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Causerie vétérinaire

Les intoxications alimentaires chez le cheval.

On donne le nom d’intoxications alimentaires à l’ensemble des accidents qui se produisent à la suite de l’ingestion d’aliments altérés, de plantes ou de graines vénéneuses ou de l’absorption exagérée de substances médicamenteuses ou chimiques. Dans les pages suivantes, on n’envisagera que les intoxications d’origine végétale, observées uniquement chez les Équidés domestiques : cheval, âne et mulet.

Si l’on dit souvent que les animaux herbivores, guidés par leur instinct, ne touchent point aux plantes qui peuvent les incommoder et que si, par hasard, ils en mangent avec leurs aliments habituels, ils n’en prennent jamais suffisamment pour faire naître des symptômes alarmants, cette assertion n’est point conforme à la vérité, ainsi que de nombreuses observations que nous relaterons au cours de cette étude le prouveront.

Il est cependant un fait que chacun peut constater, c’est que, dans les pâturages suffisamment riches et non trop peuplés, les animaux qui ne sont pas poussés par la faim et qui ont ainsi le choix de leur alimentation sont heureusement guidés par un instinct assez sûr, qui leur fait généralement s’écarter d’un grand nombre de plantes toxiques. C’est d’ailleurs un moyen excellent pour l’herbager d’apprendre à connaître les mauvaises plantes ; il lui suffira d’examiner les touffes ou les endroits délaissés dans les pâturages ; il y trouvera principalement le séneçon de Jacob, les euphorbes, le colchique d’automne, le millepertuis, les renoncules, etc. ..., toutes plantes que les animaux n’ingèrent pas, en raison vraisemblablement de l’odeur et de la saveur désagréable qu’elles possèdent.

Cette éducation protectrice des herbivores, qui semble acquise de bonne heure par les jeunes animaux, peut se trouver en défaut dans tous les cas où l’alimentation est insuffisante en quantité et en qualité, ou encore lorsque les animaux sont mis en présence de plantes nouvelles pour eux, telles que des plantes ornementales, toxiques (if, rhododendrons, cytise, etc.). Parfois même, c’est l’homme qui provoque les intoxications en distribuant sans discernement, dans le râtelier, des sarclures de jardin ou de foins mauvais contenant des plantes toxiques quoique desséchées (prêle, colchique). Enfin, les grains distribués peuvent être accompagnés en trop fortes proportions de graines messicoles toxiques, telles que nielle, ivraie enivrante, etc., que les animaux laissent normalement au fond de la mangeoire, mais qu’ils finissent par ingérer lorsqu’ils sont poussés par la faim ; c’est alors que surviennent les accidents.

Parmi les causes qui font varier l’activité des plantes vénéneuses, l’espèce zoologique qui ingère ces végétaux doit être signalée au premier rang. Si l’on voulait appuyer de deux exemples les différences de sensibilité d’espèces diverses vis-à-vis d’un même poison, la belladone et l’if les fourniraient aisément. C’est ainsi que la belladone est très active sur l’organisme de l’homme, active sur ceux du chat, du chien et des oiseaux, peu active pour ceux du cheval et du porc, très peu pour ceux du mouton et de la chèvre, et à peu près inactive pour celui du lapin.

En ce qui concerne l’if, le professeur Cornevin a fixé ainsi la quantité nécessaire de feuilles à ingérer pour tuer 1 kilo de poids vif : pour le cheval, 2 grammes ; pour l’âne et le mulet, 1gr,60 ; pour le mouton, 10 grammes ; pour la chèvre, 12 grammes ; pour la vache, 10 grammes ; pour le porc, 3 grammes ; pour le chien, 8 grammes et pour le lapin, 20 grammes. Ces deux exemples montrent la grande résistance du lapin à l’égard de certains poisons végétaux. Même constatation relativement aux graines de cytise, un arbrisseau ornemental dont les fleurs réunies en longues et belles grappes jaunes ont été comparées à une pluie d’or, graines très toxiques pour la plupart des autres animaux domestiques, alors que le lapin jouit de ce privilège de résister à l’empoisonnement par la voie digestive.

En ce qui concerne nos Solipèdes, Cornevin les classe ainsi à l’égard de la sensibilité aux poisons végétaux : l’âne, le mulet et enfin le cheval. La première place occupée par l’âne n’a rien qui doive surprendre si l’on considère qu’il est de tous les animaux domestiques celui qui possède le pouvoir digestif le plus élevé, ce qui lui permet d’extraire des végétaux les plus grossiers et les plus durs tous les principes assimilables, y compris les poisons.

Dans les intoxications alimentaires d’origine végétale chez les équidés, les symptômes sont très variables, mais peuvent presque toujours être classés dans deux catégories :

    1° Symptômes de gastro-entérite se traduisant par de l’abattement, de l’inappétence, des coliques sourdes et de la constipation qui fait bientôt place à une diarrhée plus ou moins abondante, etc. ... ;

    2° Symptômes de surexcitation plus ou moins violente au cours de laquelle le cheval tombe sur le sol, se relève furieux ou tourne sur lui-même, etc. ... Parfois on constate de l’ébriété, comme si le malade était ivre (ivraie enivrante), l’accès se terminant par de la paralysie générale ou du coma, qui précède de peu la mort, si la dose du poison a été suffisante.

Avant l’arrivée du vétérinaire, qui, dans tous les cas, doit être appelé dans le plus bref délai possible, il est des indications générales que le propriétaire doit s’efforcer de remplir, quelle que soit la plante vénéneuse en cause.

1° Débarrasser l’organisme du poison non absorbé par l’emploi d’un purgatif (sulfate de sodium, ou de magnésie) auquel le vétérinaire pourra ajouter à son arrivée, les injections sous-cutanées d’ésérine, d’arécoline ou de pilocarpine. Administrer ensuite des breuvages mucilagineux (60 grammes de graine de lin par litre), ainsi que des lavements à l’eau savonneuse tiède, à l’eau salée (10 grammes de sel par litre).

Faire de la révulsion à la peau par des frictions au vinaigre chaud, à l’essence de moutarde, ou de la farine de celle-ci délayée dans de l’eau à la température de l’écurie.

2° S’il y a des symptômes de surexcitation, essayer les calmants, notamment l’éther en breuvage à la dose de 20 à 50 grammes ou en lavement, le chloral en lavement selon la formule suivante :

Chloral 30 à 60 grammes
Décoction de graine de lin chaude 150 grammes

Ajouter ensuite de l’eau tiède pour faire un litre.

3° S’il existe des symptômes généraux graves avec tendance au coma ou à l’affaiblissement, recourir aux excitants et toniques généraux, dont le plus commun et qu’on a constamment sous la main est l’infusion de café qu’on prépare à raison de 50 à 100 grammes de café torréfié pour un litre d’eau chaude, dose pour un cheval, que l’on peut renouveler au besoin sans crainte d’effets fâcheux.

Dans les causeries qui vont suivre, nous passerons en revue quelques plantes toxiques provoquant la plupart des empoisonnements chez le cheval.

MOREL,

Médecin vétérinaire.

Le Chasseur Français N°606 Février 1942 Page 109