Les perspectives, peut-être bien proches actuellement, de navigation
interplanétaire par wagon-fusées à uranium ramènent au premier plan de
l’actualité scientifique les planètes, ces mondes voisins, frères du
nôtre. Précisément, à la veille de la guerre, une excellente nouvelle causait
quelque émoi dans le monde des « planétistes ».
À l’aide d’un modeste objectif de 38 centimètres de
diamètre transporté à l’observatoire du Pic du Midi de Bigorre, trois jeunes
savants français avaient réussi à prendre des photographies hautement
remarquables de la planète Mars. Ainsi s’est accrue notre connaissance de ce
monde voisin, si proche de notre Terre et peut-être habité par une humanité
voisine de la nôtre.
Que savons-nous de Mars ? On sait que le système
solaire comporte neuf planètes tournant autour de l’astre central. La plus
rapprochée du Soleil est Mercure, dont les dimensions sont réduites; puis
viennent Vénus et la Terre, dont les dimensions sont comparables ; Mars,
sensiblement plus petit que la Terre; puis Jupiter, planète géante qui trouble
à distance la marche des comètes et autour de laquelle des yeux exercés peuvent
distinguer quatre « lunes » principales ; viennent ensuite
Saturne, entouré de son triple anneau visible dans la moindre lunette ;
enfin les trois planètes « modernes » : Uranus, Neptune et
Pluton.
Si nous écartons Mercure, grillé par un soleil sans pitié,
Jupiter et Saturne, qui ne sont que des boules floconneuses de vapeur, et les
trois planètes « glaciales », la question de l’« habitabilité »
ne se pose que pour nos voisins immédiats : Vénus et Mars.
Vénus possède une atmosphère au moins aussi dense que la
nôtre, dans laquelle semblent prédominer le gaz carbonique et peut-être l’eau;
des observations spectroscopiques révèlent, en effet, dans le blanc manteau de
vapeur qui entoure la planète, des aiguilles de glace. Malheureusement, ce
manteau dérobe totalement à nos yeux la surface de Vénus.
La planète Mars est, au contraire, facilement observée, et
l’on a pu dresser des cartes montrant le contour d’étranges « continents
sombres, séparés par des mers » plus claires. Ces termes, purement
conventionnels, désignent du reste une réalité assez mal connue : on
suppose que ces taches, à la fois verdâtres et rougeâtres, représenteraient des
étendues végétales, telles que des forêts, des prairies ou des marais ...
mais il s’agirait là d’une végétation rouge.
Pour nous, Terriens, accoutumés à la couleur verte des
plantes, cette végétation presque sanglante est incroyable. N’oublions pas
toutefois que l’hémoglobine, ou substance rouge de notre sang, offre une
composition chimique très voisine de celle de la chlorophylle verte des
plantes : elle en diffère par la substitution d’un noyau de fer à un noyau
de magnésium. Les animaux des profondeurs sous-marines ont un sang bleu à base
de cuivre. La nature, avec ses ressources d’une infinie diversité, a fort bien
pu doter les êtres vivants habitant sur Mars d’un organisme en rapport avec les
conditions très particulières de cette planète.
Qu’il existe de l’eau sur Mars, on n’en saurait douter,
attendu que le télescope nous montre distinctement des calottes polaires d’un
blanc neigeux qui s’étendent en hiver et fondent aux approches de l’été
martien. L’existence d’une atmosphère suffisant pour entretenir la vie est plus
douteuse. Beaucoup d’astronomes estiment que la pression atmosphérique
martienne serait à peu près la même que sur la terre au plus haut sommet de
l’Himalaya, à un niveau où l’homme ne peut subsister qu’en recourant à la
respiration artificielle. Campbell, utilisant la méthode spectroscopique, a
trouvé qu’il y avait aussi peu d’eau sur Mars que sur la Lune et mille fois
moins d’oxygène sur cette planète que sur la Terre ! Jeans aboutit à la
conclusion que l’atmosphère de Mars contient de la vapeur d’eau, et Wright tire
de ses études photographiques de Mars, à l’observatoire de Lick, en 1924, ce
résultat — peut-être optimiste — que l’atmosphère de la planète rouge
est aussi importante que celle de la Terre.
