Pendant les six années de guerre que nous venons de
traverser, le repeuplement et l’élevage du gibier sont restés au point mort, au
regard de la chasse française.
À peine quelquefois la chasse fut-elle entr’ouverte,
principalement dans la zone non occupée, et pour quelques destructions de
lapins et de lièvres dans l’autre zone, là où les autorités occupantes le
voulurent bien.
Cependant, pendant cette période, la destruction marcha bon
train. Tout d’abord par le braconnage qui s’exerça un peu partout. Puis sans
compter les spécialistes du collet, qui ne se sont pas fait faute d’en tendre
le plus possible au nez et à la barbe des Allemands, en se disant que c’était
autant qu’ils ne prendraient pas. Il ne faut pas oublier que ces messieurs
firent de nombreuses chasses et détruisirent, là comme ailleurs, tout ce qu’ils
purent.
De leur côté, les soldats de toutes les armées ne manquèrent
pas ! comme c’est le cas dans chaque guerre, de chercher à améliorer leur
ordinaire par la capture de tout ce qu’ils purent trouver de gibier, et c’est
une quantité appréciable de poil et de plumes qui disparurent de la sorte.
Si nous mettons en présence de toutes ces causes de
destruction le peu de repeuplement qui fut fait, nous pouvons juger de l’état
très précaire de la chasse française en ce moment.
Que peut-on faire pour remonter ce courant et amener dans
nos chasses le gibier suffisant pour satisfaire tous nos chasseurs ? C’est
ce que nous allons examiner.
Rappelons en quelques mots quels étaient, pour les différents
gibiers, les moyens de repeuplement avant 1940.
Le lapin.
— Notre gibier le plus commun et le plus abondant
n’avait guère besoin d’être poussé à la reproduction. À tel point qu’en bien
des endroits c’était un véritable fléau qui donna lieu à force procès et
réparations en dommages.
Cependant quelques chasses qui en étaient privées obtinrent
d’en faire venir de contrées plus favorisées, mais étant entendu qu’il devait
en être détruit suffisamment chaque année pour qu’ils ne redeviennent pas
nuisibles.
Le lièvre.
— Un seul mode de repeuplement était employé :
l’achat de reproducteurs à l’étranger. Les essais de reproduction de lièvres en
parcs ont été peu nombreux, mais promettaient beaucoup pour l’avenir ;
espérons qu’on y reviendra.
L’Autriche, l’Allemagne et la Hongrie nous envoyèrent bon
nombre de lièvres avant guerre, et, lorsque ces animaux étaient capturés avec
soin et placés pour le voyage chacun dans une boîte spéciale, ils arrivaient en
bon état et l’on en obtenait une bonne reproduction.
Le faisan.
— Ce bel oiseau de chasse fut l’objet, dans bien des
propriétés, d’un grand effort de multiplication.
Les uns se contentaient de lâcher à la fermeture un certain
nombre de coqs et de poules ; d’autres préféraient les garder en parquets
jusqu’aux premiers beaux jours, leur évitant ainsi tous les dangers de l’hiver
aux bois.
Certains propriétaires gardaient en volières coqs et poules
afin, lors de la ponte, de ramasser les œufs, les faire couver et élever
ensuite les jeunes au moyen de poules de ferme.
Quelques-uns avaient adopté le système qui consiste à
prendre dans les parquets de ponte une dizaine des premiers œufs de chaque
faisane, puis relâcher aux bois les reproducteurs, afin d’en obtenir une couvée
naturelle.
Enfin il en était qui préféraient mettre en grands parquets
six poules et un coq entravés qui reproduisaient là comme en liberté.
On, voit que, pour le faisan, les moyens de le multiplier ne
manquaient pas.
La perdrix grise.
— Ce gibier de plaine, dont il est si facile
d’augmenter le nombre, était obtenu de quatre façons différentes.
1° Par des lâchers de reproducteurs sur la chasse. Pour
obtenir un bon résultat, on n’achetait pas des perdrix de volières, les seules
que l’on puisse se procurer en France, mais on faisait venir, principalement de
Bohême et de Hongrie, des couples qui se reproduisaient parfaitement.
Si l’on avait trop de mâles perdrix, ce qui arrivait en
certaines années, on n’achetait que des femelles, et quand, à la pariade, on
voyait ce qu’on appelait des ménages à trois, il suffisait de lâcher une
femelle pour obtenir deux couples.
2° La reproduction de la perdrix sauvage en parquets, au
moyen d’oiseaux entravés, donne, depuis bon nombre d’années, d’excellents
résultats. Ce mode de repeuplement, connu sous le nom de méthode Dannin, permet
d’arriver à former des compagnies de vingt-cinq à trente bêtes, et nous
expliquerons plus en détail, dans un article ultérieur, la façon de procéder
pour obtenir ces compagnies.
