La bonne méthode.
— Nous avons fait observer, le mois dernier, combien il
pouvait être néfaste, pour la réussite de la pêche, d’inonder de graines
d’amorce, dès le début, l’espace de rivière où l’on se propose de pêcher à la
coulée !
Tout autre sera la façon de procéder du pêcheur expert, de
celui qui connaît son affaire.
Ce dernier, en effet, ne lance sur son coup que de très
faibles quantités de graines à la fois, une simple pincée, mais il renouvelle
le geste presque à chacun des jets de sa ligne.
Les gardons, tenus en alerte par cet apport continuel et
régulier de peu d’appâts ensemble, qui descendent de conserve dans l’eau avec
une certaine lenteur, s’empressent de quitter le fond pour se porter à leur
rencontre.
La présence de la graine esche, voguant au milieu d’un
groupe restreint, ne leur échappe pas souvent, et ils s’en emparent avec
d’autant moins d’appréhension qu’elle ressemble absolument aux autres, aussi
bien par la forme que par l’allure.
Peut-être existe-t-il, à cette façon d’agir, un petit
inconvénient, c’est que, très souvent, le gardon n’attend pas pour s’emparer de
la graine fixée à l’hameçon que la ligne soit complètement tendue et la saisit
entre deux eaux pendant sa descente. Mais il n’est pas grave et le pécheur
averti y pallie en ne ferrant qu’à bon escient, quand l’antenne de sa fine
plume commence à disparaître sous l’eau.
Les malins ne se contentent pas de cette seule manœuvre. Ils
exécutent des « relâchés » non seulement à l’extrémité aval de leur
coup, mais encore à tout autre endroit de la coulée et souvent presque dès son
début.
Il est facile de comprendre que nos poissons, habitués à
voir descendre constamment des graines et à s’en saisir entre deux eaux,
prendront plus volontiers les esches animées d’un mouvement semblable que
celles qui dérivent en restant au même niveau.
Ces fins pêcheurs ont encore bien d’autres cordes à leur
arc.
De temps à autre, on les voit relever verticalement leur
ligne avec une certaine lenteur presque jusqu’à la surface et la laisser
ensuite redescendre sans la retenir.
L’effet produit est à peu près le même que celui du
« relâché », mais l’amplitude de la course verticale de l’esche est
plus grande.
Ils emploient aussi volontiers le procédé cher aux pêcheurs
à la dandinette, c’est-à-dire un relevage bref et rapide de l’esche sur une
très courte distance, 15 à 20 centimètres seulement.
Il est permis de supposer, dans ce cas, que pareille allure,
anormale pour un appât végétal, trompe le gardon qui croit se trouver en
présence d’un des nombreux animalcules aquatiques évoluant dans son milieu et
c’est probablement la simple curiosité qui le fait s’en saisir ;
néanmoins, la manœuvre réussit souvent, il est bon de s’en souvenir.
Enfin, ces pêcheurs avisés peuvent être amenés à changer à
plusieurs reprises le niveau de l’esche quand ils ont constaté que les gardons
ont tendance à remonter du fond et à se tenir de préférence entre deux eaux
pour s’emparer des appâts qui descendent, avant qu’ils reposent sur le sol même
du cours d’eau où leur recherche serait plus laborieuse.
C’est ainsi que, sur un fond de trois mètres, ils pécheront
assez souvent avec deux mètres ou même un mètre cinquante seulement de distance
entre flotteur et hameçon, quittes à modifier cette longueur si le poisson se
reprend à descendre.
S’il arrive que, malgré toutes ces précautions et moyens
factices pratiqués avec maestria, les gardons continuent à se montrer de plus
en plus réticents, nos maîtres pêcheurs n’hésitent pas à recourir à des lignes
encore plus fines et plus sensibles.
En diminuant le calibre du bas de ligne et de l’avancée ils
diminueront en même temps la résistance que ces racines, apparemment encore
trop grosses, opposaient au déplacement, en milieu liquide.
En augmentant le plombage de quelques menus grains, ils
arriveront à faire que leur flotteur n’apparaisse pour ainsi dire plus en
surface, l’extrémité seule de l’antenne rasant le niveau de l’eau.
