Le capitaine Buer, qui m’a précédé dans la rédaction de
cette rubrique, vous a parlé de l’achat d’une bonne laitière. Les
circonstances exigent que l’on revienne quelque peu sur ce sujet :
circonstances qui ont incité beaucoup de personnes à élever une chèvre, animal
dédaigné en temps ordinaire, vache du pauvre et, dirions-nous, des temps
de restrictions !
Les ressources caprines de France n’étant pas mises en
valeur, la pénurie de sujets disponibles a causé bien des déceptions. Les
acheteurs ont à effectuer de longues recherches et à payer « un bon
prix » pour qu’une chevrière finisse par leur céder une de ses bêtes
chéries. Les difficultés ne doivent pas cependant les décourager ; qu’on
attende la belle saison pour acheter au sevrage une future laitière. Avant de
vous présenter quelques remarques qui seront donc d’actualité, nous vous
transmettons ces quelques lignes, qui nous ont été communiquées au mois de mai
1941 par le Directeur des Services ruraux du Secours national :
« L’importance de l’élevage caprin ne nous a
certainement pas échappé, mais, actuellement, cet élevage n’a qu’un avantage
réduit, étant donné le manque de boucs. »
Il sera donc indispensable, au printemps prochain, de garder
les jeunes boucs au lieu de les envoyer à la boucherie. Si vous désirez acheter
un étalon, n’attendez pas l’époque de l’accouplement. Dans l’élevage caprin,
l’importance du mâle en tant que reproducteur implique un choix réfléchi :
sujet parfait ou presque et âgé d’au moins quinze mois.
Si vous entendez parler de bouquetin, ne pensez pas
au sens propre du mot qui désigne d’abord un habitant des Hautes-Alpes ;
il s’agit tout simplement d’un jeune bouc ! Après tout, bosquet faisant
boqueteau, bouquetin peut bien faire le diminutif de bouc.
C’est en général par relations ou par petites annonces que
l’on achète une chèvre. Les offres ou demandes par le journal renseignent sur
le peu de connaissance que l’on a souvent quant aux mœurs de l’animal que l’on
désire se procurer.
Sachez bien que l’élevage de la chèvre est saisonnier,
c’est-à-dire que l’homme est obligé de suivre la nature, laquelle fait naître
les chevreaux au printemps. Ne demandez donc pas au mois de mai une chèvre en
gestation ! Vous seriez presque certain de ne pas obtenir satisfaction. Du
reste, les mères sont en ce moment en plein rendement, et l’intérêt des
éleveurs n’est pas de les céder. Autre exemple d’annonce anachronique :
demander vers octobre une chèvre en pleine lactation. C’est là le moment précis
où l’on constate une baisse et même un arrêt dans la production laitière et où
les femelles sont menées au bouc. L’automne est donc l’époque favorable à
l’achat d’une chèvre, qu’elle donne moins de lait ou vienne d’être saillie.
Dans cette circonstance, comme d’ailleurs, en général, évitez tout ce qui
pourrait provoquer un avortement, accident se produisant facilement chez la
chèvre. Le voyage d’une chèvre en lait n’est pas moins délicat : meilleure
laitière est la chèvre et plus le voyage sera long, plus il y aura lieu de
craindre une mammite, surtout si la traite n’a pas pu être effectuée.
La population de certaines régions suisses passe une partie
de l’année en montagne, l’autre en plaine. Dans cette transhumance humaine, le
bétail suit évidemment son propriétaire, vaches à pied et chèvres en chariots.
Mais ce changement de domicile ne fait pas tarir le lait de la gent caprine,
qui, disons-le, déambule ainsi à toute petite allure ... Ceci pour
reconnaître que tout voyage ne sera pas nécessairement cause d’avortement ou de
mammite.
L’acheteur éventuel d’une chèvre devra au besoin se
restreindre dans ses désirs esthétiques ; qu’il sache avant tout ce qu’il
veut. Si c’est un lait bon et abondant, il atteindra ce but sans s’encombrer
d’exigences superflues. Quant à rechercher longuement et à grands frais des
animaux vivant sous un climat différent comme la chèvre de Murcie ou d’origine
plus lointaine encore, Nubienne ou Maltaise, ce n’est pas raisonnable, sans
compter que vous ne les trouverez pas ! Il y a, par contre, en France, des
chèvres de Syrie bien acclimatées, dont nous reparlerons prochainement. Ne
cherchez pas tant une race au nom flatteur qu’un bon sujet.
Vouloir à tout prix une chèvre blanche n’a pas plus de
raison d’être. Non seulement cette couleur n’a aucune influence sur la quantité
et la qualité du lait, mais elle est plus difficile à garder intacte.
On comprend bien, par contre, qu’une demande de chèvres sans
cornes peut être motivée par la crainte d’accidents. Cette mesure de prudence
ne doit pas inciter les éleveurs à rejeter tous les sujets nés cornus. Il est
si simple d’empêcher les cornes de pousser en cautérisant l’emplacement où
elles doivent sortir ou d’écorner les chevreaux dont les cornes sont déjà
sorties. En cherchant à obtenir, par sélection uniquement, des sujets blancs
(albinos) et sans cornes (mottes), vous commettez une faute grave. La
généralisation d’un caractère qui n’est en principe qu’accidentel ne vous
donnera, à la longue, que des sujets dégénérés et lymphatiques.
Il est prudent, lorsque vous cherchez à vous procurer par le
moyen d’annonces un sujet jeune, de préciser son âge : six, douze mois,
etc. ... ; à quinze mois, en effet, boucs et chèvres sont jeunes.
On achètera les chevreaux et les chevrettes que l’on désire
élever après le sevrage ; ils seront ainsi moins susceptibles aux
changements de régime. Ceci est très important pour ceux qui ont été élevés au
pis et qui ne prendront le biberon que de force ; ils profiteront
mal ; souvent leur élevage sera en partie manqué.
Le nouvel acquéreur d’une chèvre désire obtenir chaque jour
une quantité de lait capable de satisfaire tout ou partie de ses besoins ;
il a donc besoin d’une « bonne laitière », laitière signifiant
chèvre en lactation. Ne vous leurrez pas en exigeant un minimum de production
quotidienne, surtout si ce chiffre est par lui-même déjà excellent (4 litres
par jour).
Dès son arrivée, accueillez bien votre chèvre, faites-lui
sentir que les soins ne lui feront pas défaut. Elle s’y connaît. En
conséquence, préparez-lui une bonne litière et un repas composé des aliments qu’elle
préfère. Si vous savez lui inspirer confiance, son lait coulera sans
retenue ...
Maintenant, vous avez tout le temps pour vous décider à
acheter une chèvre de bon rapport.
Mais n’est-il pas toujours bon de s’y prendre à temps, même
pour l’achat d’une bique ?
Ch. KRAFFT DE BOERIO.
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