Accueil  > Années 1942 à 1947  > N°607 Avril 1946  > Page 140 Tous droits réservés


Le « CHASSEUR FRANÇAIS » sollicite la collaboration de ses abonnés
et se fait un plaisir de publier les articles intéressants qui lui sont adressés.

Les nuisibles en 1946

Au sortir de la pénible et longue épreuve traversée par notre pays, où en sommes-nous au point de vue des nuisibles ? J’entends sous ce vocable uniquement les animaux qu’il est coutume de grouper sous ce nom et qui sont considérés comme effectivement nuisibles au gibier. Je suis le premier à reconnaître qu’il y a bien d’autres nuisibles à la chasse, les braconniers en premier, l’inertie des organisations cynégétiques ensuite, etc. ..., mais toute cette catégorie ne peut, hélas ! pas se piéger ! Donc laissons aux « dieux » de la chasse le soin de réagir énergiquement contre l’état de choses lamentable de la chasse actuelle. C’est donc à tous les présidents de sociétés communales et à tous les chasseurs consciencieux ayant encore un reste de bon sens que je m’adresserai.

Après une saison de chasse qui, dans l’ensemble, fut bonne, comment se présente la situation en fin de chasse 1945 ?

Côté gibier ; niveau terriblement bas, d’autant plus bas que le gibier de repeuplement venant de l’étranger ne pourra guère compter, pas plus que celui provenant des quelques très rares élevages de France. Il sera donc nécessaire, si l’on veut réellement faire quelque chose, de prendre des mesures draconiennes et de les faire respecter pour le plus grand bien de tous les chasseurs honnêtes. La suppression radicale des ouvertures anticipées, des fermetures retardées, de la chasse au bord de l’eau en dehors de la période légale de chasse générale, la réglementation sévère de l’emploi des furets doivent être les premières mesures à prendre. Parallèlement à ces mesures, il faut, partout où la prévoyance des présidents de sociétés ne l’a déjà fait, reconstituer au plus tôt les réserves de chasse judicieusement choisies et donner un vigoureux coup de frein aux opérations de braconnage individuelles ou collectives. Souhaitons que la nouvelle organisation des « sociétés départementales » permette d’aider efficacement les sociétés communales. Vient ensuite le travail de nettoyage des nuisibles. Où en sommes-nous au point de vue nuisibles ? Leur nombre, d’une façon générale, n’a pas suivi la courbe d’augmentation qu’on aurait pu croire, particulièrement du côté des mammifères. Il n’en est pas de même du côté des rapaces et des becs droits, qui, eux, se sont multipliés à outrance. Il y a peut-être là l’influence due à la valeur des fourrures de 1940 à 1945 qui a incité gardes et piégeurs (qui ont eu le bonheur de rester en France) à s’emparer des nuisibles à fourrure. Mais il y a aussi les suppressions massives de becs droits qui, pendant cinq ans, ont été abandonnées soit du fait de l’occupant, soit du manque (ou du prix) des cartouches ou des poisons nécessaires. Quant aux rapaces proprement dits, leurs dégâts sont actuellement des plus préjudiciables aux quelques rares survivants reproducteurs de gibier qui existent encore.

C’est donc sur les rapaces et becs droits qu’il convient d’opérer au plus vite. Viendront ensuite la surveillance des chats maraudeurs, aussi nuisibles que les rapaces et becs droits, l’élimination des belettes et autres mustélidés, et enfin la réduction des autres carnassiers.

Il est évident que tous ces travaux demandent à être confiés à des gens qualifiés et doivent être accomplis simultanément. Le gros écueil qui se présente pour mener à bien ces tâches est, comme partout, le manque de matériel, c’est-à-dire de pièges, de boîtes, de cartouches (et de fusils) et de poison. Vous pourrez dire que j’ai oublié les gaz ! Non, car un piégeur qui connaît son métier n’a nullement besoin de ces produits pour purger son territoire des nuisibles. Je devrais dire de « quelques nuisibles », car la majeure partie échappe à l’action des gaz, et, sans vouloir blanchir le blaireau, par exemple, il est incontestablement moins dangereux sur une chasse qu’un couple d’autours.

Il en est donc pour la chasse comme pour tout ce qui s’oppose au nouveau départ de l’activité nationale, le manque de matériel immobilise et paralyse toute tentative d’effort. Quant aux sauvagines, leurs prix, contrairement à ce qu’on aurait pu attendre, n’ont nullement suivi la hausse générale, mais, bien au contraire, se sont effondrés dans des proportions que seule la spéculation peut expliquer. Voici à ce sujet quelques cours comparatifs à l’appui :

En mai 1943 : Fouine ordinaire, 1.200 à 1.400 francs ; Putois grande taille, 650 à 750 francs ; Renard de plaine, 700 à 900 francs.

En février 1945: Fouine ordinaire, 1.600 à 1.800 francs ; Putois grande taille, 900 francs ; Renard de plaine, 900 à 1.200 francs.

En décembre 1945 : Fouine ordinaire, 1.200 à 1.800 francs; Putois grande taille, 500 à 600 francs ; Renard de plaine, 200 à 300 francs.

Or le franc 1946 a sérieusement « rapetissé » comme pouvoir d’achat ! Cette dégringolade s’est produite en sens inverse de la hausse générale et elle est anormale. Le marché des fourrures de France est un « bébé » à côté de celui des U. S. A., du Canada et de la Russie. Ces pays peuvent offrir des fourrures en quantités formidables comparativement au nôtre. En contrepartie, les cours étrangers montent les prix, surtout en y ajoutant les droits de douane. Les fluctuations de cours semblent donc indépendantes des marchés étrangers, et c’est à l’intérieur qu’on pourrait peut-être trouver l’explication, soit du fait de l’offre et de la demande, soit d’une spéculation du « marché parallèle », soit enfin d’un appauvrissement général qui amène l’achat de fourrures imitation livrées à bas prix et à base de chat et de lapin.

A. CHAIGNEAU.

Le Chasseur Français N°607 Avril 1946 Page 140