Les opinions, on le voit, sont partagées, mais un fait
incontestable et singulièrement frappant subsiste : c’est que l’on
aperçoit des mouvements à la surface de la planète Mars.
Il semble que M. Antoniadi, excellent observateur et
dessinateur de différentes planètes, ait été le premier à signaler ces légères
nuées mouvantes, qu’il compare aux tourbillons de sable soulevés par le vent du
désert. On notera que 1’« albedo » de Mars, autrement dit la teinte
de son sol, est intermédiaire entre celui de la Terre, planète
« vivante », et celle des astres stériles, tels que la Lune. Il est
donc probable que de vastes régions de Mars sont semblables au Sahara.
Schiaparelli et sir Percil Lowell ont révolutionné le
monde savant et le grand public, voici quelques dizaines d’années, par la
découverte des fameux « canaux » de Mars. D’après leur tracé
géométrique, offrant des dimensions géantes, ces canaux semblaient destinés à
apporter dans les zones équatoriales l’eau de fusion des neiges polaires ;
certains observateurs ne prétendaient-ils pas apercevoir un élargissement des
canaux, variable suivant la saison, et qu’ils attribuaient à un changement de
la végétation ?
Il est malheureusement certain que plus on emploie des
instruments puissants et moins ces fameux canaux sont visibles. Sur les
récentes photographies prises au Pic du Midi, les canaux ont complètement
disparu; un examen attentif prouve que Lowell a cru voir des lignes
géométriques isolées là où existait seulement le bord des taches. Il n’en est
pas moins certain que ces taches se déforment suivant les saisons martiennes,
et nous avons là un second mouvement, facilement explicable par la
considération de la végétation, à la surface de Mars.
Les nouvelles photographies révéleraient, en outre, le
déplacement de très petites taches sombres, existant à l’intérieur des espaces
clairs, et qui se sont rapprochées des rivages. Aucune hypothèse satisfaisante
n’a été mise en avant pour expliquer ces taches et leur mouvement. S’agit-il
d’îlots de végétation, de marécages, de troupeaux, d’armées, de peuples en
marche ? Un grand point d’interrogation subsiste. Mars, ne l’oublions pas,
est à une distance de près de 80 millions de kilomètres ; son globe
s’offre à nous sous le même angle qu’une sphère de 1 mètre de diamètre
placée à 18 kilomètres, ou encore d’une tête d’épingle de 1 millimètre
de diamètre située à 18 mètres. Il est admirable qu’avec des instruments
réduits on puisse obtenir des images d’une telle précision.
Y a-t-il des hommes sur Mars ? Recevrons-nous un jour
de cette lointaine humanité des messages optiques ou radioélectriques, une
« poignée de main de l’infini » ? N’oublions pas que Mars, situé
à 230 millions de kilomètres du Soleil, a dû s’en séparer, à l’origine, au
moins un milliard d’années avant la Terre. Si l’on songe que les reptiles de
l’époque secondaire ne datent que d’environ soixante millions d’années, et que
notre humanité terrestre, avec sa préhistoire, ses malheurs et ses gloires, ne
remonte qu’à trois cent mille ans, on se rend compte de la prodigieuse
antiquité de notre sœur planétaire. S’il y a eu des êtres intelligents à la
surface de Mars, il est plus que probable qu’ils sont depuis longtemps
disparus, décimés par le froid grandissant et par la raréfaction de
l’atmosphère. Les signaux optiques, les messages de radio envoyés par les savants
de la planète Mars se sont vainement perdus dans l’espace, alors que notre
future patrie, la Terre, n’était encore habitée que par d’informes gouttes de
gelée vivante, flottant au sein des tièdes mers de l’époque primaire.
Pierre DEVAUX.
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