Pour les veneurs, la question de la retrempe par le
fox-hound ou le harrier est depuis longtemps résolue. Lorsqu’on en a usé
discrètement et avec opportunité, on en a obtenu les meilleurs effets. Les
services des étalons étrangers se sont révélés les plus recommandables, le
croisement des étalons français avec les lices étrangères ayant généralement
produit des métis moralement très voisins de la race maternelle. Or, ceci
n’était pas souhaitable, les races françaises de courants étant certainement
supérieures des points de vue nez, gorge, amour de la chasse, perçant au
fourré, etc. ... La doctrine sur ce point est depuis longtemps fixée, et
il n’y a pas lieu d’épiloguer plus avant.
Je ferai aujourd’hui incursion, à propos de croisement, dans
le domaine du chien d’arrêt qui s’est montré le plus souvent réfractaire à
l’idée et beaucoup pour l’avoir mal pratiqué.
Certaines races continentales vraiment trop lourdes,
empâtées, dénuées d’influx nerveux, ou à la fermeté d’arrêt évanouissante,
pouvaient tirer grand bien d’un croisement anglais, les races de chiens d’arrêt
d’outre-Manche ayant été certainement et depuis plus longtemps mieux
sélectionnées que les nôtres. Les qualités brillantes sont leur apanage,
absolument comme elles sont celles de nos chiens français de vénerie.
Lorsqu’on a tenté un croisement dans le monde du chien
d’arrêt, on a fait généralement l’erreur d’aller quérir les services d’un
pointer ou d’un setter aux allures fantastiques. Il en est résulté des produits
ayant grand train parce que mieux faits, avec de meilleurs tissus et un système
nerveux plus excitable, mais ayant conservé sensiblement la puissance olfactive
de leur ascendance maternelle. Or, celle-ci ne se trouve plus proportionnée au
train que peut fournir le métis de premier croisement. Vous avez donc des
chiens déséquilibrés, ayant plus de pied que de nez, destinés à se taper à tout
propos et, pour dire vrai, bons à rien. De là à proclamer qu’on ne pouvait rien
obtenir de bon du croisement avec le chien d’arrêt anglais, il n’y avait qu’un
pas, vite franchi. Il s’est formé autour de cette proposition une sorte de
dogme qu’il faut examiner pour voir tout ce qu’il contient d’erroné.
Si nous parlons pointer, observons d’abord qu’il y a toute
une gamme de pointers, parce que la race est de culture, allant du sujet de
grand sport à celui à peine différencié de la souche ibérique à laquelle la
race doit son goût pour l’émanation directe, le style et la fermeté de son
arrêt. Sans descendre jusqu’à ce modèle lourd, il existe en grande quantité !
et c’est peut-être le plus répandu, un type médioligne doué des meilleures
qualités, certainement le seul désigné pour une alliance améliorante du nez et
du style. C’est évidemment celui-là qu’il fallait rechercher, le croisement
étant ainsi moins heurté à tout point de vue.
On pouvait faire mieux en opérant la retrempe par la femelle
pointer de même modèle moyen, puisque, en définitive, c’est surtout
l’amélioration des caractères distinguant le chien d’arrêt qu’on désire. Il est
certain qu’on l’eût obtenue, car il est de règle générale de demander la qualité
à la femelle de la race la mieux douée.
D’ailleurs, il y a des exemples. Le braque Saint-Germain,
dont l’historique est bien connu, dérive de l’union du braque de taille
réduite, répandu dès longtemps dans la région de Paris que peignirent Desportes
et Oudry et d’une lice pointer aux muqueuses fauves, sous-poil blanc-orange,
dont M. de la Rue et autres ont souvent écrit. Il y a plus de quarante ans, on
voyait de ces jolis chiens dans l’Île-de-France où ils étaient nombreux. Je les
ai étudiés à l’œuvre ; ils avaient beaucoup de style d’arrêt du pointer et
un physique certainement marqué de même. Les années passant et les théories
changeant, nous vîmes cet élégant personnage tourner au modèle « bien
braque », cher à une école, c’est-à-dire plus épais et plus ou moins
oreillard. Il n’y gagna sans doute pas beaucoup de vertus nouvelles, puisqu’un
président averti a depuis redonné le coup de barre vers la tradition ancienne,
la bonne assurément. Ayant jadis, en Seine-et-Oise, suivi quelques jolis sujets
de ce modèle, je puis affirmer leurs qualités de nez et d’arrêt, signes de
l’amélioration apportée par l’ancêtre « Miss » à sa descendance.
Plus près de notre temps, un chien que je connais bien,
c’est l’épagneul Breton, tant celui de 1900 que le moderne. Le dernier, chien
de plaine bien supérieur à l’ancien, a subi une transformation, un peu par
hasard, et une heureuse transformation du fait d’une alliance avec une setter
anglaise, au début de ce siècle. Le sportsman, fort averti et cultivé, chez qui
advint l’événement, comprit le parti qu’on pouvait en tirer. Les élevages dits
de Fougères, sous l’inspiration de ce sportsman, le bien connu vicomte de Pontavice,
eurent immédiatement grand renom. Depuis, cette famille s’est perpétuée dans
les chenils les plus réputés sous divers affixes, maintenant ses vertus et
vivant exemple.
Sans qu’on sache exactement comment il a été procédé, il est
certain que la race pointer a influé sur la transformation du braque allemand,
autrefois si proche de notre braque de modèle lourd. Cette modification de la
race allemande a eu pour conséquence d’en provoquer la diffusion dans tous les
pays et particulièrement chez nous. Elle n’a donc rien perdu à ce croisement.
