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Le travail dans une ferme

Un jour de beau temps, c’est le travail aux champs ; on remue la terre, on la façonne, on récolte suivant les saisons, après ensemencement et plantation : sur ces travaux de la culture aux champs, la documentation est abondante, les tableaux des agendas, des livres divers donnent en ares et centiares les surfaces travaillées et, là-dessus, on fait des calculs sur les attelées nécessaires, sur le calendrier des opérations.

Une ombre : les renseignements valent pour les conditions moyennes et l’on a l’impression qu’ils se rapportent à des époques où l’exécution était en assez intime concordance avec la conception. D’ailleurs, ceux qui ont parcouru quelques-unes des régions de notre pays ont pu faire à ce sujet de curieuses observations.

La notion du système métrique a été précédée de bases variées pour la désignation des unités de surface : le journal, l’arpent, la bosselée, etc. ; en étudiant ces unités anciennes de plus près, on constate tout d’abord que rapportées, en ares, elles varient d’un terroir à l’autre. Si la question est fouillée, un fait intéressant est révélé, la surface du journal variait tout simplement parce que, le journal correspondant à la superficie labourée, celle-ci variait de quelques centiares en raison de la nature du sol. Ce serait un joli sujet d’études que d’entreprendre un rapprochement entre l’analyse mécanique des terres, leurs propriétés physiques et l’étendue des mesures anciennes.

Au lieu de considérer l’étendue travaillée, on partait ailleurs de la surface correspondant à une quantité déterminée de semence : bosselée, boisseau ; ainsi se préciserait encore l’aptitude des terres à demander plus ou moins de semences : tallage variable, semences perdues par l’état physique moyen au moment de la semaille, etc.

On est donc parti de ces anciennes mesures, des moyennes ont été établies, mais faudrait-il tenir compte encore de la longueur des rayages, du temps consacré aux tournées ... et au reste ; combien la confection des cigarettes ne fait-elle pas passer de temps au moment de changer de sillon ou de mettre de la graine dans le semoir. Pour remédier à ces pertes de temps qui alourdissent le travail agricole et l’allongent sans fin sur des journées qui pourraient être plus courtes si mieux employées, on a songé aux primes. Idée ingénieuse applicable à la grande exploitation, à la très grande même, dotée de personnel subalterne qui mesure, compte et écrit.

C’est alors que l’on se réjouit de voir la France posséder une forte structure de petits et moyens exploitants pour lesquels l’encouragement direct est plus substantiel et ne demande pas de calculs. Que l’on ne croie pas cependant que la solution du problème dont quelques aspects sont envisagés aujourd’hui, consiste dans la division du sol de la France en éléments de cette importance. Il semblerait puéril de morceler la Brie, la Beauce, le Soissonnais, même une partie du Berry, du Languedoc, de la Champagne ; la dimension des exploitations ne résulte pas de la fantaisie des hommes, ni de la conception politico-économique du moment ; elle découle d’une adaptation due aux siècles entre les moyens de travail, les conditions du milieu et la nature des produits obtenus. On peut toujours artificiellement faire tout ce que l’on veut, reste à savoir où se trouve le profit social.

Jour de pluie, on hésite tout d’abord, car instinctivement l’homme de la terre n’est à l’aise que dehors et c’est peut-être lui qui a dit le premier « Pluie du matin n’arrête pas le pèlerin ». La pluie persiste. Que va-t-on faire ? Il y a des grains à soigner dans les magasins, du battage à effectuer, des machines, des véhicules à mettre en ordre ; même pour les chefs d’exploitation, petits et grands, quelques écritures à régulariser ; en ce moment, il faudrait même s’enfermer les jours de beau temps pour satisfaire à ces obligations dont on annonce la simplification.

Pour les jours de vrai mauvais temps, il faudrait un plan de petits aménagements intérieurs. Les artisans se sont raréfiés, le prix de l’heure est à un taux élevé chez eux ; une jolie solution serait de se mettre peu à peu à ces menus travaux, travaux d’entretien, qui, entre des mains adroites, évoluent bientôt vers les travaux neufs. Évidemment, ces lignes ne sont pas spécialement écrites pour le printemps 1942 : les matériaux de construction ont disparu, il ne s’agit que d’heureux privilégiés ou de matière à réflexion. Ce que l’on a fait soi-même prend plus de valeur, paraît mieux exécuté, plus utile. Quelles perspectives même pour les ouvriers d’une exploitation importante qui mettront un peu d’eux-mêmes dans ce travail qui demeure, alors que le grain, le fourrage ou la racine se sont transformés.

Ainsi s’opposent au point de vue de la conception du travail à la ferme, ces deux aspects résultant de l’influence directe du temps. Seulement, ce qui est ainsi bien balancé reste l’exception et ce sont des choses heurtées qui s’inscrivent sur l’agenda de celui qui est curieux de noter ce qu’il fait au jour le jour. Élargissant ces vues, nous constatons alors que le travail à la ferme se classe en trois grandes divisions : le travail des champs proprement dit, le travail d’intérieur proprement dit et, entre les deux, la circulation des produits. Une étude attentive du sujet révèle que le premier groupe, celui qui attire les débutants, qui retient l’attention des calculateurs de prix de revient, est le groupe le plus maniable, le moins coûteux, d’autant qu’il est réellement productif.

Le travail à l’intérieur est objet de passe-temps, ce sont des journées qui coûtent cher et rendent peu. Enfin, les transports méritent une mention sérieuse ; généralement, leur exécution pèche par quelque défaut ; on attend au départ ou à l’arrivée des véhicules ; la matière à transporter est de faible densité, et il faut des journées interminables pour arriver au bout de la sortie ou de la rentrée. À cet égard, il y a quelque chose à chercher pour gagner du temps ; les assolements ne sont pas toujours établis en considération de ce facteur et le dispositif des champs demanderait à être remanié. Il est sage de se pencher sur ces problèmes, car de leur bonne solution dépend largement le succès final.

L. BRÉTIGNIÈRE,

Ingénieur agricole.

Le Chasseur Français N°606 Février 1942 Page 100