Nombreux sont actuellement les propriétaires de chevaux qui
se désolent de ne pas pouvoir se procurer d’avoine autant qu’ils en auraient
besoin pour maintenir à son taux habituel — et normal — la ration de
leurs animaux travaillant plus ou moins fort, mais pour la plupart passant de
longues heures sous le harnais.
Et la déception de ce contretemps, auquel les soumet un
concours de circonstances sur lesquelles nous n’avons pas besoin d’insister,
devient pour certains une constante préoccupation, voire une obsession, parce
qu’ils sont persuadés a priori qu’il n’est pas possible, pour les
chevaux, de vivre sans avoine dès l’instant qu’ils doivent se montrer dans leur
service particulier les « bons ouvriers » dont on a tant besoin pour
faire en ces temps difficiles les travaux indispensables ou urgents de la ville
ou des champs.
Le fait est qu’en France, dans les milieux agricoles ou
hippiques, l’avoine a toujours été considérée comme l’aliment indispensable au
bon état de santé et d’entretien des chevaux, celui qui donne la force et
l’endurance, et qu’aucun autre ne saurait remplacer avantageusement, ni même
économiquement.
Cette opinion, pour si répandue qu’elle soit, n’est pourtant
que l’expression d’un préjugé ancré dans les mœurs, et par la force de
l’habitude et par la tradition, tandis que les enseignements de la physiologie
et de la zootechnie nous incitent à penser qu’elle ne doit pas être acceptée
sans caution, ni information mieux autorisée.
D’ores et déjà, nous pouvons faire remarquer que, dans
l’Afrique du Nord, par exemple (Algérie, Tunisie, Maroc), les chevaux arabes ou
barbes, qui sont si réputés pour leurs qualités de précocité et de résistance
au travail, sont nourris exclusivement avec de l’orge : qu’en Angleterre
beaucoup de chevaux ne consomment que des féveroles, tandis que c’est le maïs
qui est utilisé couramment en Amérique et le riz en Indochine, etc., la
composition de la ration en grains variant avec la situation géographique et
les ressources culturales des pays considérés.
De plus, la question du remplacement de l’avoine dans
l’alimentation des chevaux a déjà été envisagée à plusieurs reprises pour des
raisons diverses et a donné lieu à de nombreuses recherches et expériences de
chimistes et de praticiens dont les conclusions se sont trouvées concordantes
pour en adapter la possibilité à l’aide de certaines denrées appelées pour la
circonstance « aliments de remplacement ou de substitution ». C’est
ainsi qu’en 1894, déjà, le rapport du Comité scientifique de la commission
mixte des remontes, publié sous la signature d’un éminent vétérinaire parisien,
M. Lavalard, constatait que « l’avoine peut être remplacée en partie
ou en totalité par : orge, maïs, féveroles, seigle, sarrasin, tourteaux de
lin, de sésame, de palmiste, etc. ».
À la même époque environ, le Comité national des grains,
farines et fourrages, pour renseigner les intéressés, donnait les indications
ci-dessous : 1.000 grammes d’avoine peuvent être remplacés par :
600 grammes de maïs et 400 grammes de son ;
800 grammes d’orge et 100 grammes de radicelles d’orge ;
800 grammes de seigle et 200 grammes de drèches sèches de brasserie ;
800 grammes de riz Paddy et 100 grammes de tourteau d’arachide rufisque ;
900 grammes de sorgho ;
800 grammes de caroubes d’Algérie et 150 grammes de tourteau d’arachide ;
500 grammes de paille hachée, 400 gr. de mélasse et 400 grammes de drèches de distillerie.
D’autre part, MM. Grandeau et Leclerc, un chimiste et
un vétérinaire, ont écrit sur le même sujet : « Le cheval de trait,
comme le bœuf et le mouton, peut avec profit, sous tous les rapports, être
alimenté à l’aide de mélanges plus ou moins complexes, dont la composition
variera d’après le prix des denrées offertes par le commerce. Le maïs, la
féverole et les divers tourteaux et d’autres aliments concentrés — les
aliments mélassés tout spécialement — peuvent être avec tout avantage
substitués à l’avoine proportionnellement à leur composition immédiate.
En 1918, par suite d’autres raisons de l’autre guerre, la
disette d’avoine s’étant aussi produite, quoique moins sévèrement, M. Dechambre,
professeur de zootechnie à l’école vétérinaire d’Alfort, donna, lui aussi,
l’assurance que le cheval de trait pouvait être nourri avec autre chose que de
l’avoine et du foin sec. Et il ajoutait notamment :
« On peut, sans inconvénient pour la santé des animaux
et leur rendement, et avec avantage, au point de vue économique, remplacer la
ration d’avoine en partie et même en totalité, par d’autres aliments. Dès
l’instant où les animaux continuent de recevoir les principes nutritifs
(azotés, hydrocarbonés, gras et minéraux) dont ils ont besoin pour leur
entretien et leur production, il importe peu que ces principes soient tirés de
l’avoine, du maïs, du seigle, du tourteau, etc. ; il suffit que les
opérations extractives de l’estomac et de l’intestin s’exercent sur des
matériaux d’une digestibilité convenable et d’une productivité
suffisante. » Sous la réserve, pourtant, devons-nous ajouter, que la
substitution d’un autre aliment à l’avoine doit toujours se faire avec précaution,
très progressivement, en augmentant peu à peu la dose du nouvel aliment ou du
nouveau mélange, et en observant avec soin comment les animaux se comportent au
point de vue de leur appétit et de l’empressement qu’ils mettent à adopter ce
nouveau régime. Le poids et le volume de la ration ainsi constituée doivent
aussi être pris en sérieuse considération pour le bon accomplissement des
fonctions digestives, à tel point que, pour l’alimentation des vaches, les
professionnels américains prétendent que le poids et le volume de la ration
sont plus importants que les aliments qui la composent !
Actuellement, dans les temps difficiles qu’il nous faut
vivre, la préoccupation des avantages économiques doit céder le pas à
l’impérieuse obligation de travailler et de produire à tout prix. Nécessité
oblige ... Faute de n’avoir pas ce que l’on désire, il faut savoir
utiliser au mieux ce que l’on a, ou ce que l’en peut se procurer dans les
meilleures conditions. Il existe, fort heureusement, des ressources
alimentaires — pour les bêtes, comme pour les gens — trop souvent
ignorées ou négligées, dont nous ferons, dans un prochain article, un
inventaire détaillé à l’intention des propriétaires de chevaux embarrassés pour
la nourriture de leurs animaux.
J.-H. BERNARD.
|