Le braque à poil dur moderne d’outre-Rhin, le drathaar, très estimé dans son
pays et dans nos provinces de l’Est, semble bien une transformation de l’ancien
stichelhaar, dans laquelle, avec d’autres éléments, le pointer a dit son mot.
En opérant suivant les règles, la preuve est faite du parti
qu’on tirera avec certitude du sang pointer judicieusement employé, quand on
voudra confirmer dans une race les caractères qui constituent le quid proprium
du chien d’arrêt, ou lui en conférer les attitudes et le style, si différents
des attitudes et du style du chien courant. Le braque à l’aspect corniaudé, aux
oreilles longues et roulées, ayant grande tendance à pister, ne peut que gagner
en s’alliant avec lui, sans perdre ses vertus de retriever. Voyez le braque
allemand moderne, qui n’a plus rien du faciès du corniaud, si habile suiveur de
pistes, cependant.
Les préventions qu’on a pu nourrir en France contre
l’utilisation du sang pointer ne sont justifiées que par le mauvais emploi
qu’on en a fait. Il est quelques bons remèdes, mais il faut savoir aussi s’en
servir.
L’épagneul, quel qu’il soit, étant entité fort différente,
on ne saurait en recommander l’alliance avec un autre élément. Le setter
anglais a été positivement défiguré par le croisement sans doute répété avec le
pointer. Son physique, ses allures, son caractère en ont été modifiés, sans que
pour autant il ait réussi, en trials, à égaler en général le concurrent auquel
on l’opposait.
Sans doute il y a bien quelques races épagneules
continentales où le poids et l’excès de taille ont exercé leur ravage ;
mais, parmi elles, demeureraient des familles mieux partagées permettant de
corriger les erreurs d’orientation. C’est ainsi que les épagneuls français trop
volumineux et à tête carrée ont été éliminés, sans aucun recours au croisement.
Anciennement surtout il y eut de ces croisement entre le
setter anglais (que le vulgaire s’obstine à nommer laverack) et nos épagneuls.
Le setter non pointérisé était un autre chien, moralement différent, plus
souple dans ses allures coulantes, comme de caractère. Il était très épagneul,
présentant beaucoup d’affinités avec les autres membres de cette vaste tribu.
Toujours est-il, et sans doute pour ce motif, que j’ai vu réussir heureusement
ces mariages entre épagneuls des deux rives de la Manche, en quelque race que
fût pris l’étalon. Cela se passerait-il aussi bien maintenant que le setter est
de nature moins épagneule que jadis ? Il est permis de faire des réserves.
Mais, enfin, en cherchant bien l’objet convenable, sans doute, trouverait-on
celui aussi pareil que possible au modèle ancien.
J’habite un département où ces alliances avec le setter
anglais et les épagneuls de pays, rappelant beaucoup l’épagneul français, ont
été autrefois très pratiquées. On les a si souvent répétées, que les pseudo-setters
qu’on rencontre dans les bourgades en proviennent pour la plupart. Ce sont
d’excellents serviteurs, mais, évidemment, ils ne peuvent prétendre représenter
une race définie. Il est même regrettable d’avoir vu disparaître cette variété
de l’épagneul français un peu réduite en taille, mais atteignant encore 0m,55
en moyenne. Elle présentait un influx nerveux plus confirmé que le prototype et
se trouvait bien adaptée au milieu cynégétique.
Cette aventure illustre l’erreur qu’il y a à faire un
croisement lorsque la nécessité ne s’en impose pas. Quant à transformer un
cheptel par croisement de substitution, il faut se demander s’il y a vraiment
avantage à entreprendre l’opération. Elle ne se conçoit que dans le cas où la
race à éliminer est en décadence, sinon c’est une folie.
Les amateurs de courants ont très habilement joué de la
retrempe, n’y recourant qu’en cas de nécessité et sachant la doser. C’est ainsi
qu’avec des éléments plus ou moins volumineux, manquant d’allant pour prendre,
ils ont réalisé des anglo-français pour le courre du lièvre autrement efficaces
que ne le sont les représentants de la souche française pure.
On a donc corrigé de mauvaises orientations données par des
standards plus soucieux de réaliser des reconstitutions archéologiques que de
rechercher l’adaptation.
Le monde du chien d’arrêt suit plus lentement le mouvement.
Au siècle dernier, nous avons vu chouchouter amoureusement deux braques énormes
et avérément corniaudés. Si, depuis quarante ans, nous n’exportons pas plus les
si admirables chiens que sont les braques français et d’Auvergne, c’est qu’en
beaucoup de cas ils n’ont pas encore suivi le mouvement qui veut l’allégement
des races lourdes. L’exemple du succès du néo-braque de l’Europe centrale et de
nos provinces de l’Est devrait ouvrir les yeux. À cela, l’école traditionaliste
répond qu’une modification de la physionomie choquerait ses conceptions
esthétiques, qu’il lui serait pénible de renoncer aux habitudes des pères
grands. Ce sont des considérations sentimentales respectables, mais qui,
appliquées comme doctrine, peuvent entraîner les pires conséquences. Si vous ne
faites pas un chien réclamé par une clientèle nombreuse dispersée sur de vastes
contrées, vous élevez chichement en réduisant les chances de survie de la race.
Dame Nature, qui fait volontiers du luxe pour perpétuer la vie, aime les gros
bataillons.
Pour qu’une race tienne, il lui faut grand nombre de
représentants, nombreux en raison de la demande dont ils sont l’objet, donc en
état d’adaptation constante, donc d’évolution. Tous les moyens sont bons qui la
réalisent, puisque c’est la vie qu’il importe de maintenir, non l’état de
pureté chimique et chimérique auquel tant de sacrifices ont été consentis.
R. de KERMADEC.
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