneusement gardé, à diriger un aéronef et à s’en servir. Un savant danois qui visita cet ancêtre de nos écoles d’aviation modernes nous apprend que les élèves y étaient peu nombreux ; il n’y avait, en effet, que deux compagnies commandées chacune par un capitaine, deux lieutenants, deux sergents et trois caporaux, et composées de quarante hommes.

Ces aérostiers jouèrent un petit rôle pendant les guerres de la Révolution. On sait qu’à la fameuse bataille de Fleurus (26 juin 1794) notre état-major se servit d’un ballon captif afin d’observer les mouvements des troupes ennemies ; les images ont popularisé ce fait, mais on ignore, en général, comment fonctionna ce service de renseignements aérien. Un humble musicien d’état-major, Girault, qui, par le plus grand des hasards, assista à ce mémorable fait d’armes, nous a laissé dans ses curieux souvenirs une relation à cet épisode. « Deux officiers étant montés dans la nacelle, écrit-il, le ballon fut lancé à l’endroit même où j’avais dressé ma tente ; il était retenu par quatre câbles. Le général en chef Jourdan vint se placer près de là et me prit pour servir d’appui à sa lunette qu’il plaça sur mon épaule. À chaque instant, les officiers qui étaient dans la nacelle jetaient des billets enfermés dans de petits sacs pleins de sable. Le général en prenait connaissance et, d’après le contenu, donnait ses ordres. »

En 1812, note Chateaubriand dans ses Mémoires d’outre-tombe, Rostopchine, gouverneur de Moscou, avait imaginé « un ballon monstrueux, construit à grands frais, devant planer sur l’armée française, choisir l’empereur entre mille, l’abattre dans une pluie de fer et de feu. À l’essai, les ailes de l’aérostat se brisèrent ; force fut de renoncer à la bombe des nuées ». Des historiens récents ont prouvé que le plan de cet engin avait été dressé par l’Allemand Leppich ; les troupes napoléoniennes trouvèrent les débris de la machine infernale et un bulletin de la Grande Armée en publia une description.

L’aviation militaire sombra, de 1812 à 1870, dans le plus profond oubli. Ce n’est guère que pendant le siège de Paris que le gouvernement songea à utiliser les ballons, afin de correspondre avec les différentes villes de France. La plupart de ces ballons partirent de Paris ; leur histoire est trop connue pour que nous la retracions à nouveau, mais il est intéressant de noter que c’est en 1870 que fut inventée la D. C. A.

En effet, les Allemands cherchèrent à empêcher les Parisiens de correspondre avec leur gouvernement et d’en recevoir des instructions. Les fusils ne portaient pas assez haut pour atteindre avec efficacité les aéronefs, les canons étaient trop longs à pointer, le fameux inventeur Krupp imagina alors de monter sur chariot roulant un affût à chandelier, facile à diriger verticalement et à pointer sur les plus grands angles ; cet affût supportait un fusil de rempart, dont la portée était assez grande ; un attelage permettait à cet engin anti-aéronef de se déplacer assez rapidement. Les quelques renseignements que nous possédons sur cet ancêtre de nos mitrailleuses contre avions prouvent qu’il ne fit point merveille ; les ballons continuèrent leur trafic.

C’est également en 1870 que l’on créa les premiers chefs d’îlots. Des compagnies de guetteurs furent établies dans les quartiers afin de surveiller du haut des maisons les incendies ; des enfants de douze à quatorze ans transmettaient aux pompiers les avis des sinistres signalés par les guetteurs.

Napoléon III n’utilisa pas — l’invention d’un certain Verneuil qui lui avait présenté un projet fort curieux. Cet inventeur proposait, en effet, de s’élever en ballon d’un point donné, de foudroyer de son artillerie aérienne les cibles que l’on voudrait bien lui indiquer, de diriger sa nacelle au-dessus des Champs-Élysées et enfin de venir l’arrêter aux Tuileries, devant le pavillon de l’horloge, où il présenterait à l’Empereur le plan de son idée.

Le souverain ne fit pas attention à ce projet. Quelques années plus tard, Clément Ader proposait à notre ministère de la Guerre son invention, qui devait bouleverser tout l’art militaire ; en 1913, dans la dernière édition de son livre sur l’aviation militaire, le génial inventeur prévoyait toutes les utilisations possibles de cette arme redoutable, certains de ses paragraphes sont d’une brûlante actualité ; il ne faisait cependant que répéter, sans le savoir, les idées émises deux siècles plus tôt, ce qui prouve que, décidément, il n’y a rien de nouveau sous le soleil ...

Roger VAULTIER.

Le Chasseur Français N°605 Janvier 1942 Page 62