3° L’incubation en couvoirs spéciaux d’œufs achetés à
l’étranger ou d’œufs récoltés à la fauchaison, puis l’élevage des jeunes
jusqu’à leur émancipation au moyen de poules de ferme permettaient d’obtenir de
grandes quantités de perdrix.
4° L’adoption de jeunes perdreaux par des coqs perdrix
conservés dans ce but, ou même par des couples qui n’avaient pas eu d’œufs,
donnait, quand elle était bien faite, de petites compagnies ayant toutes les
qualités des couvées naturelles.
La perdrix rouge.
— Cet oiseau est plus délicat que la grise et sa
reproduction demandait plus de soins.
On obtenait de bons résultats en mettant des couples
sauvages entravés dans des parquets plus vastes et mieux garnis que ceux des
grises et en les nourrissant de façon différente.
Voilà plus de cinquante ans que ce mode de repeuplement est
en vigueur, mais sur une petite échelle.
L’obtention d’œufs en petits parquets par des couples
familiers était possible comme pour la grise, mais les jeunes obtenus de ces
œufs devaient avoir des parents adoptifs sauvages si l’on voulait qu’ils se
comportent, une fois remis en liberté, comme les compagnies naturelles,
c’est-à-dire en oiseaux sauvages.
L’adoption des jeunes perdreaux rouges par des coqs gris a
souvent été faite avec un plein succès.
Le canard.
— Il y avait trois façons de le multiplier :
1° Par achats d’adultes pour en obtenir la ponte ;
2° Par achats d’œufs à couver ;
3° Par achats de jeunes à élever.
Nous terminerons cet article par quelques considérations
générales sur l’avenir de la chasse.
La garderie.
— Un axiome qu’il ne faut pas oublier, c’est qu’on ne
peut avoir de bonne chasse sans un garde capable, c’est-à-dire connaissant à
fond son métier.
La grande chasse privée deviendra de plus en plus rare, et
nous pensons que les chasses en commun sont la formule d’avenir à laquelle il
faut nous rallier.
Et tout d’abord la chasse banale doit disparaître au profit
d’une des trois formules suivantes : la chasse de propriétaire, la chasse
de société, la chasse communale.
Chacun aura la possibilité de chasser soit en entrant dans
une société d’actionnaires, soit en obtenant une carte de participation dans
une chasse communale (le cultivateur ayant son droit de chasse par l’apport de
ses terrains, le citadin participant aux frais par un apport en argent).
Mais, quelle que soit la formule à laquelle se ralliera le
chasseur, il faudra toujours que la chasse soit gardée.
Il y aura deux sortes de gardes-chasses. Ceux qui ne feront
que ce métier et les cultivateurs qui seront commissionnés pour la garderie et
qui pourront recevoir une formation spéciale dans une école de gardes-chasses.
Rappelons à cette occasion les efforts faits dans ce
but :
C’est en mai 1929 que se fondait à Rambouillet, avec
l’autorisation de la présidence de la République, la première école de
gardes-chasses, et elle était placée sous la haute direction de M. l’inspecteur
des Eaux et Forêts Gouilly-Frossart, chef du service des chasses
présidentielles.
En 1935, l’école fut transférée à Cadarache
(Bouches-du-Rhône), dans la magnifique propriété de l’État, où l’ancien château
fut transformé en une école très moderne.
Les gardes des fédérations départementales de chasseurs y
firent un stage à tour de rôle afin d’y recevoir une instruction théorique et
pratique qui donna les meilleurs résultats.
Cette école, que dirigea encore avec tant de compétence M. le
conservateur Gouilly-Frossart, fonctionna jusqu’à la guerre, puisque, en août
1939, les professeurs étaient déjà convoqués pour la réouverture des cours
quand survint le cataclysme mondial.
Nous ne doutons pas que M. le directeur général des
Eaux et Forêts, dont l’école des gardes est l’œuvre et qui s’est consacré
depuis tant d’années à l’amélioration de la chasse, ne continue à y apporter sa
vigilante protection.
La cause en vaut la peine, car, ne l’oublions pas, les
chasseurs, il y a quelques années, se comptaient déjà au nombre de plus d’un
million et demi.
En terminant, félicitons tous ceux qui, dans le passé,
unirent leurs efforts en vue d’améliorer ce noble sport, et souhaitons qu’ils
persévèrent dans l’avenir afin de faire de la France le plus beau pays de
chasse du monde.
René DANNIN.
|