L’aviation est plus que jamais à l’ordre du jour. Les récits
des récentes batailles aériennes, l’anniversaire d’Ader, le père de l’avion et
le grand précurseur de son utilisation dans l’art militaire, remplissent les
colonnes des journaux et revues, c’est pourquoi il nous a paru intéressant
d’évoquer les débuts de l’aviation militaire en France, débuts peu connus et
cependant fort intéressants.
C’est au XVIIIe siècle, on ne l’ignore point,
qu’eurent lieu les premières expériences de ballons ; de 1781 à 1785, de
courageux inventeurs risquèrent maintes fois leur vie pour essayer de mettre au
point une « machine volante » ; avant eux, quelques chercheurs
avaient essayé, eux aussi, de trouver la solution du plus léger que l’air, ils
n’avaient pour la plupart pas réussi dans leurs essais, qui, le plus souvent,
avaient eu une issue tragique. Mais toutes ces tentatives, avaient profondément
remué l’opinion publique.
Un contemporain de Louis XV, le lieutenant-général de
la police, le marquis d’Argenson, notait dans ses curieux mémoires, bien avant
— et ce fait est à souligner — l’invention des aérostats, les
réflexions suivantes : « Ceci est encore une idée qu’on va traiter de
folie : Je suis persuadé qu’une des premières découvertes à faire, et
réservée peut-être à notre siècle, c’est de trouver l’art de voler en l’air.
Les hommes voyageront vite et commodément, et même on transportera les
marchandises sur de grands vaisseaux volants.
« Il y aura des armées aériennes, poursuit notre
policier-prophète. Nos fortifications deviendront inutiles. Les artilleurs
apprendront à tirer au vol. Il faudra, une nouvelle charge de secrétaire d’État
pour les forces aériennes. »
Il faut avouer que d’Argenson, directeur de la meilleure
police de l’Europe, était aussi un véritable devin !
Un certain David Bourgeois écrivit, à la fin du règne de
Louis XVI, une amusante brochure dans laquelle il prévoit à peu près
toutes les utilisations militaires des ballons. Parmi ces utilisations, notre
auteur signale surtout : la communication avec les villes assiégées, les
vols de reconnaissance au-dessus de l’ennemi, et enfin le transport des ordres.
Mais d’autres auteurs songent, eux, à d’autres emplois
guerriers de l’aviation. Un chansonnier rime des vers mirlitonesques à la
gloire de la nouvelle invention :
Sur mer comme sur terre,
Nous allons dominer.
Rien ne pourra nous résister,
Nous lancerons la foudre
Où bon nous semblera,
Par les moyens du gaz ...
Marat, le fameux Marat, dans une lettre de 1785, voit en
rêve nos modernes parachutistes. « Dans leurs beaux transports, certains
ballomanes, écrit-il, faisoient des vastes plaines de l’air le théâtre de la
guerre : plaçant à leur gré d’intrépides carabins sur les ailes d’un
ballon, ils leur faisoient parcourir le globe pour épier le moment opportun de
pouvoir surprendre une place ou de brûler une flotte : des armées
nombreuses dévoient camper au-dessus des nuages et s’y livrer bataille. »
Deux ans auparavant, un chroniqueur notait sur ses tablettes
quelques remarques bien piquantes : « MM. les Anglais, toujours bien
plaisants, nous font déjà faire avec cette invention des choses admirables. On
lit dans un de leurs papiers que le roi de France a ordonné cinq mille ballons,
lesquels doivent porter chacun un grenadier bien armé muni de vivres pour six
mois et former une petite armée aérienne dont la destination est encore
ignorée ... Ils ajoutent que deux mille autres ballons les suivront de
près chargés d’un train complet d’artillerie et d’artilleurs. »
Malgré tous ces pronostics, la Révolution utilisa peu la
nouvelle invention. Cependant, c’est à cette époque que fut fondée la première
école d’aéronautique à Meudon. Par un arrêté en date du 20 octobre 1793,
la Convention avait décidé que le château de Meudon deviendrait un
établissement d’études des fabrications de guerre ; un de ses membres, le
citoyen Bastelier ou Battelier, ancien horloger à Vitry-le-François, y organisa
le premier corps d’aérostiers militaires ; mais ce fut un inventeur de
génie, trop peu connu en France, Nicolas-Jacques Conté, qui eut l’idée
d’employer avec efficacité les ballons dans les opérations militaires. À
l’école des aérostiers de Meudon, des soldats apprenaient, dans le plus grand
mystère, car l’établissement était soigneusement gardé, à diriger un aéronef et
à s’en servir. Un savant danois qui visita cet ancêtre de nos écoles d’aviation
modernes nous apprend que les élèves y étaient peu nombreux ; il n’y
avait, en effet, que deux compagnies commandées chacune par un capitaine, deux
lieutenants, deux sergents et trois caporaux, et composées de quarante hommes.
