Au sortir de la pénible et longue épreuve traversée par
notre pays, où en sommes-nous au point de vue des nuisibles ? J’entends
sous ce vocable uniquement les animaux qu’il est coutume de grouper sous ce nom
et qui sont considérés comme effectivement nuisibles au gibier. Je suis le
premier à reconnaître qu’il y a bien d’autres nuisibles à la chasse, les
braconniers en premier, l’inertie des organisations cynégétiques ensuite, etc. ...,
mais toute cette catégorie ne peut, hélas ! pas se piéger ! Donc
laissons aux « dieux » de la chasse le soin de réagir énergiquement
contre l’état de choses lamentable de la chasse actuelle. C’est donc à tous les
présidents de sociétés communales et à tous les chasseurs consciencieux ayant
encore un reste de bon sens que je m’adresserai.
Après une saison de chasse qui, dans l’ensemble, fut bonne,
comment se présente la situation en fin de chasse 1945 ?
Côté gibier ; niveau terriblement bas, d’autant plus
bas que le gibier de repeuplement venant de l’étranger ne pourra guère compter,
pas plus que celui provenant des quelques très rares élevages de France. Il
sera donc nécessaire, si l’on veut réellement faire quelque chose, de prendre
des mesures draconiennes et de les faire respecter pour le plus grand bien de
tous les chasseurs honnêtes. La suppression radicale des ouvertures anticipées,
des fermetures retardées, de la chasse au bord de l’eau en dehors de la période
légale de chasse générale, la réglementation sévère de l’emploi des furets
doivent être les premières mesures à prendre. Parallèlement à ces mesures, il
faut, partout où la prévoyance des présidents de sociétés ne l’a déjà fait,
reconstituer au plus tôt les réserves de chasse judicieusement choisies et
donner un vigoureux coup de frein aux opérations de braconnage individuelles ou
collectives. Souhaitons que la nouvelle organisation des « sociétés
départementales » permette d’aider efficacement les sociétés communales.
Vient ensuite le travail de nettoyage des nuisibles. Où en sommes-nous au point
de vue nuisibles ? Leur nombre, d’une façon générale, n’a pas suivi la
courbe d’augmentation qu’on aurait pu croire, particulièrement du côté des
mammifères. Il n’en est pas de même du côté des rapaces et des becs droits,
qui, eux, se sont multipliés à outrance. Il y a peut-être là l’influence due à
la valeur des fourrures de 1940 à 1945 qui a incité gardes et piégeurs (qui ont
eu le bonheur de rester en France) à s’emparer des nuisibles à fourrure. Mais
il y a aussi les suppressions massives de becs droits qui, pendant cinq ans,
ont été abandonnées soit du fait de l’occupant, soit du manque (ou du prix) des
cartouches ou des poisons nécessaires. Quant aux rapaces proprement dits, leurs
dégâts sont actuellement des plus préjudiciables aux quelques rares survivants
reproducteurs de gibier qui existent encore.
C’est donc sur les rapaces et becs droits qu’il convient
d’opérer au plus vite. Viendront ensuite la surveillance des chats maraudeurs,
aussi nuisibles que les rapaces et becs droits, l’élimination des belettes et autres
mustélidés, et enfin la réduction des autres carnassiers.
Il est évident que tous ces travaux demandent à être confiés
à des gens qualifiés et doivent être accomplis simultanément. Le gros écueil
qui se présente pour mener à bien ces tâches est, comme partout, le manque de
matériel, c’est-à-dire de pièges, de boîtes, de cartouches (et de fusils) et de
poison. Vous pourrez dire que j’ai oublié les gaz ! Non, car un piégeur
qui connaît son métier n’a nullement besoin de ces produits pour purger son
territoire des nuisibles. Je devrais dire de « quelques nuisibles »,
car la majeure partie échappe à l’action des gaz, et, sans vouloir blanchir le
blaireau, par exemple, il est incontestablement moins dangereux sur une chasse
qu’un couple d’autours.
Il en est donc pour la chasse comme pour tout ce qui
s’oppose au nouveau départ de l’activité nationale, le manque de matériel
immobilise et paralyse toute tentative d’effort. Quant aux sauvagines, leurs
prix, contrairement à ce qu’on aurait pu attendre, n’ont nullement suivi la
hausse générale, mais, bien au contraire, se sont effondrés dans des
proportions que seule la spéculation peut expliquer. Voici à ce sujet quelques
cours comparatifs à l’appui :
En mai 1943 : Fouine ordinaire, 1.200 à 1.400 francs ;
Putois grande taille, 650 à 750 francs ; Renard de plaine, 700 à 900 francs.
En février 1945: Fouine ordinaire, 1.600 à 1.800 francs ;
Putois grande taille, 900 francs ; Renard de plaine, 900 à 1.200 francs.
En décembre 1945 : Fouine ordinaire, 1.200 à 1.800 francs;
Putois grande taille, 500 à 600 francs ; Renard de plaine, 200 à 300 francs.
Or le franc 1946 a sérieusement « rapetissé »
comme pouvoir d’achat ! Cette dégringolade s’est produite en sens inverse
de la hausse générale et elle est anormale. Le marché des fourrures de France
est un « bébé » à côté de celui des U. S. A., du Canada et
de la Russie. Ces pays peuvent offrir des fourrures en quantités formidables
comparativement au nôtre. En contrepartie, les cours étrangers montent les
prix, surtout en y ajoutant les droits de douane. Les fluctuations de cours
semblent donc indépendantes des marchés étrangers, et c’est à l’intérieur qu’on
pourrait peut-être trouver l’explication, soit du fait de l’offre et de la
demande, soit d’une spéculation du « marché parallèle », soit enfin
d’un appauvrissement général qui amène l’achat de fourrures imitation livrées à
bas prix et à base de chat et de lapin.
A. CHAIGNEAU.
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