Dans ce cas, la résistance de ce flotteur au tirage du
poisson qui saisit l’esche devient à peu près nulle, et ce dernier a l’illusion
d’avoir gobé une graine libre, lentement charriée par le courant ; il ne
cherche plus alors à la souffler.
On comprend, toutefois, que tous les pêcheurs et surtout les
partisans des anciennes méthodes de pêche n’aiment guère cela, car il devient
nécessaire d’apporter une attention beaucoup plus soutenue à la marche du
flotteur qui, seule, permettra de distinguer les touches et de les différencier
d’un vulgaire accrochage sur le fond.
Et, si, maintenant, nous assurions aux débutants que les
précautions prises par ces habiles pêcheurs ne se bornent pas là, ils
trouveraient sans doute que nous exagérons un peu.
Il arrive, en effet, que les bons résultats obtenus de la
pêche ainsi pratiquée se poursuivent pendant quelques jours ; c’est le cas
surtout quand le pêcheur ne vient opérer sur son coup amorcé qu’une ou deux
fois par semaine.
Mais, dans les cours d’eau où de très nombreux pêcheurs
amorcent et pêchent à la graine, il n’est pas très rare de voir se produire des
périodes d’accalmie de rendement, pendant lesquelles les prises se raréfient
énormément et peuvent même devenir nulles pour celui qui occupe le même coup de
façon permanente.
Sans qu’il y ait vraiment gavage, le poisson, à la longue,
se lasse de la graine et la délaisse pour un certain temps.
Que diriez-vous, chers confrères, s’il vous était présenté
tous les jours, à table, du civet de lièvre, des bécasses sur canapé ou même de
simples grives rôties ?
M’est avis qu’au bout d’une quinzaine de ce régime le gibier
deviendrait pour vous un objet d’horreur et que vous béniriez votre cuisinière
de vous apporter, le seizième jour, un vulgaire mais excellent pot-au-feu.
À un degré moindre, c’est entendu, il est cependant certain
que le poisson se dégoûte aussi d’être toujours rassasié de la même pitance.
C’est alors que les vieux renards de la pêche, constatant la
pénurie de touches sans conclure à l’exode général du poisson, recourent à
d’autres esches pendant quelques séances.
Volontiers, ils présenteront aux gardons faisant la fine
bouche du blé cuit, des asticots, de tout petits vers rouges de fumier, des
boulettes de pâte aromatisée, voire de petits cubes de sang caillé, après avoir
mêlé un peu de tout cela à leur amorce.
Il est alors possible que nos poissons, repus de chènevis,
mais non dénués cependant de tout appétit, mordent avec entrain à ce nouveau
menu.
Au bout d’un certain temps, après avoir accepté avec plaisir
cette nourriture variée, ils reviendront à leur appât favori et le pêcheur
recommencera à pêcher à la graine avec le même succès qu’auparavant ; il
faut, n’est-il pas vrai ? savoir varier les plaisirs.
En nous lisant, certains pêcheurs novices se diront que
c’est là une pêche bien compliquée, bien ardue, bien difficile et que peut-être
il vaudrait mieux la laisser de côté pour d’autres plus aisées.
Au nom du Ciel, chers confrères débutants, ne pensez pas
ainsi et essayez-la sans prévention aucune.
Vos essais seront peut-être hésitants ; vous serez
parfois un peu embarrassés ; n’y prenez pas garde et, comme le fameux
nègre, continuez.
En y prêtant toute votre attention, en y mettant du vôtre,
en suivant nos modestes conseils et ceux, infiniment plus précieux, de quelque
« as » du métier qui voudra bien vous prodiguer les siens, vous
verrez peu à peu s’accroître votre expérience, augmenter votre habileté et,
comme le forgeron en forgeant, vous arriverez à acquérir une maîtrise certaine
à cette pêche délicate, rémunératrice et agréable, qu’un auteur moderne a pu
appeler, sans exagération : « la plus perfectionnée de toutes les
pêches au coup ».
R. PORTIER.
(1) Voir Chasseur Français d’octobre 1941 et suivants.
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