Ces aérostiers jouèrent un petit rôle pendant les guerres de
la Révolution. On sait qu’à la fameuse bataille de Fleurus (26 juin 1794)
notre état-major se servit d’un ballon captif afin d’observer les mouvements des
troupes ennemies ; les images ont popularisé ce fait, mais on ignore, en
général, comment fonctionna ce service de renseignements aérien. Un humble
musicien d’état-major, Girault, qui, par le plus grand des hasards, assista à
ce mémorable fait d’armes, nous a laissé dans ses curieux souvenirs une
relation à cet épisode. « Deux officiers étant montés dans la nacelle,
écrit-il, le ballon fut lancé à l’endroit même où j’avais dressé ma
tente ; il était retenu par quatre câbles. Le général en chef Jourdan vint
se placer près de là et me prit pour servir d’appui à sa lunette qu’il plaça
sur mon épaule. À chaque instant, les officiers qui étaient dans la nacelle
jetaient des billets enfermés dans de petits sacs pleins de sable. Le général
en prenait connaissance et, d’après le contenu, donnait ses ordres. »
En 1812, note Chateaubriand dans ses Mémoires
d’outre-tombe, Rostopchine, gouverneur de Moscou, avait imaginé « un
ballon monstrueux, construit à grands frais, devant planer sur l’armée
française, choisir l’empereur entre mille, l’abattre dans une pluie de fer et
de feu. À l’essai, les ailes de l’aérostat se brisèrent ; force fut de
renoncer à la bombe des nuées ». Des historiens récents ont prouvé que le
plan de cet engin avait été dressé par l’Allemand Leppich ; les troupes
napoléoniennes trouvèrent les débris de la machine infernale et un bulletin de
la Grande Armée en publia une description.
L’aviation militaire sombra, de 1812 à 1870, dans le plus
profond oubli. Ce n’est guère que pendant le siège de Paris que le gouvernement
songea à utiliser les ballons, afin de correspondre avec les différentes villes
de France. La plupart de ces ballons partirent de Paris ; leur histoire
est trop connue pour que nous la retracions à nouveau, mais il est intéressant
de noter que c’est en 1870 que fut inventée la D. C. A.
En effet, les Allemands cherchèrent à empêcher les Parisiens
de correspondre avec leur gouvernement et d’en recevoir des instructions. Les
fusils ne portaient pas assez haut pour atteindre avec efficacité les aéronefs,
les canons étaient trop longs à pointer, le fameux inventeur Krupp imagina
alors de monter sur chariot roulant un affût à chandelier, facile à diriger
verticalement et à pointer sur les plus grands angles ; cet affût
supportait un fusil de rempart, dont la portée était assez grande ; un
attelage permettait à cet engin anti-aéronef de se déplacer assez rapidement.
Les quelques renseignements que nous possédons sur cet ancêtre de nos
mitrailleuses contre avions prouvent qu’il ne fit point merveille ; les
ballons continuèrent leur trafic.
C’est également en 1870 que l’on créa les premiers chefs
d’îlots. Des compagnies de guetteurs furent établies dans les quartiers afin de
surveiller du haut des maisons les incendies ; des enfants de douze à quatorze
ans transmettaient aux pompiers les avis des sinistres signalés par les
guetteurs.
Napoléon III n’utilisa pas — l’invention d’un certain
Verneuil qui lui avait présenté un projet fort curieux. Cet inventeur
proposait, en effet, de s’élever en ballon d’un point donné, de foudroyer de
son artillerie aérienne les cibles que l’on voudrait bien lui indiquer, de
diriger sa nacelle au-dessus des Champs-Élysées et enfin de venir l’arrêter aux
Tuileries, devant le pavillon de l’horloge, où il présenterait à l’Empereur le
plan de son idée.
Le souverain ne fit pas attention à ce projet. Quelques
années plus tard, Clément Ader proposait à notre ministère de la Guerre son
invention, qui devait bouleverser tout l’art militaire ; en 1913, dans la
dernière édition de son livre sur l’aviation militaire, le génial inventeur
prévoyait toutes les utilisations possibles de cette arme redoutable, certains
de ses paragraphes sont d’une brûlante actualité ; il ne faisait cependant
que répéter, sans le savoir, les idées émises deux siècles plus tôt, ce qui
prouve que, décidément, il n’y a rien de nouveau sous le soleil ...
Roger VAULTIER.
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