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La pêche à la graine

L’action de pêche (1).

La bonne méthode.

— Nous avons fait observer, le mois dernier, combien il pouvait être néfaste, pour la réussite de la pêche, d’inonder de graines d’amorce, dès le début, l’espace de rivière où l’on se propose de pêcher à la coulée !

Tout autre sera la façon de procéder du pêcheur expert, de celui qui connaît son affaire.

Ce dernier, en effet, ne lance sur son coup que de très faibles quantités de graines à la fois, une simple pincée, mais il renouvelle le geste presque à chacun des jets de sa ligne.

Les gardons, tenus en alerte par cet apport continuel et régulier de peu d’appâts ensemble, qui descendent de conserve dans l’eau avec une certaine lenteur, s’empressent de quitter le fond pour se porter à leur rencontre.

La présence de la graine esche, voguant au milieu d’un groupe restreint, ne leur échappe pas souvent, et ils s’en emparent avec d’autant moins d’appréhension qu’elle ressemble absolument aux autres, aussi bien par la forme que par l’allure.

Peut-être existe-t-il, à cette façon d’agir, un petit inconvénient, c’est que, très souvent, le gardon n’attend pas pour s’emparer de la graine fixée à l’hameçon que la ligne soit complètement tendue et la saisit entre deux eaux pendant sa descente. Mais il n’est pas grave et le pécheur averti y pallie en ne ferrant qu’à bon escient, quand l’antenne de sa fine plume commence à disparaître sous l’eau.

Les malins ne se contentent pas de cette seule manœuvre. Ils exécutent des « relâchés » non seulement à l’extrémité aval de leur coup, mais encore à tout autre endroit de la coulée et souvent presque dès son début.

Il est facile de comprendre que nos poissons, habitués à voir descendre constamment des graines et à s’en saisir entre deux eaux, prendront plus volontiers les esches animées d’un mouvement semblable que celles qui dérivent en restant au même niveau.

Ces fins pêcheurs ont encore bien d’autres cordes à leur arc.

De temps à autre, on les voit relever verticalement leur ligne avec une certaine lenteur presque jusqu’à la surface et la laisser ensuite redescendre sans la retenir.

L’effet produit est à peu près le même que celui du « relâché », mais l’amplitude de la course verticale de l’esche est plus grande.

Ils emploient aussi volontiers le procédé cher aux pêcheurs à la dandinette, c’est-à-dire un relevage bref et rapide de l’esche sur une très courte distance, 15 à 20 centimètres seulement.

Il est permis de supposer, dans ce cas, que pareille allure, anormale pour un appât végétal, trompe le gardon qui croit se trouver en présence d’un des nombreux animalcules aquatiques évoluant dans son milieu et c’est probablement la simple curiosité qui le fait s’en saisir ; néanmoins, la manœuvre réussit souvent, il est bon de s’en souvenir.

Enfin, ces pêcheurs avisés peuvent être amenés à changer à plusieurs reprises le niveau de l’esche quand ils ont constaté que les gardons ont tendance à remonter du fond et à se tenir de préférence entre deux eaux pour s’emparer des appâts qui descendent, avant qu’ils reposent sur le sol même du cours d’eau où leur recherche serait plus laborieuse.

C’est ainsi que, sur un fond de trois mètres, ils pécheront assez souvent avec deux mètres ou même un mètre cinquante seulement de distance entre flotteur et hameçon, quittes à modifier cette longueur si le poisson se reprend à descendre.

S’il arrive que, malgré toutes ces précautions et moyens factices pratiqués avec maestria, les gardons continuent à se montrer de plus en plus réticents, nos maîtres pêcheurs n’hésitent pas à recourir à des lignes encore plus fines et plus sensibles.

En diminuant le calibre du bas de ligne et de l’avancée ils diminueront en même temps la résistance que ces racines, apparemment encore trop grosses, opposaient au déplacement, en milieu liquide.

En augmentant le plombage de quelques menus grains, ils arriveront à faire que leur flotteur n’apparaisse pour ainsi dire plus en surface, l’extrémité seule de l’antenne rasant le niveau de l’eau.

