J’ai toujours préféré les passées de canards du matin à
celles du soir.
Sans doute ai-je eu de grandes émotions au moment du coucher
du soleil et dans l’heure tardive où tout le paysage prend des allures
fantasmagoriques et mystérieuses, mais la véritable émotion, c’est dans les
premières heures du jour que le chasseur de sauvagine la ressent.
Suivant les saisons, notre imagination nous soutient :
nous allons avoir de belles heures plus prolongées et, si les premiers moments
ne sont pas abondants en gibier, nous verrons, après les colverts, les
sarcelles, qui font leur volée au moment du mouvement des buses. Si les
sarcelles s’en sont allées avec l’heure sombre ou ne sont pas venues par suite
des circonstances de niveau, de vent ou de nourriture, nous avons encore
l’espoir de la journée. Sans doute, en novembre, période des ciels bas,
aurons-nous peu de temps après nos chasses du matin. Nous tenterons cependant
notre chasse favorite : celle de la bécassine. Mais le soleil semble
s’associer avec le gibier que nous chassons, et la chasse s’éteindra vivement
et tristement avec lui.
Un peu plus tard, dans la saison, décembre nous permettra,
avec le jour encore plus court, quelques belles sorties de bécassines.
Si l’eau est devenue abondante dans le marais, c’est la plus
magnifique des approches en punt léger, ou à la marche sur un butteau plus
élevé que les autres, où la bécassine aime alors se cantonner en attendant les
gelées plus fortes qu’elle ne pourra plus supporter.
Février est là, le marais, par endroits, est devenu plus
humide, les mares sont plus accueillantes au punt d’approche ; en mars,
les nénuphars vont les orner d’une végétation qui, avec le printemps, vient
d’éclore.
Le passage de retour s’effectue du 15 février jusqu’à
la fermeture de la chasse. À cette époque de l’année, ce qui me séduit, c’est
que, de la première heure du jour jusqu’à ses dernières lueurs qui me
retiennent, toutes les minutes peuvent être fertiles en émotions variées. Et
vous savez que, si je suis l’ennemi des ouvertures précoces où les canards sont
encore des canetons pas toujours dignes du coup de fusil d’un vrai sportif, je
ne suis pas non plus partisan de ces fermetures tardives, où les canards
accouplés peuvent inciter le chasseur, sans le vouloir, ou, ce qui est plus
grave, sans l’ignorer, au meurtre de la cane aux œufs d’or.
Je ne me lasserai pas de répéter que c’est d’une
organisation internationale que viendront les belles chasses de toute l’année.
Cette organisation s’appelle « le Conseil international de la
chasse », présidé avec autorité par Maxime Ducrocq, président du
Saint-Hubert Club. Il peut, dans une période comme celle que nous traversons,
poursuivre plus que jamais ses efforts de liaison. Qu’importent, en effet, les
règlements que vont s’imposer les Français dans le but de favoriser les
migrateurs si, dans les autres pays voisins, les mêmes règlements de défense
cynégétique n’étaient pas appliqués !
Il faut être chasseur de sauvagine, adorer cette chasse qui
présente, à tant de points de vue, un intérêt passionnant. Mais il faut songer
à demain.
Je ne connais pas une chose plus triste qu’un marais vide.
Il pourrait être si magnifique de vie !
Lorsque j’écris, mon cher ami le jeune chasseur, ces lignes
qui pourront vous paraître définitives, c’est pour vous que je les écris, vous
qui devez faire la chasse de l’avenir, dont vous profiterez si vous savez
imposer votre désir de ne pas voir la chasse à la sauvagine devenir simplement
un souvenir : vous y perdriez de grandes joies.
À côté des règlements internationaux indispensables, songez
un peu à ce que pourrait produire, d’abord pour votre plaisir et, laissez-moi
vous le dire aussi, sur un plan plus élevé d’économie nationale, la défense de
la sauvagine sédentaire. De grands efforts ont déjà été réalisés, nous possédions
de belles réserves de gibier sédentaire qui faisaient de la Camargue, sous la
direction éclairée du professeur Bressou, un magnifique centre d’élevage de la
sauvagine. Le chasseur, qui ne doit pas être l’ennemi du naturaliste, s’en
trouve fort bien. Il faut multiplier ces réserves, les créer, dans les marais
situés sur les grandes voies de migration.
Un grand ami des oiseaux me disait, quelque paradoxale que
puisse paraître cette affirmation : « Un de nos meilleurs amis, un de
ceux qui nous a permis de réaliser partiellement notre œuvre d’acclimatation,
c’est le chasseur prévoyant. »
Et laissez-moi vous dire que, s’il était dans le vrai à son
point de vue de naturaliste, il était aussi dans la vérité, parce que la chasse
implique des réserves et que la conservation du gibier ne peut exister que si
les groupements cynégétiques l’encouragent à tous points de vue.
Il peut arriver que le paradoxe, quand on réfléchit au but,
soit la vérité. Au chasseur, je dirai : « Aimez les réserves, si vous
aimez la chasse » ; au naturaliste : « Ne détestez pas les
chasseurs, si vous voulez développer les réserves. »
Jean DE WITT.
|