Depuis que ces modestes chroniques ont été interrompues, la
situation de notre parc automobile n’a fait qu’empirer dans des proportions
catastrophiques. Les chiffres précis manquent et les statistiques que l’on peut
glaner, ici ou là, sont incontrôlables. Toutefois, il est permis d’avancer que,
sur les 1.500.000 véhicules de tourisme existant en 1939, la moitié a disparu
dans la tourmente ; quant aux 430.000 camions ou camionnettes d’avant
guerre, 230.000 continuent, tant bien que mal, et dans un état de délabrement
invraisemblable, à assurer un service intensif.
Chacun sait que ce qui nous reste en « tourisme »,
circulation ou garage mort, vaut bien peu : pneumatiques disparus ou usés,
batteries anémiques, garnitures mitées, tôlerie rouillée, équipement électrique
à revoir, peinture à refaire, etc. ... Enfin consolez-vous si vous avez la
chance d’être ce Français sur deux qui a pu encore sauver quelque chose de sa
voiture et échapper ainsi à tous les dangers rencontrés sur son chemin au cours
de ces cinq dernières années : réquisitions, bombardements, vols,
etc. ...
Côté technique, rien de particulier à signaler. Les efforts
des savants et des ingénieurs étaient tournés vers l’aviation. Dans un avenir
proche, on bénéficiera peut-être par incidence de ces recherches. Moteur à
réaction, énergie atomique trouveront un débouché plus pacifique et
plus ... terre à terre dans la branche qui nous intéresse ici. L’Amérique,
de son côté, nous a envoyé les fameuses « Jeep », que chacun connaît.
Conçues pour un service en campagne bien particulier, nous ne trouvons dans
leur conception que des solutions mécaniques connues. Mais la réalisation
pratique de celles-ci a été, comme toujours chez nos alliés, magistrale.
Nous voici donc sur notre ligne départ, à zéro ou presque, face
à l’avenir. La tâche est immense et, comme telle, on ne sait par quel bout
commencer. Veut-on se lancer dans telle ou telle construction en grande série,
un accroc vous arrête bien vite ; ici c’est une industrie prioritaire qui
doit passer avant vous, là c’est le charbon qui fait défaut, et qui empêche les
livraisons de matières premières; puis, quand ça va un peu mieux, l’énergie
électrique devient capricieuse, quand ce n’est pas la carence administrative
qui vous a immobilisé ou le dirigisme économique qui déraille.
On a dressé un plan. Il a été établi dès la fin des
hostilités en France. Ses prévisions portent, pour 1946, sur un total d’environ
160.000 véhicules construits, soit une consommation de 400.000 tonnes de métaux
ferreux. Mais on est en retard sur l’horaire, on n’espère guère sortir plus de
100.000 véhicules, si rien n’accroche. Cette production serait de l’ordre d’une
trentaine de mille de voitures particulières, toutes ou presque réservées à
l’exportation, contre 60.000 véhicules utilitaires. Les chiffres de 1938
étaient respectivement de 210.000 et 24.000.
On a réduit les types de fabrication. De 136 avant la
guerre, on en compte 41 actuellement. Sept grands groupes de constructeurs vont
se spécialiser dans la production, en grande série, de quelques modèles. C’est
ainsi que Citroën utilise a plein son outillage pour la 11 CV et la 15 CV,
ainsi que des camionnettes de 2 tonnes et des camions de 3 tonnes et
demie; Renault, régie nationale, sort la Juvaquatre bien connue et nous promet
une 4 CV, quatre places, avec moteur à l’arrière, d’une conception
vraiment nouvelle, plus trois types d’utilitaires de 3 tonnes et demie, de
5 et de 7 tonnes. Nous verrons survivre également la 202 Peugeot et la
Simca 8.
N’oublions pas le carburant dans nos prières. De notre
flotte pétrolière il ne surnage plus que 155.000 tonnes au lieu de 550.000.
Notons cependant que, par suite de la construction intensive de guerre, la
flotte pétrolière mondiale est passée de 10 à 20 millions de tonnes.
Quatre raffineries sont intactes sur quatorze : Berre, Martigues, L’Avera
et Frontignan.
Quant à notre pétrole brut de l’Irak, — notre seul
avoir au monde, — ainsi que le soulignait le général de Gaulle dans son
discours du 19 juin dernier, il commence à arriver dans nos ports.
Les pneumatiques sont rares. Mais l’avenir est, de ce côté,
plein de promesses. L’Allemagne a mis au point, au cours de cette guerre, un
produit de synthèse de premier ordre, le Buna, cependant que les ingénieurs
américains de la Dupont de Nemours ont créé les néo-caoutchoucs tels que le Puprène
et le Néoprène. De 500 tonnes en 1935, la production américaine de ces
produits a atteint le million de tonnes. Il ne semble pas que les plantations
donnant le caoutchouc naturel, de Malaisie, des Indes néerlandaises, de Ceylan,
aient particulièrement souffert. Aussi, il est permis d’espérer que bientôt nos
voitures seront chaussées à bon compte. Question qualité du synthétique et du
naturel, les avis sont partagés. Mais il semble que le nouveau venu égale, dans
beaucoup de cas, la gomme naturelle.
Côté importation, il semble que nos milieux officiels ont
autorisé les grandes firmes étrangères à fabriquer en France, avec de la
main-d’œuvre nationale et du matériel français, au lieu d’importer à prix d’or
des véhicules ou tracteurs dont nous avons un pressant besoin. Certains
craignent qu’en opérant ainsi nous risquions d’aliéner notre indépendance
politique. Craintes bien vaines. On a vu ce que sont devenus les
investissements étrangers au Mexique, en Russie, en Allemagne, en Pologne, en
Roumanie et ailleurs.
Et, pour terminer, peut-on donner quelques prix ? Rien
d’officiel encore. On parle de la Juvaquatre à 106.000 francs ; des autres
marques, de 100 à 125.000 francs.
G. AVANDO,
Ingénieur E. T. P.
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