Dans ce cas, la résistance de ce flotteur au tirage du poisson qui saisit l’esche devient à peu près nulle, et ce dernier a l’illusion d’avoir gobé une graine libre, lentement charriée par le courant ; il ne cherche plus alors à la souffler.

On comprend, toutefois, que tous les pêcheurs et surtout les partisans des anciennes méthodes de pêche n’aiment guère cela, car il devient nécessaire d’apporter une attention beaucoup plus soutenue à la marche du flotteur qui, seule, permettra de distinguer les touches et de les différencier d’un vulgaire accrochage sur le fond.

Et, si, maintenant, nous assurions aux débutants que les précautions prises par ces habiles pêcheurs ne se bornent pas là, ils trouveraient sans doute que nous exagérons un peu.

Il arrive, en effet, que les bons résultats obtenus de la pêche ainsi pratiquée se poursuivent pendant quelques jours ; c’est le cas surtout quand le pêcheur ne vient opérer sur son coup amorcé qu’une ou deux fois par semaine.

Mais, dans les cours d’eau où de très nombreux pêcheurs amorcent et pêchent à la graine, il n’est pas très rare de voir se produire des périodes d’accalmie de rendement, pendant lesquelles les prises se raréfient énormément et peuvent même devenir nulles pour celui qui occupe le même coup de façon permanente.

Sans qu’il y ait vraiment gavage, le poisson, à la longue, se lasse de la graine et la délaisse pour un certain temps.

Que diriez-vous, chers confrères, s’il vous était présenté tous les jours, à table, du civet de lièvre, des bécasses sur canapé ou même de simples grives rôties ?

M’est avis qu’au bout d’une quinzaine de ce régime le gibier deviendrait pour vous un objet d’horreur et que vous béniriez votre cuisinière de vous apporter, le seizième jour, un vulgaire mais excellent pot-au-feu.

À un degré moindre, c’est entendu, il est cependant certain que le poisson se dégoûte aussi d’être toujours rassasié de la même pitance.

C’est alors que les vieux renards de la pêche, constatant la pénurie de touches sans conclure à l’exode général du poisson, recourent à d’autres esches pendant quelques séances.

Volontiers, ils présenteront aux gardons faisant la fine bouche du blé cuit, des asticots, de tout petits vers rouges de fumier, des boulettes de pâte aromatisée, voire de petits cubes de sang caillé, après avoir mêlé un peu de tout cela à leur amorce.

Il est alors possible que nos poissons, repus de chènevis, mais non dénués cependant de tout appétit, mordent avec entrain à ce nouveau menu.

Au bout d’un certain temps, après avoir accepté avec plaisir cette nourriture variée, ils reviendront à leur appât favori et le pêcheur recommencera à pêcher à la graine avec le même succès qu’auparavant ; il faut, n’est-il pas vrai ? savoir varier les plaisirs.

En nous lisant, certains pêcheurs novices se diront que c’est là une pêche bien compliquée, bien ardue, bien difficile et que peut-être il vaudrait mieux la laisser de côté pour d’autres plus aisées.

Au nom du Ciel, chers confrères débutants, ne pensez pas ainsi et essayez-la sans prévention aucune.

Vos essais seront peut-être hésitants ; vous serez parfois un peu embarrassés ; n’y prenez pas garde et, comme le fameux nègre, continuez.

En y prêtant toute votre attention, en y mettant du vôtre, en suivant nos modestes conseils et ceux, infiniment plus précieux, de quelque « as » du métier qui voudra bien vous prodiguer les siens, vous verrez peu à peu s’accroître votre expérience, augmenter votre habileté et, comme le forgeron en forgeant, vous arriverez à acquérir une maîtrise certaine à cette pêche délicate, rémunératrice et agréable, qu’un auteur moderne a pu appeler, sans exagération : « la plus perfectionnée de toutes les pêches au coup ».

R. PORTIER.

(1) Voir Chasseur Français d’octobre 1941 et suivants.

Le Chasseur Français N°606 Février 1942 Page 82