En reprenant enfin le contact, si fâcheusement interrompu,
avec les nombreux et fidèles lecteurs de ce journal, nous commencerons par un
examen de la situation du point de vue cynégétique.
Pour chasser, il faut, d’une part, du gibier; de l’autre,
des armes et des munitions. Nous ne surprendrons personne en affirmant que la
saison de chasse 1945 a été à ce double point de vue passablement déficitaire.
En ce qui concerne le gibier, certaines régions ont été plus ou moins
favorisées ; on a signalé, dans le Centre en particulier, une assez bonne
densité en lièvres, faisant heureusement équilibre à l’absence presque complète
des perdreaux. Le lapin a bien voulu jouer une fois de plus son rôle habituel
de bouche-trou dans de nombreuses chasses. Bref, en fin de campagne, on peut
espérer, avec des soins appropriés et une saison propice, avoir en 1946
suffisamment de gibier devant le fusil. Évidemment, il y aura lieu de
repeupler, de réprimer sévèrement le braconnage et surtout de faire une guerre des
plus sérieuses aux nuisibles ; Le Chasseur Français ne manquera
pas, dans ses diverses rubriques, de documenter ses lecteurs sur tous ces
points.
Mais, pour rester dans notre rôle, nous envisagerons plus
spécialement, dans cette causerie, la question des armes et des munitions,
laquelle, si nous en jugeons par la correspondance reçue pendant ces derniers
mois, préoccupe à bon droit tous les chasseurs.
Nos lecteurs n’ignorent pas que, du fait de la division du
territoire français en deux zones dans lesquelles le sort des armes de chasse a
été très différent, les propriétaires de fusils se sont trouvés plus ou moins
armés ou désarmés pour l’ouverture de 1945. Dans la zone Sud, presque tous les
chasseurs se sont vu restituer d’abord leurs canons, puis leurs crosses et, au
prix de quelques réparations, ils ont pu disposer d’armes en état. Dans la zone
Nord, au contraire, les armes déposées dans les mairies ou restées dans les
habitations ont été saisies en 1940, brisées en partie immédiatement ou
bloquées dans des dépôts, desquels, après maintes vicissitudes, aucune n’est
revenue dans les mains de son propriétaire. Une enquête a été ouverte aux fins
d’estimation ou de réparations éventuelles et n’a pas encore donné de
résultats.
Un très grand nombre de chasseurs, plutôt que de livrer
leurs armes, avaient préféré les dissimuler dans diverses cachettes. Les armes
cachées dans les habitations entraînant de dures représailles, beaucoup de
chasseurs ont enterré, après graissage, leurs fusils loin des habitations. Il nous
a été donné d’examiner déjà un certain nombre de fusils ayant ainsi séjourné à
peu près quatre années sous la terre, et, dans la très grande majorité dés cas,
la détérioration des armes a principalement porté sur les canons. Une notable
proportion d’entre eux sont complètement hors d’usage, attaqués à la fois à
l’intérieur et à l’extérieur. Quelques-uns, moins gravement atteints, peuvent
encore être utilisés, mais leur aspect laisse, hélas ! beaucoup à désirer.
Quant aux crosses, après démontage et nettoyage des platines et batteries,
elles sont, en général, en meilleur état que les canons et méritent parfois
l’ajustage d’une nouvelle paire de ces derniers.
Beaucoup de chasseurs, lorsque l’ensemble inspirait une
confiance relative, ont, faute de mieux, remis l’arme en service en prenant la
précaution d’y tirer préalablement quelques cartouches surchargées. Nous
connaissons des fusils de bonne fabrication qui ont ainsi rendu quelques
services à leur propriétaire sans accident ; d’autres ont éclaté sans grand
dommage ; d’autres, enfin, avec la collaboration des poudres de guerre,
ont enlevé quelques doigts à leurs possesseurs. Il convient donc de n’utiliser
les canons détériorés qu’avec beaucoup de prudence, en attendant que la
situation de l’industrie armurière puisse en permettre le remplacement, si
l’état de la crosse justifie l’opération.
Un certain nombre de chasseurs de la zone Nord ont pu
trouver en zone Sud quelques armes d’occasion. Ce petit appoint est venu
compléter le stock d’armes détériorées auquel on a ajouté parfois des fusils à
piston en bon état, ces derniers n’ayant pas fait l’objet de saisies de la part
des occupants. Bref, la zone Nord a fait tout son possible pour ne pas rester
désarmée devant le gibier qu’il y avait tout de même à tirer.
Toutes ces solutions provisoires n’empêchent pas d’ailleurs
nos confrères en saint Hubert de réclamer des fusils neufs. L’industrie
armurière s’est attelée à la tâche gigantesque du réarmement de 7 à 800.000
chasseurs, mais n’oublions pas qu’à la libération elle a dû concentrer tous ses
efforts sur les fabrications de guerre et qu’elle n’a pu reprendre que
progressivement, depuis quelques mois à peine, la fabrication des armes de
chasse. Elle y travaille, à l’heure actuelle, aussi assidûment que les circonstances
économiques le lui permettent.
En ce qui concerne les munitions, notons qu’à défaut de la
poudre officielle on a employé un peu partout des poudres de guerre et des
explosifs de fantaisie. Sur ces emplois, notre opinion n’a pas varié :
nous avons souvent écrit ici même que l’usager de tels explosifs se trouve en
face du dilemme suivant : ou doser faiblement des cartouches inefficaces,
ou risquer l’accident grave en utilisant des munitions à vitesses normales. La
chronique de ces derniers mois nous l’a confirmé par l’exposé de quelques
accidents et de nombreux déboires. Seuls certains chasseurs philosophes et
prudents se sont satisfaits en tirant des cartouches qui tuaient de temps à
autre à courte portée, estimant que cela valait encore mieux que de ne pas
tirer du tout.
M. MARCHAND,
Ingénieur E. C. P.
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